Peu connu dans sa région qui l'a vu naître, illustre penseur, mais mal compris aussi, à l'étranger, rejeté par son pays, cette Algérie qui n'a même pas rapatrié sa dépouille après son décès en Francea Mohamed Arkoun et sa pensée continuent, tout de même, de susciter le débat et surtout la curiosité de ceux qui ne s'y sont intéressés, une fois de plus, qu'après sa disparition. C'est Tizi Ouzou, la région natale de cet éminent islamologue que l'universitaire Fodil Boumala a choisie, pour évoquer, non pas la mémoire de l'homme de façon folklorique comme nous l'a enseigné la tradition après la disparition de chaque grand homme, mais plutôt, laconiquement, ce qu'est sa révolution intellectuelle et en quoi dérangeait-il le pouvoir en Algérie et tous ceux qui s'opposent à toute réforme de la pensée islamique dans le monde musulman. “Dans un pays dirigé par un pouvoir inculte, comme c'est le cas en Algérie, face à un intégrisme qui constitue l'antithèse de la pensée Arkouniène et dans une société marquée par la paresse d'une classe intellectuelle caractérisée par un manque de militantisme et d'engagement, l'homme que fut Mohamed Arkoun ne pouvait qu'être excommunié comme cela a été le cas puisqu'il a été de tout temps interdit d'expression et éjecté même par le système universitaire algérien”, dira Fodil Boumala sans étonnement aucun puisque, expliquera t-il, “le pouvoir algérien qui ne s'est jamais reposé sur les idées mais plutôt sur la force, la violence et les réseaux pour sa légitimation, et qui est, de surcroît, animé par ceux qui n'ont pas la capacité de penser mais qui monopolisent l'espace public et d'expression, ne pouvait accepter des hommes qui pouvaient opérer un changement de l'intérieur comme Arkoun”. Mais ajoutera Fodil Boumala, Arkoun n'est pas le seul à être victime de cet état de fait puisqu'avant lui Mohand Tazrout, l'unique traducteur de Shpingler, et Malek Benabi, deux penseurs non des moindres, ont été rejetés de la même manière. Dans le monde musulman, c'est plutôt sa pensée réformatrice, sa laïcité et sa critique de la pensée islamique qui ont valu à Mohamed Arkoun sa mise à l'écart par les partisans des dogmes établis et surtout aux élites légitimant le pouvoir. “Pourtant Arkoun n'était pas un exégète, il n'a jamais travaillé sur le texte de l'islam, donc le Coran, mais plutôt sur l'historicité du texte et le processus qui ont formé les mentalités, et c'est aussi la religiosité, donc la pratique de l'islam, qu'il a particulièrement critiquée et non pas la religion”, expliquera M. Boumala. “Arkoun a mené une révolution en forgeant de nouveaux concepts pour bâtir de nouveaux systèmes paradigmatiques”, dira Fodil Boumala, non sans souligner que dans cette tâche, Arkoun a rencontré des résistances politiques nourries par les partisans du statu quo, de l'ordre établi, d'un “développement durable du sous-développement”, de la pensée classique et dogmatique et de tous ceux qui sont contre un esprit nouveau, des idées nouvelles et surtout contre l'effort et l'intelligence. “Il est décédé avec cette frustration d'être incompris et rejeté”. Rejeté, mais pas seulement par le monde musulman. Dans le monde chrétien et occidental aussi. Selon M. Boumala, “il était le seul à pouvoir critiquer à la fois le monde musulman et occidental de l'intérieur”. Aujourd'hui, il repose en paix au Maroc, loin du frêne de son village natal, Taourirt Mimoun, où il a toujours souhaité être enterré, mais sa vision du monde et sa pensée moderniste et laïque, sont toujours là pour rappeler au monde musulman son échec.