Le café-littéraire de Béjaïa a convié, samedi, le sociologue tunisien, Mohamed-Raouf Saïdi, à un débat. Ce café-littéraire marque ainsi la reprise de ses activités, interrompues pour cause d'émeutes. L'espace public change. La rencontre, organisée en collaboration avec l'Association estudiantine Ithren, a lieu à la résidence universitaire Aamriou. Le public est toujours aussi nombreux et les débats fructueux. Ils ont porté essentiellement sur “la révolte de la Tunisie de l'intérieur”. Un soulèvement qui marque, selon l'enseignant de sociologie à Paris X, “l'échec d'un modèle libéral sous surveillance”. Bien qu'il ait mis en avant son statut de chercheur pour justifier sa neutralité, la thématique retenue ne souffre d'aucune ambiguïté. L'échec d'un modèle économique, vanté par les capitales occidentales, est en soi une prise de position assumée. Avant de rentrer dans le vif du sujet, le sociologue a donné quelques clés d'explication pour comprendre qu'est-ce qui avait suscité les émeutes ? Et pourquoi elles étaient circonscrites, au début du mouvement du moins, aux régions de l'intérieur ? Comme le sociologue travaille sur la précarité des régions de l'intérieur, Gabes, Sidi-Bouzid et Kasserine, le public a pu avoir une idée précise des formes de pauvreté qui y sévissent dans cette partie du pays, mais aussi des stratégies adoptées par les familles pour s'en sortir. Elles mettent une bonne partie de leurs revenus dans la scolarité de leurs enfants. Pour espérer décrocher un emploi, leur progéniture est obligée d'aller plus loin dans leurs études. Malheureusement, il n'y a quasiment pas de marché de l'emploi à même d'offrir des perspectives à une masse juvénile en déshérence. Il n'y a pas de relation de causalité : faire des études et trouver un emploi d'où la fin tragique d'un Mohamed Bouazizi. Un diplômé, qui n'a pas trouvé de travail. Et lorsqu'il est devenu marchant ambulant, histoire de se débrouiller, il a été inquiété par la police. “Il sera agressé et humilié”, a déploré M. Saïdi. Il faut dire que ce déséquilibre régional n'est pas propre à l'ère de Ben Ali, mais date de l'époque coloniale. Selon le sociologue, il y a une croissance économique. C'est un fait. Elle s'est traduite par une élévation du niveau de vie mais qui n'a pas bénéficié à tout le monde, notamment à la “Tunisie inutile”. Un littoral très riche économiquement et un arrière pays très pauvre. Pourquoi un tel déséquilibre ? Le sociologue dira en substance que le régime de Ben Ali a été mis en place depuis près d'un quart de siècle, se moque des intérêts élémentaires, des besoins vitaux de son peuple. Ben Ali est perçu comme un raïs, qui préside “un régime prévaricateur et corrompu”, défendant des intérêts autres que ceux du peuple tunisien.