Après la découverte de colis piégés visant les Etats-Unis et des capitales européennes, tous les regards se portent sur le Yémen, nouvel eldorado du terrorisme islamiste. Mais ce pays mythique du fantasme de l'Arabie Heureuse n'est qu'une terre d'accueil pour les irréductibles djihadistes. Les services de renseignement américains ont tout de suite établi que les colis étaient l'œuvre d'un Saoudien spécialiste des explosifs, qu'ils qualifient de pièce maîtresse dans le dispositif de la franchies Al-Qaïda dans la péninsule arabique, l'Aqpa. Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa) est née de la fusion en janvier 2009 des branches saoudienne et yéménite du réseau de Ben Laden, après les coups durs infligés à ses djihadistes en Arabie saoudite. Si tous les chemins terroristes mènent vers l'ex-royaume de la reine de Saba, la chefferie et la technicité sont plutôt à rechercher parmi les activistes du pays voisin, l'Arabie saoudite. L'artificier et chimiste Ibrahim Hassan al-Asiri, en tête de la liste des personnes recherchées pour terrorisme par l'Arabie saoudite, est le frère de l'auteur d'un attentat suicide raté l'an dernier contre le responsable de l'antiterrorisme saoudien. Le prince Mohammed bin Nayef, vice-ministre de l'Intérieur chargé de la Lutte contre le terrorisme, s'en était sorti vivant. Abdullah, le frère de Hassan al-Asiri, avait bénéficié du programme de réhabilitation dans son propre pays. Les frères al-Asiri ont vécu à La Mecque, le domicile de leur père, un officié saoudien à la retraite. Dans l'édition de septembre 2009 du magazine Sada al-Malahem (les voix des batailles), une revue en ligne gérée par l'Aqpa, Hassan al-Asiri raconte comment il a recruté son frère et comment ils ont vécu leur voyage au Yémen. Au départ, ses amis et lui espéraient attaquer les Américains déployés en Irak, mais les policiers saoudiens ont fait une descente dans leur appartement et les ont arrêtés. “Ils m'ont mis en prison et j'ai commencé à constater à quel point le pouvoir saoudien était asservi aux Croisés et combien il haïssait les vrais serviteurs de Dieu”, a-t-il écrit pour expliquer sa haine du régime de Riyad. Après l'annonce de colis piégés, le président yéménite, Ali Abdallah Saleh, a indiqué avoir donné l'ordre à ses forces de traquer les suspects après avoir reçu des informations des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, ajoutant que Londres et Washington tenaient leurs données de Riyad. Il a eu un entretien téléphonique avec le roi Abdallah d'Arabie saoudite, et ensemble, ils ont évoqué leur coopération dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Les forces de sécurité yéménites ont alors procédé à des arrestations à Sanaâ, leur capitale. La femme soupçonnée d'être impliquée dans l'envoi des colis a été relâchée faute de preuves. C'est une étudiante en médecine, d'une vingtaine d'années. Washington n'a d'ailleurs pas manqué de féliciter Ryad pour sa collaboration dans les derniers coups portés au terrorisme et à ses projets d'attentats éventés un peu partout ces dernières semaines à travers l'Europe. L'Arabie saoudite a longtemps servi de berceau au terrorisme islamiste. Comme Oussama ben Laden, de nombreux Saoudiens formés en Afghanistan pour combattre l'Union soviétique ont trouvé le nouveau terrain de guerre qu'est le djihadisme. Un retournement de situation puisque ce terrorisme est né du wahhabisme, l'interprétation saoudienne du message coranique. Plusieurs kamikazes du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center de New York avaient un passeport saoudien et n'avaient rien de cette chair à canon qui était montrée depuis l'Afghanistan par les télévisions du monde entier. Après une série d'attentats antiaméricains en Arabie saoudite, le gouvernement de ce pays a décidé, il y a quelques années, de s'attaquer au problème à la source. Non seulement par la répression, mais aussi par la rééducation. Plus de 4 000 prisonniers condamnés pour terrorisme ont suivi le programme de réhabilitation, qui comprend des séances de dessin pour “évacuer l'énergie négative”, des cours de religion et d'histoire, de la formation professionnelle, des séances de gymnastique, et une fois le nouveau lavage de cerveaux achevé, les ex-terroristes sont recyclés dans la vie courante : argent, travail, appartement et épouses aux bons soins du royaume. Le régime saoudien, qui, pour le moins, ne s'est jamais distingué par la douceur de ses prisons, a mis des gants blancs avec les auteurs d'horribles crimes de masse, sous couvert de programme d'insertion sociale dans le cadre de la réconciliation. Ils ne sont pas les seuls à l'avoir fait. Cependant, le bilan n'est pas parfait. Des “diplômés” de ces centres de réhabilitation, des dizaines selon Ryad, des centaines pour les experts en terrorisme, ont repris le chemin du djihad. Il semblerait que la plupart se soient dirigés vers le Yémen voisin où les conditions géographiques et l'instabilité politique permettent l'installation de bases, notamment au sein de tribus en rupture avec le pouvoir central. Les cadres de l'Aqpa sont pour l'écrasante majorité d'origine saoudienne. Et l'Arabie saoudite est ainsi redevenue “exportateur” de terrorisme. L'expérience de ce royaume est riche en enseignements. S'il est vrai que des islamistes eux-mêmes remettent de plus en plus en question le recours à la violence, ne serait-ce que parce qu'ils constatent que cette méthode a failli, les maquis arrivent toujours à recruter, y compris de nouveaux activistes. Cela veut dire que le mal n'a pas été appréhendé dans son ensemble et encore moins à sa racine. On s'est contenté de réhabiliter des terroristes sans changer l'atmosphère générale créée et cultivée par le wahhabisme. Bien que la vaste majorité des victimes des attentats restent des musulmans, Al-Qaïda sévit toujours au Pakistan, le sort de l'Afghanistan est plus qu'incertain et l'Irak, une poudrière. Et d'autres groupes, plus ou moins autonomes, franchisés à Al-Qaïda mettent le feu au Yémen, en Somalie et dans le Sahel africain. Alors, pourquoi le djihad est encore puissant auprès de certains ?