Rudolphe Pires, le célèbre commentateur français de Canal , spécialisé en rugby, s'est lancé dans une nouvelle discipline, le sport-roi, le football. Une discipline qu'il affectionne particulièrement et qui se dit avoir la chance de commenter les matches du championnat algérien sur le bouquet de Canal . Rencontré à l'hôtel El Djazaïr, ex-Saint-George, vendredi dernier, ce globe-trotter affable et disponible parle dans cet entretien émouvant et riche à la fois de son expérience dans le championnat algérien, des incidents ayant émaillé la rencontre CRB-CABBA, et des perspectives d'avenir de la chaîne française. Liberté :Vous avez assisté à une soirée particulière lors de la rencontre CABBA-CRB à cause des incidents ayant émaillé ce rendez-vous. Avec plus de recul, comment avez-vous vécu cela ? Rudolphe Pires : Cette rencontre était un étonnement dans la mesure où rien ne présageait une telle issue. Il est clair que Canal Maghreb a montré un très mauvais spectacle pour les téléspectateurs et ces images ont véhiculé quelque part une mauvaise image du football algérien. Toujours est-il que la balle ronde algérienne, qui n'a rien avoir avec ce phénomène de violence, est faite de jeu vif, inspiré, engagé. Je ne vous cache pas que j'ai été choqué car ces malheureux évènements ont coïncidé à quelques jours seulement d'une fête religieuse fraternelle. Je ne m'attendais pas à un tel dérapage surtout que nous étions dans cette perspective de fête de l'Aïd, synonyme de rassemblement de familles. Pourtant, rien ne présageait une telle issue, n'est-ce pas ? Non, certainement pas. D'ailleurs, le match se déroulait dans de bonnes conditions. Les deux équipes se sont quittées sur un score nul à la mi-temps. Après, les choses ont dégénéré soudainement. En un mot : je n'ai rien compris à ce qui s'est passé. Je n'ai pas eu d'éléments pour connaître ce qui s'est réellement passé dans les gradins. Cependant, il ne faut pas non plus jeter la pierre au football et aux supporters algériens parce que ce genre d'événements se passe aussi en Europe. D'ailleurs, il y a quelques jours seulement, lors de la rencontre comptant pour la Ligue des champions européenne, un supporter du Panatinaikos a trouvé le moyen d'accéder au terrain pour ensuite adresser un doigt d'honneur à l'Argentin Lionel Messi, et ce geste aurait pu engendrer des choses graves. Et là on n'est pas en Algérie, on n'est pas au Maghreb mais en Europe ! Il serait d'ailleurs utile de méditer sur cette affaire dans la mesure où la violence dans les stades et les débordements des supporters, ce n'est pas l'apanage du Maghreb et de l'Algérie en même temps. Ce serait trop facile et injuste de cibler les fans des clubs de football du Maghreb en leur collant l'étiquette de supporters violents. Mais ce n'est pas le cas. La violence est partout et il faut essayer de se prémunir de ce fléau. Et ce qu'on souhaite à travers les retransmissions des matches sur Canal Maghreb est de donner une bonne image du football maghrébin. Est-ce que Canal+ Maghreb ne va pas revoir son engagement dans le championnat algérien après les incidents ayant émaillé CRB-CABBA ? La volonté de Canal+ Maghreb est de faire le tour des stades en Algérie. Canal+ ne veut pas se limiter uniquement à diffuser les rencontres de la capitale seule. Et c'est la raison pour laquelle nous avons décidé de choisir le match CABBA-CRB. Cela fait partie du credo de Canal+ Maghreb. L'abonné ne doit pas être uniquement Algérois, Constantinois ou autre. Nous avons aussi la certitude dans notre ligne de travail de sillonner les stades algériens d'est en ouest. Et le choix du match CABBA-CRB était logique. Malheureusement, les choses ont mal tourné. Vous savez, il était de notre devoir de journaliste de diffuser ces scènes de violence en direct. Il fallait montrer ce qui s'est passé. Cela aurait pu causer des pertes humaines ou encore engendré des pertes financières énormes. Canal+ a cette vocation de montrer le football dans son ensemble. C'est ce que nous avons fait. Pour revenir à votre question, la violence dans les stades n'est pas propre aux Algériens. C'est un fléau mondial qui gangrène la balle ronde mondiale. À voir votre visage tiré lors de la retransmission de cette rencontre, cela nous a amenés sà penser que vous n'aviez jamais été confronté à de telles situations durant votre carrière ? (Rire). Il faut savoir que la veille du match, j'avais contracté une forte angine d'où la mine fatiguée affichée durant le commentaire. Ceci dit, je n'ai pas eu peur pour ma vie. Vous savez, je suis journaliste et j'ai été confronté à de telles situations par le passé. À titre personnel, j'ai assisté à des rencontres classées dangereuses en Amérique du Sud. Lorsque vous suivez des derbies Boca-River, Palmeras-Sao Paolo FC pour ne citer que ceux-là, et ce, à partir des tribunes, rien ne pourra vous effrayer. À titre professionnel, je ne suis pas de nature inquiet car il est vrai que ce genre d'évènements se produit rarement. Du coup, je n'ai pas eu peur. En revanche, je comprends que les images diffusées ont effrayé des gens, il n'en demeure pas moins que nous, les journalistes, nous devons être témoins de ce qui se passe sans pour autant sur-vendre dans pareilles débordements. Nous devons être justes et la justesse de notre métier se situe dans des conjonctures d'urgence. Il ne faut pas oublier que Canal+ est aussi une chaîne qui a cette vocation d'éviter le mensonge, la tricherie. Nous devons bien évidemment montrer ce qui se passe dans la mesure où la crédibilité de la chaîne est engagée. En tout cas, l'important maintenant est de tirer des enseignements de ces malheureux incidents. Quelle a été la réaction des responsables de Canal+ Maghreb ? Les nouvelles vont vite. La première réaction des responsables de Canal+ fut de s'enquérir de l'état de santé de ses employés et l'équipe dépêchée sur place. Au-delà des considérations d'antenne, l'important pour les dirigeants de Canal+ est que les gens engagés dans cette mission soient en bonne santé. D'ailleurs, il faut savoir qu'un technicien de notre partenaire de l'ENTV a été blessé à la jambe, notre journaliste Wassila Batiche a reçu des pierres, et du matériel qu'on a été obligé de remballer pour éviter sa détérioration. Deuxième remarque : Canal+ s'est engagée à retransmettre les matches du championnat algérien. Donc, on ne peut pas porter un regard partiel sur ce qui se passe. Certes, on dit que le football est le miroir de la société mais ce miroir on le voit aussi en Europe. Ce n'est pas une opinion des gens de Canal+, en tout cas. Toujours est-il que je sais qu'il y a eu une réaction officielle de la chaîne française adressée auprès des instances footballistiques algériennes leur disant qu'elle souhaiterait ne plus voir ce genre de choses. La position de Canal+ s'exprime toujours avec une certaine retenue et réserve avec toujours un souci de respect mutuel. Il est évident que ces incidents ne font plaisir à personne. Et qu'est-ce qui vous a marqué lors de cette rencontre ? La déclaration d'Akniouène était émouvante. Le gars était désemparé ne sachant pas quoi faire, lui qui voulait jouer uniquement au football. Il a déclaré texto que ce n'est pas ça le football. La deuxième image qui m'a marqué le plus est celle du ramasseur de balle qui s'est refugié avec notre journaliste sur le banc de touche pour échapper aux jets de pierres. C'était émouvant ! Vous vous attendiez à ce que le match reprenne ? Non, pas du tout. Avec le déferlement de cette violence, j'avais pensé que le match allait être arrêté. Dans de telles situations, la solution de reprendre le match a été, peut-être, plus sage pour permettre aux supporters du CABBA et ceux du CRB, même si la plupart ont préféré quitter l'enceinte sportive, de pacifier les débats. Sur un point aussi chaud que cela, je ne maîtrise pas les lois pour savoir si le match devrait être arrêté. Cela m'échappe. En tout cas, j'ai trouvé que les 22 acteurs ont été courageux de reprendre le jeu après avoir vécu le cauchemar. Sur un plan personnel, qu'est-ce qui vous a motivé le plus à commenter les matches du championnat algérien, vous qui êtes connu plus dans le monde du rugby ? C'est le côté aventure. Je ne vous cache pas que cette expérience me tenait à cœur. Vous savez, au sein du service sport de Canal+, les journalistes et commentateurs sportifs touchent à tout. Et l'occasion m'a été offerte pour entrer de plain-pied dans le monde du football. J'ai accepté de suite sans même prendre le temps de réfléchir. L'Algérie est un pays de football qui m'attirait. De plus, les gens sont chaleureux, c'est un pays qui adore les expériences enrichissantes. Et il ne faut pas oublier que nous avons une histoire commune, un avenir commun. Tout cela fait que j'étais motivé et honoré de travailler ici en Algérie. D'une part, c'était une expérience professionnelle des plus enrichissantes avec le développement de Canal+ dans la région du Maghreb et d'autre part, je suis de nature voyageur, globe-trotter en partie. Je ne vous apprends rien, l'Algérie dispose d'un réservoir de qualité et quand vous avez un championnat qui se professionnalise, des entraîneurs compétents, un public encourageant et exigeant, vous ne pouvez aller que dans l'excellence. Notre corps de métier est de générer davantage d'abonnés. Plus on aura de nouveaux clients, plus Canal+ va s'impliquer dans le football algérien. D'ailleurs, le fait d'avoir avec nous un consultant comme Moussa Saïb est une bonne chose. Donc, on fait de notre mieux pour offrir aux téléspecateurs et aux abonnés de Canal+ Maghreb une qualité de haute facture. Déjà, les infrastructures existantes sont presque aux normes européennes, et cela facilite quelque part notre tâche dans la retransmission. Maintenant, tout reste perfectible. . Quel est le match qui vous a le plus plu lors de vos dernières retransmissions ? Sans aucun doute, USMA-JSMB. Il était plaisant et beau à voir. Il y avait du jeu, du spectacle et du suspense jusqu'au bout.
