J'aime les chansons d'Enrico Macias. Je corrige : j'aimais. On s'étonne ? Croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer. Oui, je les adorais. Il n'y a rien de bien original. Que celui qui n'a pas aimé à 15 ans Ah ! Quelles sont jolies les filles de mon pays lève la main. Soit il n'aime pas les filles, soit il n'aime pas son pays, n'est-ce pas ? Ici et là, on lève haut les mains. Messieurs, vous n'avez rien compris à la vie. Je vous plains d'avoir été vieux alors que vous étiez jeunes. Futile le Macias, dites-vous ? Vous le laissiez aux ados énamourés qui aimaient se parfumer à l'eau de rose ? Bien. On encaisse le trait. Pour les énamourés que nous étions, chanter Macias à cet âge doré est une marque d'équilibre. Enfin, presque. Cela veut tout simplement dire qu'on a l'insouciance et la légèreté de cet âge. On ne naît pas vieux. Même si, ici et là, quelques spécimens prouvent le contraire. La maturité venant si on reste à Macias, les amoureux de Ferré et Brel ricaneront, ceux de Ferrat et de Brassens s'esclafferont. C'est là, où les uns et les autres, ceux qui se moquent de lui et ceux qui l'adorent, se rejoignent. Voilà Macias à “la Boule rouge”, sa cantine de Montmartre, fréquentée à l'occasion par Nicolas Sarkozy et le gratin politico-médiatique. C'est que la chair est bonne et typiquement maghrébine. On me présente le chanteur. L'homme est conservé mieux que ses chansons. Son regard noir “khôl” me rappelle celui de nos grands-mères qui portaient le haïk. Drôle de comparaison ? Je le concède. De ces femmes, Macias n'a que le noir des yeux et leur tristesse. Je m'attendais à une posture de star, je retrouve un septuagénaire qui gronde : “Pourquoi je ne peux pas rentrer en Algérie ? Pourquoi je ne peux pas aimer à la fois l'Algérie et Israël ? Pourquoi accueille-t-on à bras ouverts mon cousin Alexandre Arcady alors que moi, je suis persona non grata ! Le comble c'est qu'Arcady a même un pied-à-terre en Israël alors que moi, pas.” C'est clair : ces questions s'adressent à moi. Ai-je l'air d'un ambassadeur de la République algérienne ? Je ne suis ni en costume trois-pièces ni fumant le cigare, Havane de préférence. Je n'ai même pas de gourmette ni de dents en or. Pas ou peu de ventre. Aucun attribut d'un diplomate. Encore moins le salaire. Le sourire peut-être. Même pas. Mon sourire est niais, celui d'un diplomate est futé. Pourquoi, alors, suis-je soumis à la question ? Allez savoir ce qui se niche dans la tête d'un chanteur qui a célébré l'Etat sioniste dans ses chansons et ses marches. Je ne lui ai pas dit cela. Il n'aurait pas compris la différence qu'il y a entre un Juif et un Sioniste. Pour lui, c'est Enrico Macias, Macias Enrico. Aux nombreux pourquoi, je répondais par un timide : “Beaucoup d'Algériens aiment vos chansons !” Il a l'air surpris. Adouci, il sourit : “Je peux faire la promotion de l'image de l'Algérie. Je peux faire beaucoup, vous savez... Mais d'abord il faut que je rentre avec les honneurs. Pas en cachette comme un malpropre.” Entendez-vous Chérif Abbès gronder ? L'orage peut-être. À la place de Macias, j'exigerais la Garde républicaine, résidence d'Etat et voiture officielle. Et pour qu'il ne manque rien, on ramènera des majorettes. Impossible, elles n'existent pas en Algérie. On les ramènera d'Israël. Les trompettistes seront palestiniens. Bref, un beau carnaval. Je disais que j'aimais les chansons de Macias. Depuis, j'adore cet homme qui ne craint pas de se mesurer à un pays. Folie des grandeurs ? Allons, allons, ne soyons pas excessifs. Il est chanteur. Après tout. Et d'un chanteur de variétés, il ne faut pas exiger la logique cartésienne d'un philosophe. Ni les paroles de Prévert. J'ai pris congé du chanteur sans attendre le dessert. J'aurais bien aimé l'écouter me chanter Malheur à celui qui blesse un enfant. “Mon ami qui m'a présenté l'artiste me murmure : Il est bien, Enrico, hein ?” Je réponds : “Bien quand il chante.” Et j'ajoute in petto : “Il est même formidable. À condition qu'il ne parle pas.” H. G. [email protected]