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Publié dans Liberté le 26 - 02 - 2011

Les “origines culturelles numériques” de la Révolution arabe
Yves Gonzalez-Quijano, chercheur à l'Institut français du Proche-Orient, depuis quelques années, tient assidûment (au moins un grand papier par semaine) un blog à l'intérieur de la plateforme Hypotheses.org (une plateforme de publication de carnets de recherches affiliée au prestigieux Centre national de recherche scientifique français, CNRS) sur la culture et la politique arabes (cpa.hypotheses.org). Dans un billet (qu'il présente plutôt comme une communication) du 15 février titré “Les origines culturelles numériques” de la Révolution arabe. Il donne quelques clés importantes pour comprendre cette révolution arabe numérique dont il est observateur et chercheur depuis plusieurs années. Extraits :
“Depuis les événements de Tunisie, et avec plus de vigueur encore après ceux de la place Tahrir, les tamtams médiatiques célèbrent la "révolution numérique" arabe. Avec la libération de Wael Ghonim, jeune directeur marketing de Google pour la région Mena (Middle-East North Africa) devenu l'icône 1 d'un mouvement de protestation qui a provoqué la chute du président Moubarak, l'affaire est entendue : il s'agit bien, au choix, d'une "révolution 2.0" ou encore d'une "révolution Facebook". Internet, Facebook, ou encore Twitter, ces mots servent désormais de totems à toute une tribu de commentateurs qui découvrent les vertus démocratiques des peuples arabes après celles d'Internet ! Après être restés, des années durant, aveugles aux unes comme aux autres, les voilà qui se font aujourd'hui les chantres des pouvoirs libérateurs du numérique. Et d'une manière si naïve qu'il en devient tentant de répondre à leurs discours enflammés par des analyses parfois outrageusement sceptiques...”
Une révolution au moins dans les esprits
“(…) Il convient de souligner d'emblée qu'il est imprudent, au moment où ces lignes sont écrites, de parler de révolution… On ne sait pas encore s'il s'agit d'une révolution, au vrai sens du mot, ou d'une manière de coup d'Etat, de révolution de palais si l'on préfère…”
“Sans présager encore une fois de l'issue de leur combat, les manifestants tunisiens et arabes ont prouvé l'affligeante sottise de prétendues analyses postulant l'incompatibilité de la "culture arabo-musulmane" et de la modernité… Désormais, on a même envie d'aller plus loin en s'associant aux réflexions d'un Georges Corm pour affirmer que "la rue arabe sert de modèle au Nord6”, y compris pour ce qui est de la compréhension de la " cyberpolitique".”
Tunis, le Caire, l'impossible endiguement des médias numériques
“Une statistique récente indiquant, il y a quelques mois à peine, que les utilisateurs arabes de Facebook étaient désormais plus nombreux que les lecteurs de la presse quotidienne (sous sa forme imprimée, bien entendu !)… Et comme ces pays n'ont pour la plupart effectué leur transition démographique que récemment (la moitié des quelque 200 millions d'Arabes a moins de 20 ans), les conséquences sociales et politiques de la très rapide dissémination des TIC sont plus spectaculaires encore…”
“Bien entendu, la chute des deux chefs d'Etat révèle les limites du savoir-faire des régimes concernés en matière de répression informatique ; il ne faudrait pas croire pour autant à la toute-puissance des militants de l'internet…”
“Malgré tout, et quel que soit le très réel développement des réseaux sociaux (les usagers tunisiens de Facebook représenteraient 18% de la population totale…), le point central de la nébuleuse informationnelle, au moins pour la grande masse des acteurs capables d'être mobilisés pour créer des rapports de force sur le terrain, c'est encore la télévision et, au sein du paysage numérique actuel, Al Jazeera.”
Les TIC, sans doute, mais rien de plus
“Parler de "contagion démocratique" dans les sociétés arabes – expression par ailleurs exécrable – pour décrire les mobilisations en cours n'apporte pas grand-chose sur le plan heuristique. La soudaineté des bouleversements qui semblent devoir continuer à se produire en divers points du monde arabe (voire islamique si l'on pense à l'Iran) incite naturellement à postuler que ces différentes scènes politiques, par ailleurs tellement différentes (quels points communs entre le petit émirat de Bahreïn par exemple et l'Algérie de Bouteflika ?) sont travaillées par les mêmes facteurs. Parmi ceux-ci, figurent les nouveaux flux numériques. Sans doute, mais rien de plus.”
“En effet, pour arriver à mieux penser les conséquences politiques de l'intensification des communications numériques, et des TIC en général, il faut peut-être commencer à ne pas en faire le point focal de la réflexion pour considérer au contraire qu'elles ne sont qu'un élément parmi d'autres dans l'enchaînement des causalités qui ont provoqué les récents événements en Tunisie et en Egypte. Plutôt qu'un passe-partout capable d'ouvrir toutes les portes des bouleversements en cours, l'essor d'Internet et de ses différentes applications ne serait qu'une clé dans un trousseau qui en comporte bien d'autres telles que les progrès de l'éducation, l'urbanisation galopante de populations majoritairement très jeunes ou encore l'accélération de la diffusion de références culturelles exogènes…”
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