En Tunisie, la situation est encore plus précaire car les militantes des droits de la femme sont confrontées à une véritable censure dans les médias locaux, à la solde du pouvoir. Succomber au charme puéril de la sirène libanaise Nancy Adjram ou céder aux sermons sibyllins de Amr Khaled, le prédicateur bon chic bon genre de nationalité égyptienne. La jeune chanteuse à succès crève les écrans des chaînes musicales arabes, tandis que le cheikh prêche régulièrement sur la chaîne religieuse Iqra'. Elle est exubérante. Il est austère. Elle prône une occidentalisation outrancière et vaporeuse. Il affiche un discours rétrograde. Des deux, lequel suivre ? Face au verrouillage des télévisions locales, ou à leur insipidité, les femmes arabes, celles du Maghreb en particulier, ont les yeux rivés sur les satellites d'Orient. Souvent, l'analphabétisme les empêche de regarder ailleurs. Dès lors, elles se trouvent ballottées entre Nancy et Amr, ne sachant à qui se vouer, au saint ou à la madone, ni quelle voix “de la déraison” suivre. Les dégâts sont énormes. Le voile progresse En Tunisie, le nombre de jeunes filles portant le voile ne cesse de progresser. Les autorités ont commencé par émettre une circulaire interdisant le hidjab dans les établissements scolaires avant de se rétracter. Elles ont fléchi face à l'avancée de l'intégrisme comme elles se plient volontiers aux caprices des teen-agers et font des starlettes de la Star Academy de la chaîne libanaise MBC des idoles. “Tunis 7 — la chaîne gouvernementale— a donné plus de crédit aux prouesses vocales de la candidate tunisienne au concours de chant qu'à l'exploit d'une physicienne qui a défrayé la chronique outre-mer”, déplore une militante de l'Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD). Cette militante intervenait à l'ouverture du séminaire sur “les approches gouvernementales et non gouvernementales sur la question femmes et médias” qui a eu lieu, samedi et dimanche derniers, à Tunis. Cette rencontre initiée par l'ATFD entre dans le cadre d'un vaste programme de sensibilisation et d'aide à l'émancipation de la femme dans le Maghreb intitulé “Moussaouat” (égalité). Cofinancé par l'Union européenne et la fondation allemande Friedrich Neumann à hauteur de 600 000 euros, le projet vieux de trois ans profite à deux autres organisations, l'Association marocaine pour les droits des femmes (AMDF) ainsi que SOS Femmes en détresse d'Algérie. Ce n'est pas la première fois que les trois partenaires se donnent rendez-vous pour réfléchir à une démarche d'ensemble pouvant aider leurs concitoyennes à améliorer leurs conditions. En avril dernier, ces associations se retrouvaient à Rabat où le thème du débat s'articulait autour de la violence faite au sexe faible. Dans les prochains jours, Alger abritera une troisième rencontre devant clôturer le rapport qui sera remis aux pourvoyeurs de fonds au plus tard le 15 mai. De cet argent, les trois associations ont profité pour se doter d'infrastructures (c'est le cas de SOS Femmes en détresse qui a ouvert un centre d'écoute à Batna) et à élaborer une stratégie commune d'intervention. Comment changer les choses ? Grâce à quelle alchimie le regard des hommes marocains, algériens et tunisiens sera-t-il débarrassé des préjugés archaïques et des intentions dissolues ? La femme n'est ni une poupée ni une poule pondeuse. Depuis des décennies, des escadrons féministes prêchent dans le désert. Les militantes s'égosillent sans que leurs cris parviennent aux décideurs ou à l'opinion. Ils se transforment en murmures ou sont tout bonnement tus. Car rarement, ces défenseuses acharnées ont accès aux fameuses boîtes de résonance magiques, toutes ces chaînes qui fleurissent dans des tas de bouquets numériques arabes et qui leur refusent le micro. “Il y a un programme diffusé par El Jazira — la chaîne qatarie d'information — qui s'intitule “Li enissaa faqat (pour les femmes uniquement)”. La présentatrice préfère y inviter des intégristes et exècre les féministes. Lors du débat sur l'amendement de la Moudawana au Maroc (en 2004), elle a donné la parole exclusivement à des représentantes du parti islamiste (PJD). “Quant aux démocrates présentes sur le plateau, son désir était de les désavouer en leur signifiant par exemple qu'en exigeant le recul de l'âge de mariage pour les jeunes filles, elles encouragent le célibat et la dépravation”, s'élève Shouissa Roumaha, secrétaire générale de l'AMDF. L'effet dévastateur des médias Outrée par cette manipulation médiatique, elle ne tarit pas de témoignages. Elle rapporte ainsi que la programmation d'un feuilleton égyptien El Hadj Metwali, traitant des péripéties grotesques d'un mari polygame, a coïncidé avec le débat sur la Moudawana. “On nous a présenté ce personnage comme sympathique, équitable avec ses quatre épouses. Après cela comment voulez-vous changer les mentalités ?” déplore Mme Roumaha. S'il est entendu que la modification du code du statut personnel au Maroc tient d'abord d'une volonté royale, l'apport des associations féminines à travers la sensibilisation de la presse est largement défendu par les représentantes de l'AMDF. Avocate au barreau de Casablanca, Me Zahia Ammamou évoque avec grand enthousiasme le réseau associatif constitué autour de l'amendement de la Moudawana. Portant la dénomination prometteuse de Rabie el moussaout (le printemps de l'égalité), ce collectif a investi les médias à travers une campagne intensive de sensibilisation de l'opinion. “Grâce à l'aide d'experts dans les médias, nous avons élaboré des spots publicitaires diffusés aux heures de grande écoute. Ces encarts traitaient de cas de détresse féminine que notre propre centre d'écoute a pris en charge, dont la chasse du domicile conjugal et le refus du mari de payer la pension alimentaire”, explique Me Ammamou. De son avis, partagé d'ailleurs par toutes les participantes, “la place de la femme dans la société passe par la place qu'elle occupe dans les médias”. En Algérie, l'ouverture du champ médiatique au début des années 90 a grandement profité aux militantes pour les droits de la femme. Cependant, ont-elles réussi à faire évoluer la société ? Dans notre pays, bien que l'air de la liberté soit plus fort, il n'a pas réussi à franchir une porte, en particulier la télévision où les femmes démocrates n'ont pas droit de cité. Faisant valoir une seule face de la médaille, la plus étincelante, l'Unique s'accroche à des clichés. On y parle de la promotion de la femme à divers postes de responsabilité, dont celui de ministre, mais il n'y a point d'écho sur celles qui font régulièrement l'objet de violence, sont démunies ou comme les mères célibataires qui sont rejetées par leurs proches au motif d'avoir violé le code moral de la société. Par ailleurs, jamais la Télévision algérienne ne s'est impliquée en faveur de la révision du code de la famille. En sa qualité d'organe d'état, elle s'est contentée de réfléchir le discours officiel en dents de scie. Dans la presse écrite privée, les espaces d'expression des féministes, bien qu'existant, tendent à devenir conjoncturels. Journalistes et femmes à qui la faute ? Rahima Bendaoud, représentante de SOS Femmes en détresse, a relevé dans sa communication devant ses camarades tunisiennes et marocaines la part congrue réservée à la gent féminine dans les rédactions. Chiffres à l'appui, elle a recensé deux directrices de publication uniquement. Cependant, être journaliste femme et responsable suffit-il pour assurer une couverture efficiente et régulière du combat associatif ? à l'instar de trois journalistes algériennes, une consoeur tunisienne du Renouveau, un quotidien appartenant au Rassemblement constitutionnel et démocratique (RCD) du président Zine El Abidine Ben Ali, a répondu à l'invitation de l'ATFD. Pour autant, elle n'a fait aucun compte rendu de la rencontre. Prise à parti par ses compatriotes, elle se défendra de militer pour les droits des femmes. “Je vais dans toutes les localités de Tunisie à la rencontre de femmes démunies. J'ai fait le portrait d'une charbonnière qui, aujourd'hui, est à la tête d'une petite exploitation agricole”, s'enorgueillit-elle. Essia Belhassen, responsable de l'information, réplique vivement en soulignant qu'il n'y a pas que des femmes qui réussissent dans son pays, d'autres endurent seules et en silence leurs supplices. “Même le nom de notre association est interdit de cité dans les médias”, dénonce-t-elle. Rendant compte à l'assistance des actes d'un séminaire organisé en 2002 sur l'image des Tunisiennes dans les médias, Zohra Lachhab, juriste et également membre de l'ATFD, évoque l'instrumentalisation des acquis obtenus sous l'ère Bourguiba. “Soit, on dit la même chose et on est reconnaissante, soit on nous défend de parler”, s'indigne-t-elle. Déjà à l'ouverture du séminaire, Mokhtar Trifi, président de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme, avait donné un aperçu sur le traitement réservé aux militantes associatives par la presse de son pays. Si elles ne sont pas agressées physiquement, elles sont accusées d'avoir une moralité légère. Encore une fois, comment changer les choses ? Les recommandations des deux ateliers mis en place au second jour du séminaire maghrébin et la déclaration finale ont abouti à une série de recommandations, dont la plus importante, à savoir la mise en place d'un réseau d'informations qui transcende les frontières terrestres et la censure des pouvoirs locaux. L'accès des femmes aux Nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) figure également sur la liste des résolutions. Cette exigence est l'une des clauses de la plate-forme de Pékin de 1995 que les gouvernements des trois pays continuent en partie à ignorer. Dix ans sont passés, c'est autant de temps perdu. S. L.