Pourquoi pensai-je à cheikha Rimitti ? Cette légende algérienne me hante, ce soir. Cette Linda de Souza oranaise m'habite, me déroute ! Cela s'est passé en 1978, j'étais étudiant à la fac des lettres, en parallèle, je collaborais avec le journal la République (El Jamhouria) d'Oran. Par une matinée printanière, le planton du journal m'appela au téléphone pour m'annoncer qu'il y a à la réception une dame qui demande à parler à un journaliste. Il y avait quelque chose dans sa voix ! Je lui ai demandé de la faire monter. La salle de rédaction était au deuxième étage. On avait comme responsable de la culturelle notre ami Bouziane Benachour, aujourd'hui journaliste à El Watan. Quelques minutes après, et une dame d'une soixantaine d'années pointa à la porte de la grande salle. Je n'ai pas fait attention. Plutôt je n'ai jamais vu un tel visage. Le planton m'a chuchoté dans l'oreille : “Ya Si Zaoui, c'est cheikha Rimitti.” Subjugué, il était comme dans un état second. Sans tarder, il est passé dans tous les bureaux pour annoncer la nouvelle à tous les journalistes et les administrateurs : Rimitti est chez nous ! Soudain, la salle de rédaction est devenue encombrée. Tout le monde était là, du directeur M. Aïssa Adjina aux femmes de ménage. J'ai regardé autour de moi, toute l'assistance était attachée à cette dame simple, angoissée et attristée, assise en face de moi. Elle me regardait, une grande amertume est installée au fond des yeux. Sans introduction, sur un air tendu et dur, elle commença à déballer son histoire : “Elle est venue, cette salle fille du chien (bent el kelb) pour s'accaparer de tout ce que j'ai réalisé dans ma vie de chanteuse en se faufilant dans mon nom. Mon nom est plus grand qu'elle, cette naine, cette vaurien.” Nous sommes en 1978, Cheikha Rimitti oubliée, marginalisée venait se plaindre et dénoncer, une jeune chanteuse qui voulait profiter de son absence en se donnant le nom de “Rimitti Esseghira”. “Certes, je m'appelle Saâdia Bendief, et elle m'a fait brandir sa pièce d'identité verte bien plastifiée, mais mon nom artistique “Rimitti” je l'ai payé par le travail. Je l'ai forgé par la souffrance et le défi. Ce nom “Rimitti” c'est moi, et moi seule. C'est mon capital.” J'ai été surpris par son acharnement contre cette chanteuse inconnue qui a piraté le nom et les chansons de la diva. Petit à petit, décontractée, mise à l'aise, Rimitti nous a ouvert son cœur : “J'ai chanté la révolution algérienne, ses chouhada et ses chahidat, les héros et les héroïnes : Benallal, Zabana et Boumediene et d'autres.” A. Z. [email protected]