Bien qu'il ne soit pas totalement blanc, le tableau dressé par l'organisation Reporters sans frontières dans son rapport 2007, sur l'état de la presse et des journalistes en Algérie, met en évidence une certaine détente entre le pouvoir et les professionnels des médias. « Les autorités ont soufflé le chaud et le froid sur les médias algériens en 2006. » C'est comme cela que Reporters sans frontières (RSF) résume la situation de la presse et des journalistes en Algérie. Si l'ONG dirigée par Robert Ménard relève que le pouvoir a quelque peu desserré son étreinte sur les journaux et les journalistes, elle ne pense pas moins que le champ de la liberté d'expression est rétréci via l'adoption de la loi sur la paix et la réconciliation nationale. En l'occurrence, RSF note dans le registre des satisfactions la mesure d'amnistie décrétée par le chef de l'Etat au profit des journalistes condamnés pour des délits de presse et la libération, en début d'année, de plusieurs journalistes incarcérés. Mais cette initiative « n'a pas été accompagnée d'une réforme, très attendue, du code de la presse ». Et de remarquer que si la décision du président Abdelaziz Bouteflika, le 5 juillet 2006, de gracier les professionnels de l'information condamnés pour « diffamation et outrage à institution et corps constitués » a certes libéré de nombreux journalistes du carcan judiciaire auquel ils étaient soumis, « cela n'a pas mis fin pour autant à la répression de la presse algérienne ». RSF inscrit dans le dossier noir du pouvoir algérien pour l'année 2006, « les poursuites judiciaires et la peur de voir un nouveau quotidien fermé, comme ce fut le cas deux années auparavant pour le quotidien Le Matin ». Une crainte que l'organisation souligne avoir perçue « chez de nombreux directeurs de publication ». Elle en veut d'autant plus que « cinq journalistes ont été interpellés pendant l'année ». Au plan législatif, RSF regrette que le code de la presse « prévoit toujours des peines de prison, notamment pour toute mise en cause du président de la République dans des termes injurieux, insultants ou diffamatoires ». Mais ce qui semble inquiéter au plus haut point l'ONG de M. Ménard, c'est l'ordonnance portant sur la mise en œuvre de la charte pour la paix et la réconciliation nationale, votée en 2006 et qui se révèle, d'après elle, « tout aussi dangereuse pour les professionnels des médias ». Précisant que ce texte peut donner lieu à « de multiples interprétations ». RSF rappelle qu'il prévoit des peines de cinq ans de prison et des amendes pour tout individu qui « par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, nuire à l'honorabilité de ses agents qui l'ont dignement servie, ou ternir l'image de l'Algérie sur le plan international ». Toujours dans le chapitre des mauvais points distribués au pouvoir politique en Algérie, Reporters sans frontières estime dans son rapport 2007 que « les procès qui se sont ouverts cette année sont particulièrement représentatifs de l'instrumentalisation de la justice par les autorités algériennes ». L'organisation craint que les sanctions, déjà tombées en première instance, « ne marquent le début d'un nouveau feuilleton politico-judiciaire dont l'issue semble jouée d'avance ». L'instrumentalisation de la justice par le pouvoir en Algérie passe pour une évidence aux yeux de RSF. La preuve ? Le tribunal de Hussein Dey, dans la banlieue est d'Alger, a condamné, lit-on le 31 octobre, le directeur du quotidien Ech Chourouk, Ali Fodil, et la journaliste Naïla Berrahal à six mois de prison ferme et 20 000 DA (soit l'équivalent de 220 euros) d'amende suite à une plainte en diffamation déposée par le président libyen Mouammar Kadhafi. Le même tribunal a également prononcé la suspension du journal pendant deux mois et l'a condamné à verser au chef d'Etat 500 000 DA (5 500 euros) de dommages et intérêts. Reporters sans frontières cite également une autre affaire, où le tribunal de Jijel a condamné par défaut, le 25 décembre, Omar Belhouchet, directeur de publication du quotidien El Watan, et le chroniqueur Chawki Amari à trois mois de prison ferme pour « diffamation » après la publication d'un article, au mois de juin, dénonçant les malversations d'un haut fonctionnaire. L'ONG de défense de la liberté d'expression dans le monde a aussi intégré dans son rapport l'affaire de notre confrère Arezki Aït Larbi, correspondant des journaux français Le Figaro et Ouest France, à qui les autorités ont refusé le renouvellement de son passeport sous prétexte qu'il était condamné à une peine de six mois de prison datant de décembre 1997 sur plainte déposée par un ancien directeur du département d'application des peines, rattaché au ministère de la Justice. RSF a enfin sérié les dommages collatéraux de la publication des fameuses caricatures blasphématoires à l'égard du Prophète (QSSSL), les cas de Kamal Bousaâd et Berkane Bouderbala, directeurs des hebdomadaires arabophones Errissala et Essafir, qui ont été incarcérés pendant un mois pour avoir reproduit les dessins controversés. Cette mesure, rappelle RSF, a fait suite à une plainte du ministère de la Communication sur la base de l'article 144 bis alinéa 2 du code pénal qui prévoit de trois à cinq ans de prison pour « toute personne qui offense le Prophète et les envoyés de Dieu ou dénigre le dogme ou les préceptes de l'Islam ». L'organisation note, par ailleurs, le limogeage des deux directeurs des chaînes publiques de télévision Canal Algérie et A3 pour le même délit et dont l'affaire est en cours.