La déclaration de ces imams s'inscrit dans une perspective politique plus globale qui consiste à revendiquer la pratique d'un islam tolérant qui croit au dialogue inter-religieux, aux droits de l'Homme pour le bien de l'humanité. Le phénomène d'islamophobie, qui se développe dans les pays occidentaux, trouve souvent appui dans l'incapacité de certains représentants de la communauté musulmane à s'inscrire dans le modèle républicain, à vivre selon ses modalités. Le repli, dans le communautarisme, voire le recours à la violence comme réponse à l'échec des politiques d'intégration, s'est avéré contreproductif pour ses communautés qui commencent maintenant à comprendre qu'elles peuvent accéder à la citoyenneté au niveau des pays d'accueil pour peu qu'elles renoncent à leur vision intégriste qui consiste à voir dans l'Autre un ennemi potentiel, un “kafer”. Il y a, à ce niveau, comme des prémices d'un changement de mentalité, croit déceler un universitaire qui a eu à rencontrer des jeunes Algériens qui ont fui le pays dans les années quatre-vingt-dix. “De nombreux Algériens, proches du FIS, qui sont partis en Allemagne, en Angleterre et au Canada dans les années quatre-vingt-dix et qui sont là-bas depuis vingt ans, ont radicalement changé de vision”, nous explique-t-il. “En Algérie, on leur expliquait à l'école, à la mosquée que la démocratie est “kofr” car souvent ils assimilaient cette démocratie au système politique qui les a opprimés, qui les a poussés à l'exil, mais maintenant qu'ils sont là-bas et au fil des années, ils ont compris que la démocratie tant décriée leur confère au contraire un statut de citoyen, des droits et qu'ils peuvent vivre pleinement leur foi à condition de respecter les valeurs des pays d'accueil”, ajoute encore cet universitaire, qui souligne encore à juste titre, que ces jeunes qui ont un vécu, une expérience dans des pays comme l'Angleterre, l'Allemagne ou l'Australie ont aussi appris à s'affranchir de la tutelle des imams intégristes comme Abou Qatada et autres illuminés et à avoir aujourd'hui leur propre regard sur la société dans laquelle ils vivent. C'est dans cette optique de mutation idéologique, qui est aussi l'une des conséquences “épistémologiques” du 11 septembre, s'agissant du rapport entre les religions, que convient peut-être l'initiative qui vient d'être prise par une quarantaine d'imams canadiens. Vendredi, ils ont dénoncé l'islam radical dans une déclaration commune qui fait la promotion de la paix et de l'égalité entre les hommes et les femmes. La déclaration en sept points, signée par 38 imams influents, doit être lue dans des centaines de mosquées canadiennes en ce début de Ramadhan. “Nous croyons à la coexistence pacifique, au dialogue, à la coopération et à la construction de ponts entre les différentes confessions et les gens pour le bien de l'humanité. L'islam ne permet pas de tuer des gens innocents, quelque soient leur croyance, leur origine ethnique, leur race ou leur nationalité. Le caractère sacré de la vie humaine l'emporte sur les lois religieuses”, peut-on lire dans la déclaration. Cette initiative du Conseil des imams du Canada porte aussi sur la place de l'homme et de la femme dans la société. “Nous croyons à l'égalité entre les hommes et les femmes qui ont le droit divin à l'éducation, droit d'apporter leur contribution à la société, de travailler et d'être traités avec respect et dignité”, ajoute la déclaration. Les imams canadiens défendent aussi la liberté de religion, incluant le droit de se vêtir selon le goût de chacun. Le Pr Mustapha Chérif, spécialité du dialogue inter-religieux, interrogé hier sur cette initiative des imams canadiens, à l'occasion de son passage dans notre rédaction, est tout à fait dans cette tonalité. “Les citoyens occidentaux de confession musulmane doivent comprendre qu'ils doivent prendre en compte les valeurs dominantes de la société dans laquelle ils vivent. Ils doivent éviter toute forme de provocation et s'abstenir de prêter le flanc.” Selon cet universitaire qui a inscrit au cœur de sa démarche philosophique l'établissement des passerelles entre les religions et les cultures, les sociétés auxquelles appartiennent ces citoyens doivent reconnaître leur droit à la différence et prendre la diversité comme richesse. “C'est l'équilibre des droits et des devoirs pour réaliser le vivre ensemble, responsabilité partagée”. Du point de vue de Mustapha Chérif, “l'immense majorité des musulmans qui vivent en Occident s'est adaptée progressivement à la démocratie, qu'il est tout à fait possible, loin des préjugés, de vivre sa foi dans un monde de modernité”. Car, estime-t-il, “la religion n'est pas liée à une culture, une ethnie ou une géographie particulière”.