Pour mieux s'imprégner de l'esprit du Coran dans la préparation à la décision, nous nous référons aux deux exemples suivants que sont : le changement de l'orientation de la prière (la qibla) et l'interdiction de l'usure (erriba). À cet égard, il est utile de rappeler que la Révélation et le début de l'Islam ont eu lieu, alors que le Prophète vivait à La Mecque. Mais lorsque la vie devint impossible pour lui et pour les premiers musulmans, objets de torture, d'humiliation, voire d'assassinat de la part des mécréants quoreïshite, il entreprit son émigration vers Médine. Ce fut alors la hijra et l'épopée des Mouhajirine et des Ansar : les Emigrés et les Auxiliaires. À souligner qu'à La Mecque, la prière était déjà consacrée et était devenue un des cinq piliers de l'Islam. Le Prophète orientait la prière vers El-Qods, mais il faisait en sorte que la qaâba soit située entre lui et El-Qods. Après son émigration, en raison du nombre accru de musulmans, se posa le problème de l'orientation de la prière vers El-Qods, tandis que la Qaâba se présentait derrière les fidèles, car de Médine, El-Qods se situait au nord et la Qaâba au sud ! Devant un tel dilemme qui ne pouvait laisser le Prophète sans inquiétude, un verset lui apparut pour le réconforter : “Nous te voyons souvent tourner ton visage vers le ciel. Nous t'orientons donc (pour la prière) vers une direction qui te donnera satisfaction. Tourne donc ton visage vers la Mosquée sacrée. (Croyants) où que vous soyez, tournez votre face dans sa direction.” 144-2. Bien entendu : la Mosquée sacrée, c'est el-masjid El-Haram. Les réactions à cette révélation ont été de quatre sortes : (1) les compagnons du Prophète ont respecté l'appel de Dieu. (2) Les Juifs déclarèrent que c'était là une preuve que Mohammed n'est pas un Prophète, puisque tous les Prophètes qui l'ont précédé avaient orienté leurs prières vers El-Qods. À l'évidence, la fin du verset qui vient d'être cité leur était destiné, comme en témoignent les termes suivants : “Certes, ceux qui ont reçu l'Ecriture savent que c'est une vérité (venue) de leur Seigneur qui n'est point inattentif à ce qu'ils font.” (3) Les hypocrites (el-mounafiquoune) ont déclaré être dans la confusion la plus totale : “Nous ne savons plus quelle est la prière qui prévaut : celle par laquelle on s'orientait vers El-Qods ou celle par laquelle on s'oriente à présent vers la Mosquée sacrée ?” Par le verset suivant, l'on retient ce qui suit : “Les insensés parmi les hommes s'écriront : qu'est-ce qui les a détournés de la qibla, vers laquelle ils s'orientaient (pour prier). Dis leur : l'Orient appartient, comme l'Occident, à Dieu qui dirige qui il veut vers un droit chemin.” 142-2. (4) Les mécréants de La Mecque ont dit : c'est le début du retour de Mohammed à notre religion. Cela commence par l'orientation vers notre qibla, puis le reste suivra. C'est alors qu'apparut le verset suivant : “Nous n'avons fixé pour toi la qibla (vers El-Qods, comme direction de prière) que pour que tu distingues celui qui te suit de celui qui se détache de toi.” 143-2. Puis vinrent d'autres versets de réconfort envers le Prophète et pour transcender ce problème : “À Dieu appartient l'Orient et l'Occident. En quelque direction que vous vous orientez, vous serez en face de Lui. Dieu est immense et omniscient.” 115-2. Ou encore : “La charité ne consiste nullement à tourner (en priant) votre visage du côté du levant ou du couchant. Elle consiste à croire en Dieu, au Jour dernier, aux anges, au Livre, aux prophètes, à donner de son bien, quelque attachement qu'on lui porte, à ses proches, aux orphelins, aux indigents, aux voyageurs, aux mendiants et pour l'affranchissement des esclaves. (Elle consiste) à observer la prière, à s'acquitter de l'aumône. Sont charitables ceux qui demeurent fidèles aux engagements qu'ils ont contractés, se montrent patients dans l'adversité, dans la douleur et au moment du danger. Voilà les hommes pieux !” 177-2. Voilà donc comment la Révélation (les versets du Coran) a aidé le Prophète à faire face à une crise majeure et à résoudre un problème complexe, par la sagesse et la bonne exhortation. Le deuxième exemple se rapporte à la prohibition de l'usure, erriba. Quatre ensembles de versets dans le Coran portent sur cette question. Le premier verset fut révélé à la Mecque. L'on se doit de garder à l'esprit que la communauté musulmane y était minoritaire. Par ailleurs, la pratique de l'usure était très répandue parmi les commerçants bédouins arabes. Il y avait péril à l'interdire brutalement, compte tenu du fait que le milieu des commerçants était fortement hostile à toute approche morale dans le négoce. C'est pourquoi il était important, pour une religion naissante, d'annoncer habilement toute démarche de justice et de solidarité. C'est en cela que le premier verset de la Mecque sur le sujet ne comporte aucune interdiction formelle du riba : “Ce que vous prêtez à usure pour accroître vos biens au détriment du prochain ne vous sera de nul profit auprès de Dieu. Ce que vous donnez, par contre, en aumône, quêtant la face de Dieu, voilà qui vous sera porté à plusieurs fois sa valeur.” 39-30. Ici, l'approche pédagogique est claire : amener à s'interroger devant une espèce de contradiction : quand vous recevez, vous êtes perdant mais lorsque vous donnez, vous êtes gagnant. Se pose alors le questionnement : qu'est-ce que gagner et qu'est-ce que perdre ? Quelques années plus tard, lorsque le Prophète s'installa bien à Médine, trois versets devaient prohiber erriba de façon catégorique. Au départ, il fallait souligner, en direction des Juifs fortement implantés à Médine, que cette prohibition n'était pas le fait de l'Islam seul, puisque les Prophètes antérieurs l'avaient déjà interdite, comme on peut le lire en ces termes : “De même que nous sévîmes contre leur pratique de l'usure, qui leur était pourtant interdite, et leur avidité à s'enrichir au détriment de leurs semblables. À ceux d'entre eux demeurés incrédules seront réservés les pires tourments.” 160-4. Cette interdiction devait impérativement s'inscrire dans une finalité globale, à savoir dans la création d'une vie spirituelle et communautaire nouvelle : “Croyants, ne pratiquez pas l'usure, multipliant abusivement vos profits. Craignez Dieu : vous en serez plus heureux.” 130-3. Par la suite apparut une série de versets confirmant la prohibition de l'usure : versets 275 à 280 de sourate Al-Baqara. Je citerai ici celui qui dresse un parallèle entre erriba et zakat : “Ceux qui pratiquent l'usure se lèveront (le jour de la résurrection) tels des possédés touchés par Satan, et cela parce qu'ils auront prétendu que le troc est assimilable à l'usure, alors que Dieu a permis le commerce et rendu l'usure illicite… Dieu réduit à néant le profit usuraire et accroît le mérite des aumônes.” Ces deux questions nous offrent un exemple de la méthodologie du Coran dans la préparation à la décision en vue de la résolution des problèmes complexes : l'approche globale, le gradualisme, la pédagogie, la prise en compte du contexte dans lequel doivent se réaliser les commandements des versets, l'importance accordée aux rapports des forces en présence et l'importance accordée à toutes les composantes de la société et aux minorités, les dimensions spirituelles et communautaires. C'est donc à travers une telle approche que l'on peut comprendre l'expansion rapide de l'Islam et l'accueil enthousiaste qui lui fut réservé dès sa révélation. Aujourd'hui, notre appréciation et notre fidélité à l'Islam demeurent intactes. Bien plus, à travers son rayonnement caractérisé par sa cohérence et par son éternel attachement à la préservation de l'être humain, nous sommes en mesure d'apprécier cette perspective d'universalité et d'ouverture au monde qu'il nous offre depuis sa révélation. Dans ce cadre précisément et à ce stade de notre réflexion, bien des questions nous interpellent et requièrent de notre part une attention particulière. L'une de ces questions pourrait s'inscrire dans les termes suivants : “Pourquoi les musulmans n'ont pas pu s'intégrer pleinement dans la mouvance humaine de progrès ?” Ce sera l'objet de notre rendez-vous de jeudi prochain.