Ce qui se passe en Libye concerne l'Algérie au plus haut point. C'est l'avis de la majorité des présents, hier après-midi, à la conférence de réflexion organisée par le think-thank algérien, le CRSS (Centre de recherche stratégique et sécuritaire) à son siège à Ben Aknoun. Une évidence autour de laquelle tournent plus de questions, et surtout d'appréhensions, que de certitudes. Cela s'est vérifié quand le sujet du jour : “Perspectives stratégiques et militaires de l'embargo aérien sur la Libye” a été abordé. “Quelles sont les implications sur nous ?”, était une des interrogations posées par l'ex-ministre, Abdelaziz Rahabi avant de livrer son constat : “Nous avons été insuffisamment informés sur la position du gouvernement”. Tout en nuançant ses propos, l'ex-secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, Hocine Maghlaoui, ira dans le même sens. Ainsi, il affirma que “la position de l'Algérie était claire”, il précisera que “la décision a été mal défendue au sein de la Ligue arabe”. De son côté, le directeur du CRSS, le docteur M'hand Berkouk, posait une question plus “large” en se demandant quel sera l'avenir politique de la Libye et de l'Algérie, tout en mentionnant que les frontières entre les deux pays étaient “assez poreuses”. Le même intervenant n'a pas omis d'exprimer ses “craintes” du fait qu'“aucune limite de temps n'a été mentionnée dans la résolution onusienne sur l'embargo aérien”, tout en se donnant pour seule limite à ne pas franchir l'occupation de territoire. Catégorique, l'ex-ambassadeur algérien au Mali, Abdelkrim Ghrib, a affirmé que l'issue est soit le partage de la Libye “si les résolutions de l'Onu sont respectées”, soit son “irakisation”. Il ne cachera pas son scepticisme, en précisant que grâce aux “changements” introduits en Tunisie et en Egypte, “on a réintroduit l'islamisme officiellement”. “Si en Egypte, il y a eu 77% de oui au référendum, c'est parce que les islamistes l'ont soutenu, et en Tunisie, les islamistes passeront en cas d'élections”, affirme-t-il. En parlant des opposants à Kadhafi, il parie que la Libye serait, selon lui, dans la même situation. “Il y a des islamistes en nombre dans l'opposition libyenne et cela se voit dans leurs tenues et dans leur langage”. Un avis qu'Abdelaziz Rahabi ne partage pas. “Nous sommes en train de projeter nos échecs sur le monde arabe”. L'ex-diplomate algérien reviendra sur le “déficit d'explication” de l'Algérie officielle en lançant un appel : “Nous devons tous être d'accord sur la politique étrangère du pays”. Pour lui, un des indices du flou entourant la position algérienne réside dans la terminologie utilisée. “Même dans la presse publique, il n'y a pas de consensus puisqu'on parle une fois d'opposition, une autre fois de rebelles ou encore d'insurgés !”. Se voulant plus explicite, il dira que “nous sommes encerclés par des exemples de transition démocratique et par le Sud”, indiquant que “nous sommes absents au Sahel (…) et nous n'avons pas eu de politique africaine depuis 10 ans”. Hormis ces interventions, il faut mentionner l'approche “technico-opérationnelle” sur l'embargo aérien imposé à la Libye, qu'a donné Noureddine Amrani, colonel en retraite. Après avoir expliqué les modalités de l'application de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l'ONU, il posera des questions : “Est-ce que l'engagement terrestre va s'établir ?”, “la résolution a-t-elle répondu aux buts stratégiques attendus ?” À l'instar des autres, l'ex-officier affichera ses craintes : “Je crains les combats de rue”, dit-il, précisant que l'aviation, dans ce genre de situation, “ne peut pas distinguer”. À ces peurs et ces craintes des intervenants, une indication de taille s'est imposée. Les présents donnaient l'impression de ne pas avoir saisi toutes les données de ce qui se passe dans la région, et surtout des répercussions futures. Un “futur” qui est pourtant si proche…