Le phénomène a pris de l'ampleur en Kabylie, particulièrement dans la wilaya de Tizi Ouzou : la démographie scolaire est en baisse. Cette année, ils sont 89 937 élèves, dont 13 744 nouveaux inscrits, à rejoindre les bancs de l'école contre 92 570 en 2009. 42 écoles sont fermées faute d'élèves. Enquête. Quarante-deux écoles primaires sont fermées dans la wilaya de Tizi Ouzou. Un chiffre énorme, mais en deçà de celui enregistré l'année dernière où pas moins de 48 établissements scolaires avaient été fermés. Les services de la Direction de l'éducation (DE) de Tizi Ouzou ont eu, entre-temps, à rouvrir six écoles, a expliqué le directeur de l'éducation de Tizi Ouzou. C'est vers le milieu des années 1990 que le phénomène a fait son apparition. La wilaya de Tizi Ouzou, qui présentait pourtant une forte densité de la population soutenue par un taux de natalité exponentiel, connaît présentement un recul sensible de la démographie scolaire. Les coupes opérées dans les effectifs de la population scolaire diffèrent d'une région à une autre. La palme revient sans doute à la daïra d'Azeffoun avec 13 écoles primaires fermées. 6 établissements sont fermés dans la seule commune d'Azeffoun. La dernière fermeture remonte à deux années, selon le maire, Hacène Ouali, qui justifie ces fermetures par le manque d'élèves. Azeffoun est connue pour sa forte émigration intérieure. Beaucoup de natifs d'Azeffoun vivent ailleurs, notamment à Alger, soutient-on. Même les écoles restées ouvertes connaissent des effectifs réduits, puisque des écoles, qui caracolaient avec une trentaine d'élèves par classe, tournent à présent avec moins de 20 élèves. Le même phénomène est observé à Bouzeguène et Aïn El-Hammam. Dans ces deux daïras, il a été enregistré respectivement six et trois écoles fermées. Si à Iferhounène, seulement deux écoles ont fermé leurs portes, plusieurs établissements ont été contraints de réduire le nombre de divisions pédagogiques, faute justement d'élèves, dont le nombre décroît pratiquement d'année en année. D'autres écoles à Illilten, Aït Yanni et ailleurs illustrent mieux le phénomène de la baisse de la démographie scolaire. Ces établissements enregistraient auparavant une vingtaine d'inscrits à chaque rentrée scolaire. Mais depuis quelques années, seuls 6 à 8 élèves sont inscrits en 1re année, et ce, toutes les deux années. D'ailleurs, sur les 657 écoles fonctionnelles, seules 513 comptent des divisions compètent, soit de la 1re à la 5e années primaires. La réglementation exige un minimum de 14 élèves pour l'ouverture d'une division pédagogique, mais les responsables du secteur tolèrent une division pédagogique même si ce seuil n'est pas atteint. Des salles de classe clairsemées sont ainsi légion à travers certains villages, notamment en zone rurale. À Ouaguenoun, on a fermé deux écoles sur les 38 existantes. Idem à Boghni et Ouacifs où des établissements du cycle primaire sont fermés pour effectif insuffisant. Fermée pour cause de terrorisme Cependant, le phénomène de fermeture des écoles ne s'exprime pas seulement par la dénatalité qui est bien réelle de nos jours. L'exode rural a carrément dépeuplé des villages entiers. Mais pas seulement. Il y a également le terrorisme islamiste qui a poussé la population à l'exode. À titre d'exemple, le cas des écoles fermées à Aït Yanni et Draâ-Ben-Khedda illustrent parfaitement cet état de fait. Durant la décennie noire, plusieurs villages dans les zones chaudes ont été abandonnés par la population qui a cherché refuge dans les villes. Dans la commune de Sidi Naâmane, daïra de Draâ-Ben-Khedda, deux écoles sont fermées à Boumhala et Tala Moquar. La cause : le terrorisme. Dans ce dernier village, l'école sera rouverte incessamment, selon des responsables à la Direction de l'éducation. “À notre niveau, nous sommes prêts pour rouvrir l'école primaire de Tala Moquar, pour peu que les citoyens en expriment le besoin”, affirme une source du secteur éducatif de Tizi Ouzou. La même disposition est affichée au sujet de l'ensemble des écoles fermées. Depuis la fermeture de ces deux écoles en 1995, le personnel a été réaffecté ailleurs. Pour les enseignants, c'est l'inspection de la circonscription de l'ex-Mirabeau qui les a réaffectés à travers les autres établissements restés ouverts, comme nous l'a expliqué l'inspecteur Salah Aberkane. Sinon, concernant les autres travailleurs qui relèvent de la compétence de la mairie, le président de l'Assemblée populaire communale (APC) de Sidi Naâmane a confirmé leur redéploiement. “Certains employés sont partis en retraite, depuis”, dira Rabah Khodja, comme pour rappeler que la fermeture des deux écoles a duré longtemps. Quinze ans, mine de rien. Les villages Tala-Moquar et Boumhala ont été carrément évacués, lorsque les groupes terroristes faisaient régner la terreur dans ce patelin, dont la population a souffert le martyre. Depuis maintenant cinq ans, l'on assiste au retour des habitants dans leurs villages. Le retour est certes timide, près de 20% de la population sont retournés pour y habiter. Les élèves sont scolarisés à l'école des Frères Saâdaoui de Zeboudj-Kara, un village mitoyen de Tala-Moquar. Une vingtaine d'écoliers sont issus des villages Tala-Moquar et Boumhala, révèle M. Chabane, directeur de l'école primaire de Zeboudj-Kara. Cet établissement, où trois salles sont fermées par manque d'élèves, a un effectif de 150 écoliers, venant des trois villages. Ce qui illustre encore le phénomène de la baisse de la population scolaire. L'ancien directeur de l'école Tala-Moquar est affecté, depuis 1995, à l'école de Moul-Diwan, dans la ville de Draâ-Ben-Khedda. Même dans son nouvel établissement, il y a un rétrécissement des effectifs. 259 élèves dans cette école située pourtant en plein centre-ville. Soit une moyenne de 24 élèves par classe, voire moins. “Je suis resté à Tala-Moquar de 1981 à 1995 ; je suis resté jusqu'à la dernière minute, jusqu'au jour où la route avait été coupée au niveau de Zeboudj-Kara pour prévenir contre les attentats à la voiture piégée”, se souvient M. Kechid. Selon l'inspecteur de la circonscription, la DE a donné son accord pour la réouverture de l'école primaire de Tala-Moquar cette année. Elle recevra les élèves des deux villages, Tala-Moquar et Boumhala, inscrits actuellement dans plusieurs établissements de Tadmaït, Draâ-Ben-Khedda et Sidi Naâmane. La carte scolaire est prête, indique notre interlocuteur. Près de 75 élèves seront donc réaffectés dans cet établissement scolaire fermé depuis 1995. Ecoles “dépeuplées” À Boumhala, toujours dans la commune de Sidi Naâmane, l'école restera fermée cette année encore. Le village a été abandonné depuis des années. Les six écoles demeurées fonctionnelles à Sidi Naâmane totalisent un effectif de 879 élèves. Ailleurs, et notamment dans les communes rurales, plusieurs écoles primaires, qui n'ont pas fermé, ont vu leurs effectifs réduits comme une peau de chagrin. Un fait qui n'a pas échappé aux responsables du secteur. Ces derniers se disent prêts à rouvrir les écoles fermées, pour peu que les citoyens retournent dans les villages qu'ils avaient abandonnés. Plusieurs facteurs peuvent expliquer un tel phénomène de “dépeuplement” des écoles. Si la dénatalité, qui n'arrive pas à passer de mode chez les jeunes couples, y est pour beaucoup dans la baisse de la population scolaire, d'autres raisons ont aussi contribué à accentuer le phénomène. Ainsi, selon des sociologues apostrophés à cet effet, outre le terrorisme, l'exode rural, la nouvelle émigration, le chômage, le recul de l'âge du mariage, la crise du logement contribuent de diverses manières à la diminution de la population scolaire. À ce propos, l'émigration des jeunes, cadres pour la plupart, vers le Canada a périclité le nombre de la population scolaire. Des centaines de couples s'installent avec leurs enfants dans le pays de l'arable. De plus, 20 000 étudiants sont inscrits dans les universités françaises. Une bonne partie de ces inscrits est issue de la région de Kabylie, particulièrement Tizi Ouzou. Après les études, ils ne retournent pas au pays natal. Réalité concrète, le “dépeuplement” des écoles trouve, par ailleurs, son explication dans la mauvaise planification de l'administration, qui ne semble pas prendre en considération le mouvement des populations, celles-ci ayant tendance, au jour d'aujourd'hui, à se sédentariser souvent dans les grands centres urbains. Dans peu de temps, la décroissance démographique ne manquera pas de se déteindre sur les collèges et les lycées. Et, par ricochet, l'université et plus tard le monde du travail. Ce qui renseigne sur le vieillissement de la population. Y. A.