Cinq mois après le tremblement de terre, les sinistrés ne semblent pas être rassurés sur leur sort. Sous les tentes, les familles attendent fébrilement l'arrivée des fameux chalets promis. Les sinistrés rencontrés sur les sites d'hébergement de la wilaya de Boumerdès sont désespérés. Ils se sentent délaissés et oubliés par les autorités. “À ce rythme, nous passerons des années sous les tentes, après la canicule, la tempête, les premières pluies, et rebelote l'an prochain”, déclare, à bout de force, un sinistré du site des Chemineaux de Corso. Et d'ajouter à notre intention : “Il fallait venir mardi, lors de la tempête qui a fait voler et inondé nos demeures de fortune.” Il est à signaler que durant cette journée, les familles du camp se sont réfugiées dans un centre de formation proche, car le vent a tout emporté sur son chemin. “Malgré l'état précaire du centre de formation, le président d'APC nous a demandé de sortir et de nous rendre au camp qui se trouve derrière la gare”, nous confiera une citoyenne. Ici, au camp des Chemineaux de Corso, la patience des familles sinistrées est épuisée, les nerfs lâchent, la lassitude se lit sur les visages et une seule phrase se répète d'une personne à une autre : “Ils nous ont abandonnés. C'est injuste.” “Ce que nous vivons maintenant n'honore pas les autorités, car celles-ci affichent un mépris total à notre égard et qui n'a d'égal que leur incompétence. Il a fallu que TF1 et Paris-Match parlent de notre ville pour que les premières aides soient acheminées vers nos camps”, s'insurge un professeur. Le désarroi omniprésent Il est 13 h 30, direction le site des 210-Logements de Tidjelabine. Ce camp abrite plus de 200 familles victimes du séisme, dont les maisons se sont toutes effondrées. À l'entrée du site, nous sommes accueillis par un groupe d'enfants qui jouent. “Tafadhalou !”, nous dira Houria, la mère de Sarah, en ajoutant : “Vous êtes bien des psychologues ?” Celle-ci semble déçue d'apprendre que nous sommes journalistes. Comme beaucoup de mères, Houria se désole pour ses enfants, car le départ des psychologues a affecté ses petits qui étaient pris en charge au départ. “Ce ne sont plus des gosses, on les voit rarement rire, ils sont toujours accrochés à nos jupons. En plus, ils font des cauchemars la nuit”, nous dira Houria. Les enfants occupent leur journée très difficilement, mis à part les quelques semaines de colonie qui leur ont été offertes, mais qui n'étaient pas à la portée de tout le monde. Ils n'ont pas eu la chance d'aller à la plage comme d'autres enfants, car les parents continuent à avoir peur des répliques. Ces derniers attendent désespérément de rentrer chez eux, dans leur vraie maison comme ils disent. “Nous en avons marre de cette vie. On a beau tenir, notre patience a des limites”, s'emportent-ils. Pour ce qui est des femmes, elles sont enfermées à longueur de journée sous les tentes, où la chaleur est souvent insupportable et les premières pluies font peur. Leur seule distraction est la télévision si elle est branchée à l'intérieur de leur tente. S'ajoutent à tout cela le manque d'eau et le problème d'hygiène qui en découle, car une seule citerne de 5 000 litres leur est livrée par jour. Selon les déclarations des sinistrés, l'Algérienne des eaux les menace de ne plus livrer la citerne d'eau sous prétexte que le contrat est résilié. Pour ce qui est du ravitaillement, aucun aliment ne leur a été distribué depuis plus d'un mois, sauf le pain, nous dira notre interlocuteur. “Nous voulons des chalets décents” Sur l'autoroute de Tidjelabine, nous avons vu des semi-remorques qui transportaient les éternels chalets tant attendus par les sinistrés. Ces derniers ne s'empêchent pas d'aller assouvir leur curiosité en regardant les ouvriers travailler. “Nous allons attendre fin octobre ou le 21 décembre pour pouvoir habiter un “conteneur”, car pour moi, un vrai chalet ne peut pas faire moins de 30m2”, s'exprimera un citoyen qui ajoute : “Ma salle de bain était plus grande que ces chalets. On ne peut rien faire, à part se contenter de ces bicoques avant l'hiver, car il est impossible de passer le mois de ramadhan sous les tentes.” Avant de quitter cette commune, nous avons voulu visiter un chantier de montage de chalets. Sur les lieux de construction, nous avons rencontré l'adjoint du chef de chantier qui nous a fait faire le tour du site. En effet, le site comporte 120 chalets F2 bien aménagés, sur des skids (dalle spécifique aux chalets) de 10 000/3 000 mètres, ce qui vaut 33 m2 de surface et avec toutes les commodités, dont la dalle de sol. “Cela ne fait que cinq jours de travail, car nous attendions l'arrivée du matériel d'Espagne. Nous travaillons avec un effectif de 17 personnes qui activent jour et nuit”, nous explique le responsable. Celui-ci nous assure que ces chalets résistent au vent et aux tempêtes et avec un bon entretien, ils peuvent tenir plus de 20 ans. “Le seul inconvénient de ce site est qu'il est au bord de l'autoroute, ce qui est dangereux pour les enfants”, interviendra un ouvrier. Rappelons enfin que ces chalets sont les plus grands, il y a aussi ceux de 22 m2. “Tout va très bien, Madame la marquise !” Impressionnant, le centre-ville de Corso avec les bureaux des services municipaux installés dans l'ex-mairie classé zone orange 4. Concernant l'état des sinistrés, le président de l'APC de Corso nous déclarera : “El-hamdou lillah…, tout va bien ! Les sinistrés sont tous sous des tentes, rien ne leur manque, et ils seront relogés bientôt dans des chalets.” Selon le P/APC, le relogement se fera en quatre étapes, d'abord les familles qui ont perdu un proche, les handicapés, les familles nombreuses, puis viendront les autres cas. Il est à signaler que le relogement débutera à partir du mois d'octobre et ce, jusqu'au début de la saison hivernale, c'est-à-dire le 21 décembre. Les dealers font la loi La grande ville voisine, Bordj Ménaïel est la plus touchée de la willaya de Boumerdès. La plupart des quartiers ont été dévastés emportant à jamais des centaines de vies. Arrivés au camp des sinistrés de la daïra de la commune de Bordj Ménaïel, des hommes, fatigués par le désespoir, nous accueillent en nous demandant : “Vous êtes bien des journalistes… et vous êtes venu pour dénoncer l'affaire de drogue hein …”, nous demande un sinistré. Grande était sa déception lorsque nous lui avons dit que nous ignorions cette affaire. Les citoyens du camp nous expliquent le calvaire de leur quotidien. En effet, 17 dealers vendent toutes sortes de drogues, “médicaments, psychotropes, kif et autres” juste en face du site, le tout sous le regard des policiers. “Chaque jour, nous assistons à d'éternelles bagarres qui finissent très souvent par des blessures à l'arme blanche”, nous affirme un locataire qui ajoute : “Nous avons déposé plusieurs plaintes au niveau de la Sûreté nationale, mais rien n'a été fait, ce qui confirme la complicité du corps de la police dans ce trafic, puisqu'ils les laissent vendre leur poison devant eux sans intervenir.” Un citoyen lâche de loin : “Ne vous cassez pas la tête, dans cette commune tout le monde est de mèche, à commencer par le chef de sûreté jusqu'au responsable du centre de transit. Personne ne vous dira quoique ce soit et aucun responsable ne résoudra ce problème.” Son voisin s'exprime : “Nous sommes obligés de faire le guet nuit et jour, car aucune sécurité n'est assurée, mise à part les cinq policiers qui rôdent dans ce centre. L'administrateur du site et le responsable ne sont jamais présents, ces derniers partent régler leurs petites affaires en nous laissant nous débattre avec ces rapaces.” “Ils nous pourrissent la vie”, conclut-il. Notons que le site de la daïra souffre de l'absence d'éclairage, ce qui rend ce camp plus dangereux la nuit puisqu'une simple clôture les sépare du groupe de malfaiteurs. Contacté par nos soins, le président de l'APC nous dira que ses fonctions se limitent au recensement des sinistrés et à l'engagement des campagnes de construction. Tout ce qui est nomination des responsables des centres de transit, relogement et sécurité dépend du wali-délégué et de la Sûreté nationale. Concernant le problème de l'insécurité, ce dernier nous avoue : “J'aurais résolu ce problème si j'avais au moins la police communale, mais malheureusement je n'ai aucun pouvoir.” Interrogé sur le problème des dealers, le P/APC nous confirme : “Après délibération, nous avons fait un courrier au wali en lui expliquant l'état sécuritaire de la commune et en lui demandant du renfort de la Sûreté nationale afin de combattre le crime qui sévit dans cette commune, mais rien n'a été fait.” Le P/APC accuse directement la Sûreté nationale en disant : “La police a failli à sa mission, ils sont présents, mais aucune intervention n'a été faite au centre-ville. Pourtant, il ne se passe pas une journée sans qu'il y ait un vol ou un crime.” Pis, ce dernier ira jusqu'à nous avouer que dans certains sites, les dealers vendent de la drogue jusque sous les tentes. N. F.