Quatre ans après la promulgation du texte portant création de l'instrument, l'organe de lutte contre la corruption n'est toujours pas opérationnel! Alors que l'Algérie vient de lancer son plan de relance doté d'une enveloppe de 286 milliards de dollars, les instruments de contrôle de l'usage de cet argent public sont soit gelés soit pas encore opérationnels, soit pas suffisamment efficients. Tel est le constat d'un expert spécialiste du dossier. Commençons d'abord par la Cour des comptes. Ses missions de contrôle de l'usage des dépenses publiques se trouvent gelées faute d'une véritable volonté politique. Cette institution constitué de magistrats devrait conformément à ses prérogatives mener des enquêtes et fournir des dossiers à la justice en matière de dilapidation de deniers publics. “Nous nous roulons les pouces. Nous sommes mal payés par rapport à nos collègues d'autres institutions. Nos moyens matériels pour effectuer notre travail sont dérisoires”, confie un magistrat de la Cour des comptes. Deuxième instrument : l'organe de prévention et de lutte contre la corruption. Le texte de loi portant création de cette structure date de 2006. Quatre ans après la promulgation du texte, cet instrument n'est pas encore opérationnel. Pourquoi ? “Tout simplement à cause d'une lutte de clans dont l'enjeu est le choix de la composante de l'organe, le clan derrière les réseaux de corruption voulant imposer ses relais”, confie un responsable proche des décideurs. Le chef de l'Etat aurait, ajoute la même source, une préférence. Son choix se serait porté sur Kaddour Berradja pour présider l'organe. Un fidèle parmi les fidèles du Chef de l'Etat. Il est actuellement président de la Cour suprême. Mais on a toujours pas désigné la composante, faute d'arbitrages au sommet de l'Etat. Quant à l'IGF dont les prérogatives ont été renforcées en matière de contrôle, le ministère des Finances semble ne pas disposer du pouvoir suffisant pour trancher sur les dossiers. Conséquences : les investigations ne vont pas jusqu'au bout. Des dossiers sont classés sans suite, ajoute la même source. Lutte de clans pour désigner la composante de l'organe de lutte contre la corruption Il est surprenant également que la Banque d'Algérie responsable du contrôle des changes n'ait pas obtenu des résultats significatifs en matière de transferts illicites de devises vers l'étranger via les surfacturations. Il ne se passe pas de semaines pourtant sans qu'éclatent des scandales portant sur des transferts illégaux d'importantes sommes en devises. En somme, au lancement du nouveau plan quinquennal les instruments de contrôle de l'Etat ne sont prêts à assumer leur rôle dissuasif. Revenons aux montants des investissements publics prévus par le programme quinquennal, sur les 286 milliards de dollars prévus, 130 milliards de dollars sont réservés à l'achèvement des projets du précédent plan. La question qui reste pendante : quelle est la part des surfacturations dans ces dépenses ? Qui dit surfacturation dit transferts illégaux de capitaux. Sur ce point, c'est le silence. Il faudra peut-être attendre les résultats des investigations menées dans le cadre du scandale de l'autoroute Est-Ouest. Le chiffre est énorme : 400 millions de dollars auraient été transférés illégalement à l'étranger uniquement dans le cadre de ce grand projet. “Avec les 11 milliards de dollars prévus pour sa réalisation, on peut construire deux autoroutes”, soutient un spécialiste en finances. On n'a pas terminé, avec son équipement et les réévaluations, elle coûtera 20 milliards de dollars, assure une autre source. L'argent de la corruption tiré des surfacturations dans les contrats de l'autoroute Est-Ouest aurait ainsi profité aux traders et à de hauts fonctionnaires. La question est de savoir si les services de contrôle sont suffisamment outillés pour cerner les ramifications de cette grande fuite de devises vers l'étranger. La réponse est à l'évidence négative. Kaddour Berradja pressenti pour présider l'organe de lutte contre la corruption Du coup, on enregistre peu de résultats dans la récupération de l'argent transféré. Tout cela ancre le sentiment d'impunité. Il faut saluer cependant l'initiative de membres de l'APN qui ont déposé une demande de constitution d'une commission d'enquête parlementaire sur la corruption. L'heure de rendre des comptes a-t-elle sonné ? Du moins pour la partie des grands projets en cours de réalisation, objet de surfacturations ? Morale de l'histoire : tant que tous ces préalables n'auront pas été levés, on peut parier qu'une partie de la manne destinée aux nouveaux projets d'investissements publics, soit environ 150 milliards de dollars, sera détournée via la corruption, au profit de nos insatiables prédateurs.