Si Hamrouche avait été aimé par le peuple autant qu'il le fut par la presse, il aurait été sans nul doute président de l'Algérie pour une éternité. Président ? Non, roi, Mouloud I, premier monarque algérien, car la presse était folle de lui. Amour réciproque. N'est-il pas celui qui a libéralisé la presse en faisant essaimer, ici et là, des dizaines de journaux privés alors qu'il n'y avait jusque-là que quelques titres publics. Pour Hamrouche, pas de démocratie sans liberté de la presse et pas de liberté sans presse indépendante du pouvoir. Peu importe, comme le disent certains, les calculs politiciens, ce qu'on retient est que Hamrouche est allé au bout de ses idées dans ce domaine. Flash-back. Hamrouche venait d'être poussé à la porte par Chadli. Un ami commun me proposa d'aller le voir. Je bondis sur l'occasion. Rencontrer le prince des réformateurs en privé, on pense bien qu'aucun journaliste ne raterait pareille occasion. Nous voilà dans la modeste villa de Hamrouche. Il nous accueille dans un accoutrement tout aussi modeste : pull élimé et pantalon velours râpé. Bluffé j'étais. Oui, vraiment. On s'attend à la posture du chef de gouvernement avec son élégance british héritée du directeur de protocole qu'il était sous Boumediene, et voilà qu'on découvre un homme vêtu négligemment. À l'emporte-pièce. Comme un journaliste. Comme monsieur tout le monde. Y a-t-il un décryptage politique à faire ? Voulait-il montrer en somme que même dans sa tenue, il est réformateur ? Loin des autres, conservateurs perclus de rhumatisme et de peur du changement. Communication politique ou non, nous fûmes séduits par la tenue. Le code d'appartenance a joué à fond. Cet homme est bien des nôtres. Mais voilà, il y a le cigare havane dans la main droite. Et là, coup bas à notre désir d'identification. Le cigare, coquetterie d'amateur ou de politique, trahit la position sociale. Ce n'est pas tout le peuple qui fume le cigare. Juste une caste. Passons. Mais ce cigare — clin d'œil à Boumediene — pèse finalement peu devant la tenue. Hamrouche est grave. Sérieux comme un pape. Non, pas comme un pape, comme un politique qui n'a pas encore digéré sa chute, causée par des personnes qu'il ne tient pas en haute estime. C'est mon ami qui fit la conversation. Il dit toute sa colère d'avoir vu Si Mouloud démis alors qu'il allait sauver l'Algérie. Oui, monsieur, il allait sauver l'Algérie en proie à l'islamisme grimpant et rampant comme un lierre. Mon ami parlait à voix haute pour être entendu même par d'éventuels micros placés dans la demeure de Hamrouche. Celui-ci répondait par onomatopées. Et par des signaux émis par son cigare. Quand il approuvait, il tirait sur son cigare qui s'animait. Quand il était dubitatif, il jetait la cendre du cigare dans un cendrier. L'ex ne dit aucun mot déplacé, aucune injure, aucune plainte, mon ami suffisait amplement pour deux et même pour dix. Mon ami éructait, mon ami tonnait, mon ami était fou de rage. Quoi ? On a osé toucher à un cheveu de Si Mouloud. Un cheveu ? Mais non, toute la tête ! Ah ! Ils ne l'emporteront pas au paradis des islamistes ces caciques ! Plus il s'échauffait et plus Hamrouche restait placide. Un Sioux guettant un cow-boy que cet homme au sang-froid d'animal politique. Gracian Baltasar l'a bien fait remarquer : les animaux les plus silencieux sont les plus dangereux. Bref, à défaut d'entendre Hamrouche, je n'entendis que mon ami dont le style direct résumait sans doute ce que l'ex-aurait voulu dire. À trop fréquenter Boumediene, Hamrouche n'a pas appris qu'à aimer le cigare, il a compris que la meilleure façon de parler est d'exprimer sa pensée par un autre. H. G. [email protected]