La région de Cyrénaïque est à feu et à sang depuis près d'une semaine et ses villes martyres, particulièrement Benghazi et Al Baïda, n'ont de cesse d'enterrer leurs morts et de subir la répression sanglante des forces de sécurité au service du colonel Kadhafi. Alors que le cycle incessant manifestations-répression avait fait plus de 80 morts, la journée de samedi a été tout aussi sanglante puisque 12 morts au moins parmi les manifestants opposés au régime sont à déplorer à Benghazi. Au moins 104 personnes ont été tuées en Libye depuis le début de la contestation mardi, a affirmé hier l'organisation de défense des droits de l'Homme Human Rights Watch (HRW), après de nouveaux heurts meurtriers samedi entre forces de sécurité et manifestants. Les affrontements ont eu lieu après qu'une foule revenant des obsèques de manifestants tués la veille ait pris d'assaut une caserne située sur le chemin du cimetière. Aux cocktails Molotov lancés par les insurgés, les militaires ont riposté en tirant à balles réelles sur la foule. Le bilan de 12 morts annoncé par des sources hospitalières pourrait s'alourdir, étant donné le nombre élevé de blessés et le manque de sang et de médicaments dont se plaignent les structures sanitaires. Les journées de jeudi et vendredi auront été particulièrement sanglantes avec, respectivement, 49 et 35 victimes. Le régime tente une approche avec des représentants des tribus de l'Est du pays pour essayer d'apaiser la situation, mais les chances de rétablir le calme dans l'immédiat sont infimes, et l'heure est plutôt à l'escalade. L'attitude des forces armées au service du régime de Kadhafi, qui auraient fait usage d'armes lourdes, contredit en tout cas cette démarche et compromet toute chance de retour au calme. Le bilan est si lourd et les rancœurs si fortes que plus rien ne peut empêcher la radicalisation du mouvement, au moins dans cette région de Benghazi qui a déjà été victime des exactions du régime par le passé. Outre le renforcement du dispositif répressif et une enquête diligentée pour punir “tous ceux qui sont coupables de mort ou de saccages”, les autorités libyennes ont annoncé l'arrestation de ressortissants étrangers dans “plusieurs villes” du pays. Les personnes arrêtées sont tunisiennes, égyptiennes, syriennes, palestiniennes, soudanaises et turques, selon l'agence officielle Jana. Elles feraient partie d'un réseau destiné à déstabiliser le pays. La théorie du complot et la main de l'étranger, argumentaires chers à tous les régimes autoritaires et à toutes les dictatures arabes, sont ainsi mis en avant. En effet, “des sources proches des enquêtes en cours n'écartent pas l'hypothèse qu'Israël soit derrière ce réseau”, précise l'agence officielle. Officiellement aucun Algérien n'aurait été arrêté au cours de cette opération, mais il ne serait pas superflu que l'ambassade d'Algérie à Tripoli s'en assure, la communication transparente n'étant pas précisément une qualité reconnue du régime libyen. Comparativement à leur rôle déterminant et à leur communication particulièrement offensive lors des évènements de Tunisie et d'Egypte, les Etats-Unis restent plutôt discrets face aux exactions du régime de Kadhafi. Aussi surprenant que cela puisse paraître, cette discrétion américaine désarçonne davantage le guide libyen qu'elle ne le satisfait. Elle le prive du moyen idéal de mobilisation des masses autour du thème récurrent de la “souveraineté du peuple libyen” et de l'ingérence occidentale. C'est probablement pour cela qu'il se rabat sur des boucs émissaires moins prestigieux, mais tout aussi dangereux puisqu'ils seraient manipulé par l'ennemi de toujours, Israël.