C'est un cri d'alarme que viennent de lancer les artisans bijoutiers de la wilaya de Tizi Ouzou et principalement ceux de Beni Yenni, toujours soucieux de l'avenir de ce métier traditionnel, un art séculaire qui commence à se perdre dans les méandres d'une gestion monopolisée. “Le bruit du marteau qui résonne à travers les ruelles du village et l'odeur du brûlé qui se dégage des fonderies ne sont qu'un lointain souvenir”, se rappelle, non sans nostalgie, un vieux bijoutier d'Ath Yanni. En effet, l'absence de matière première rend la mission de ces artisans bijoutiers de plus en plus difficile. Les quelques bijoutiers qui subsistent encore pointent du doigt la société Agenor. Cette dernière, chargée de la distribution équitable de cette matière, semble ne plus assurer sa mission dans les règles de l'art. “Agenor, créée il y a 40 ans pour assurer la mission d'importer et d'approvisionner les artisans en matières premières et de soutenir leur activité, connaît une grave crise structurelle”, selon ces artisans. Ces derniers ont la nette impression d'être pris en otages par une entreprise qui tarde à améliorer ses méthodes de travail. Au niveau de Tizi Ouzou, une succursale d'Agenor a même été ouverte depuis près d'une décennie mais elle n'arrive pas à répondre à la demande des bijoutiers locaux car elle ne reçoit pratiquement aucun quota de la société-mère d'Alger qui détient le monopole. Celle-ci délivre un à deux kilogrammes d'argent par artisan une fois par trimestre, et encore. Ce qui est insuffisant face à la demande et au nombre d'ateliers qui activent au niveau de la wilaya. “Les artisans payent rubis sur l'ongle leurs achats auprès d'Agenor, contribuant ainsi au maintien d'une entreprise et de ses salariés qui devraient en retour leur témoigner une reconnaissance ou tout au moins du respect, en améliorant un tant soit peut la qualité du service, de la communication et les méthodes de travail. Dans le cas contraire, il appartient aux pouvoirs publics de trouver rapidement des solutions adéquates”, dira un autre bijoutier indigné. “Quand on se présente l'après-midi, on nous dit que la caisse est fermée. On passe alors la nuit à Alger, mais curieusement, le lendemain matin vers 9h, l'on nous rétorque que tout a été vendu. Alors, qui croire ?” lancera le même artisan. Il estime qu'une telle carence ouvre la porte au trafic et encourage toute forme de spéculation, et ce, en créant des marchés parallèles spécialisés dans la vente de bijoux contrefaits, mi-argent et mi-cuivre. Cela porte atteinte directement à l'économie locale en matière de vente de bijoux traditionnels. C'est là du “trabendisme”, qui fait que plusieurs artisans ont préféré changer de créneau, tant ce métier ne fait plus nourrir des familles comme autrefois. Dans les années 1985, rien que pour la commune d'Ath Yanni, 350 artisans ont été recensés, tous possédaient des cartes d'artisan, en plus des ouvriers et des apprentis qu'ils employaient, soit 65% de la population active de la commune. Actuellement, ils seraient à peine une cinquantaine d'artisans à exercer encore légalement ce métier. C'est certainement un préjudice commercial et culturel considérable pour une région renommée pour ses artisans bijoutiers. Les responsables concernés sont interpellés pour intervenir afin de trouver une solution, de lancer une réflexion globale sur l'avenir de l'artisanat et des métiers d'arts traditionnels, à court et à moyen termes pour impulser une dynamique nouvelle. De nombreux artisans, rencontrés à Tizi Ouzou et Beni Yenni, estiment que la saison estivale est pratiquement ratée pour eux dans la mesure où ils travaillent l'argent en hiver et le commercialisent en été.