Nous avions écrit dans un quotidien national, au sujet d'une contribution datée du mardi 17 avril 2009 intitulée : “Bouteflika acte trois et la suite…”: “…Il faut bien admettre qu'une situation politique nouvelle se dessine en Algérie ; le renforcement des pouvoirs du président de la République, l'inexistence quasitotale de contre-pouvoirs, le verrouillage du champ médiatique, en particulier la télévision et la radio, l'instrumentalisation des deux chambres du Parlement ainsi que de la principale organisation syndicale, constituent des facteurs de risques de dérive autoritaire dont la tentation du pouvoir ne fait plus de doute… Le pouvoir ayant effacé tous les acquis démocratiques nés dans le sillage d'Octobre 88, se renferme dans un autisme insensé devant les immenses attentes et les profondes aspirations du peuple à la démocratie et au bien-être. C'est en cela que le système politique algérien s'inscrit à contre-courant de l'histoire…” La mondialisation, processus à la fois complexe et contradictoire, a suscité beaucoup d'espoirs et engendré dans le même temps, beaucoup d'inquiétudes, régulièrement exprimées par les altermondialistes, lors des rencontres au sommet des grands de la planète (G8, G20). Ce nouvel ordre mondial, marqué notamment par l'irruption de puissances émergentes (Chine, Mexique, Brésil…) sur la scène politique, économique et diplomatique internationale, n'a pas encore fini de se reconfigurer stratégiquement, que le monde arabe vient, à son tour, de connaître des soubresauts qualitatifs à travers les admirables mouvements pour le changement et l'instauration de la démocratie, portés courageusement par les jeunesses tunisienne, égyptienne, yéménite et libyenne contre la tyrannie de leurs despotes. Dans ce contexte international mouvementé et porteur de lourdes menaces sur la paix et la stabilité internationale et régionale, l'Algérie s'apprête à entamer le cinquantième anniversaire de son indépendance après avoir mené victorieusement, l'une des guerres les plus terribles contre le colonialisme français pour son émancipation sociale, économique et politique. La période post-indépendance a été marquée globalement par trois grandes phases. La période 1962 à 1980 a été consacrée à l'édification de l'état et de ses institutions, à la mise en place d'une base de développement économique à travers, notamment, une politique volontariste d'industrialisation et de collectivisation des terres agricoles et enfin le lancement d'un vaste programme d'éducation, d'enseignement et de protection sociale à travers la médecine gratuite. Cette vision du développement intégré (révolution industrielle, agraire et culturelle) - même si, implicitement, elle reposait sur un consensus national - a été menée à la hussarde par un état aux “caractéristiques jacobines”, seul aux commandes du pouvoir. Elle s'est accomplie cependant, au détriment des libertés individuelles et collectives, le verrouillage du champ politique et médiatique… La période 1990- 2000, peut être considérée comme celle de l'ouverture démocratique et du fonctionnement pluraliste des institutions, sous la double pression interne et externe. Au plan interne, la gestion économique débridée, irrationnelle, au contenu purement mercantile et spéculatif - entre 1980 et 1990 — avec une destruction insensée de la base économique, à travers notamment, la fameuse restructuration des entreprises, conjuguée à la chute brutale des revenus liés aux hydrocarbures et à la pression autoritariste du pouvoir de l'époque sur la société — application du fameux “article 120” qui excluait toute autre forme d'expression et de sensibilité autre que celle du FLN parti unique, et dans le même temps, marginalisait des pans entiers du mouvement ouvrier, syndical et de l'encadrement des entreprises et de l'administration, — de même que la mise au chômage de dizaine de milliers de travailleurs, ont abouti à l'explosion d'Octobre 88 et à l'adoption de la Constitution de 89, ouvrant ainsi la voie au pluralisme, à l'alternance au pouvoir et à l'émergence des réformes économiques. Au plan externe, la chute du mur de Berlin, a annoncé la fin du bloc socialiste et l'affirmation du libéralisme comme mode de gestion privilégié des sociétés humaines. Dans ce double contexte, porteur de bouleversements planétaires majeurs, l'Algérie, au bord de l'asphyxie financière, allait connaître l'une des périodes les plus dramatiques de son histoire contemporaine : terrorisme, ajustement structurel douloureux, isolement diplomatique. Les années 2000-2010 sont marquées par l'avènement du pouvoir actuel. Le rétablissement de la situation sécuritaire, grâce à la lutte des forces de sécurité et à la mobilisation des citoyens, le retour de l'Algérie sur la scène internationale, la reconstitution des réserves de change et le désendettement anticipé grâce à l'embellie pétrolière, le lancement de grands projets de réalisation des infrastructures de base, la mise en œuvre de programmes ambitieux de logements, tels sont, notamment, les chantiers réalisés dans le cadre des programmes quinquennaux qui ont nécessité plus de 400 milliards de dollars. à côté de ces aspects indéniablement positifs, il reste que de grands questionnements s'imposent autour du mode de gouvernance, de la gestion de la sphère microéconomique, du manque de lisibilité ainsi que des hésitations dans la politique macroéconomique d'ensemble, et enfin, des lenteurs mises dans l'application des réformes. Les balbutiements d'un retour vers le patriotisme économique, par la prise de mesures de sauvegarde, à travers notamment la loi de finance complémentaire 2009, ont mis à nu les contradictions entre, d'une part, le capital productif national privé et public, et d'autre part, les tenants de la rente et de la spéculation. Dans ce contexte de crispation politique et économique, l'éclatement de scandales successifs, notamment dans le secteur des hydrocarbures, jette le discrédit sur le mode de gouvernance et la stratégie à long terme de gestion rationnelle de nos ressources énergétiques et de celle de l'économie nationale de façon générale. Par ailleurs, le faible taux de productivité de l'appareil de production nationale, les contraintes de financement des opérateurs privés, couplées aux “hésitations idéologiques” des partisans du tout-état et de la faible performance des entreprises publiques économiques, en dépit des mesures de redressement et de mise à niveau prises en leur faveur, nourrissent le scepticisme des observateurs politiques quant à la capacité des gouvernants, à préconiser des réformes en profondeur pour préparer l'après-pétrole. De telles réformes ne peuvent évidemment pas se limiter à la seule sphère économique. Elles doivent englober tous les segments de la vie politique, sociale et culturelle. Au-delà de l'importance de l'enveloppe financière qui est consacrée à la consolidation de la relance économique à l'horizon 2013, ce sera à l'aune de l'ouverture authentiquement démocratique que la crédibilité du pouvoir se jouera et que l'avenir de l'Algérie dans le concert des nations modernes se déterminera. S'il est évident de tenir compte des expériences universelles et de tirer les enseignements qui s'imposent sur ce qui se passe chez nos voisins et dans le monde arabe en général, — d'autant que beaucoup de similitudes politiques, sociales et sociologiques, notamment celle de la nature des régimes, nous rapprochent de ces derniers —, il est tout aussi évident de noter et de ne jamais oublier que la révolution algérienne a été à l'avant-garde des luttes émancipatrices des peuples opprimés. De même que les Algériens ont continué et continuent toujours de lutter pour leur liberté et leur dignité. Les réduire à une “faune budgétivore” serait une grave erreur. Octobre 88, aussi douloureux qu'il aura été pour notre société, n'aura pas moins marqué la mémoire collective de notre nation pour que “jamais ne sera plus comme avant”. Nous avions également écrit dans la même contribution en 2009 : “Bouteflika se trouve objectivement face à un choix d'une extrême sensibilité. Les promesses politiques, sociales et économiques qu'il a faites lors de sa campagne électorale, ne peuvent se réaliser que dans la mesure où les conditions démocratiques sont réunies. Une telle alternative exigera de lui un courage politique, à la fois de rupture et de changement des mœurs pratiquées jusqu'alors par le système… En revanche, s'il opte pour le camp de ceux qui recherchent le compromis avec l'intégrisme religieux, pour faire fructifier leurs richesses au détriment des intérêts de la collectivité nationale, il aura raté l'entrée dans l'histoire par la grande porte.” Ce choix est plus que jamais d'actualité, d'autant que les rues du monde arabe sont en ébullition et que le temps presse, pour que notre pays ne soit pas emporté par une autre bourrasque qui risque de lui être fatale. A. H. (*) ancien cadre supérieur de l'état en retraite.