Le dirigeant libyen, Mouâmmar Al-Kadhafi, s'est déclaré solidaire avec le peuple tunisien lors d'une interview diffusée, hier soir, par la chaîne de télévision privée, Nessma Tv. Ce faisant, il opère un virage à 180 degrés par rapport à ses déclarations qui ont suivi la fuite du dictateur tunisien, Zine El Abidine Ben Ali, qu'il disait alors reconnaître toujours comme le président légitime de la Tunisie, ce qui a provoqué l'ire et l'inquiétude du peuple voisin. “On ne peut pas être contre la volonté du peuple tunisien. Nous sommes avec le peuple tunisien”, a déclaré le Guide libyen, non sans y ajouter quelques conseils de son cru, en conformité avec sa propre vision des choses. “Si le peuple a déclenché la Révolution, il doit se gouverner lui-même. Je ne peux que soutenir cette orientation, si elle s'achemine vers le pouvoir des masses”, a-t-il, en effet, ajouté. Et d'expliquer que la révolution tunisienne serait vaine si les Tunisiens ne rompaient pas avec l'ordre républicain. Selon lui, si les Tunisiens doivent encore élire un président et un Parlement et se doter d'un gouvernement, leur révolution n'aura servi à rien et les sacrifices consentis auront été inutiles. En fait, il a tout simplement invité ses voisins à calquer leur future architecture institutionnelle sur le modèle qu'il a lui-même imposé aux Libyens et pour lequel il n'a pas tari d'éloges le long de l'entretien. Bref, le dirigeant libyen rêve d'une future Jamahiriya tunisienne. Se disant très concerné par l'évolution de la situation en Tunisie, il a néanmoins fait part de ses inquiétudes car, a-t-il dit, “j'ai peur que la révolution du peuple tunisien ne lui soit volée. Il y a des manœuvres à l'intérieur et de la part d'intérêts étrangers”. L'inquiétude du Guide libyen est sans doute sincère car, dans tous les cas, rien ne sera plus comme avant en Tunisie. Ou le pays réussit sa mue démocratique et construit un Etat de droit, ou les islamistes organisent le parfait hold-up et instaurent, à terme, une République islamique. Dans les deux cas, la contagion est à craindre pour le dirigeant libyen qui s'accommodait parfaitement du régime de Ben Ali. Loin d'être fortuite, l'intervention de Kadhafi sur une chaîne de télévision tunisienne, sans doute la plus regardée au Maghreb en cette période mouvementée, relève à la fois de son désir de réconciliation avec le peuple tunisien, que ses précédentes déclarations avaient sérieusement fâché, et de sa volonté de peser sur les évènements. C'est, en effet, lui qui a émis le vœu de s'adresser au peuple voisin, via une chaîne de télévision locale, prétextant que ses récentes interventions sur des chaînes satellitaires ne traduisaient pas la réalité et le fond de sa pensée. À l'origine, il n'était d'ailleurs pas question d'interview, mais d'une allocution solennelle. Le long de l'interview, le Guide libyen a développé un discours confus, décousu et, parfois, carrément incohérent. Il a néanmoins le mérite de se prononcer sur une Révolution qui se déroule à ses frontières. En cela, au moins, il se démarque des dirigeants maghrébins et arabes dont le silence assourdissant ne cache pas pour autant l'inquiétude, voire la peur et la panique dans certains cas.