Les monarchies arabes du Golfe veulent se débarrasser du président yéménite Ali Abdallah Saleh, avant que la révolte populaire qui s'est installée ne déborde sur ses frontières. Le Yémen, pays parmi les plus pauvres de la planète, est voisin de l'Arabie Saoudite. Le Premier ministre du Qatar, cheikh Hamad ben Jassem ben Jabr Al-Thani, n'y est pas allé par quatre chemins pour dire que le Conseil de coopération du Golfe (CCG), dont son pays assure la présidence, va conclure un accord avec le président yéménite sur son départ. Le CCG doit organiser une rencontre entre ses pays membres et des représentants du président Saleh, probablement aujourd'hui, sinon lundi. L'Arabie Saoudite, le Bahreïn, les Emirats arabes unis, Oman, Qatar et Koweït jouent la montre, persuadés que le feu couve non seulement à leurs frontières mais aussi chez eux. Ryad et Koweït n'ont-ils pas hésité à porter secours au roitelet de Bahreïn lorsqu'il s'avéra que son opposition était sur le point de le balayer sinon de le contraindre à lâcher prise en matière de gouvernance. Des forces armées saoudiennes et des brigades de police koweïtiennes sont intervenues à Manama pour tuer dans l'œuf le printemps arabe version Bahreïn, au mépris de l'opposition des Etats-Unis dont pourtant les monarchies saoudienne et koweïtienne sont redevables pour tout, surtout leur propre sécurité. À l'initiative de Ryad, le petit monarque de Bahreïn a même détruit les trois palmiers de 90 mètres de la place Perle de sa capitale que les insurgés avaient symboliquement rebaptisée place Tahrir, l'épicentre de la révolution égyptienne qui s'est débarrassée de Moubarak et de ses enfants. Par la suite, Washington a été obligé de s'aligner sur le point de vue de Ryad. Le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, a examiné mercredi dernier, juste avant que le CCG ne décide de chasser Saleh du Yémen, avec le roi Abdallah, “des moyens de stopper les actes déstabilisateurs dans la région”, en accusant… l'Iran de chercher à créer des troubles. Obama a ainsi repris la thèse saoudienne selon laquelle le Golfe arabe serait directement menacé par les ayatollahs de Téhéran. Il faut dire que dans tout le Golfe, les minorités chiites revendiquent ouvertement l'abolition de leur statut de sous-citoyens. À Manama, comme à Ryad où à Koweït-City, les chiites sont victimes de discriminations multiples, dont l'inaccessibilité à la fonction publique ou aux forces de sécurité. En outre, ils sont constamment sous haute surveillance et accusés de tous les maux qui frappent ces monarchies richissimes. Gates a renouvelé au roi Abdallah, dont la relation privilégiée est l'un des piliers de la stratégie américaine dans le Golfe, région cruciale pour l'approvisionnement du monde en pétrole, le plein appui de son pays concernant le Yémen, tout en affirmant, s'il en est besoin, que Washington partageait la même méfiance à l'égard de l'Iran. L'Arabie Saoudite et les Etats-Unis accusent l'Iran de vouloir déstabiliser la région et d'y comploter contre les monarchies sunnites en utilisant les communautés chiites lesquelles dénoncent cet amalgame, réitérant que leur révolution démocratique découle naturellement du printemps arabe. Les chiites bahreïnis ont eux-mêmes mis en garde le régime iranien contre toute velléité d'ingérence, de quelque nature que ce soit. Mais les Etats-Unis tiennent à l'idée saoudienne : “Nous détenons des preuves selon lesquelles les Iraniens tentent d'exploiter la situation à Bahreïn et (...) envisagent de créer des problèmes ailleurs”, a déclaré Gates avant de quitter le royaume saoudien. Le secrétaire d'Etat d'Obama a même donné son quitus à Ryad pour jouer au gendarme dans le Golfe : “Les Saoudiens ne s'inquiètent pas pour eux-mêmes. Ils s'inquiètent pour ce qui se passe dans la région, y compris l'attitude de l'Iran.” À ce propos, la coopération militaire entre Washington et Ryad est au top avec le mégacontrat d'armements de 60 milliards de dollars signé l'an passé. Ainsi, après la normalisation au Bahreïn, qui abrite la Ve flotte américaine, et qui a été le théâtre d'affrontements sanglants entre la police et des manifestants en majorité chiites réclamant des réformes de mi-février à mi-mars, le CCG s'est tourné vers le Yémen, voisin pauvre et instable du géant pétrolier saoudien, théâtre d'une violente contestation contre le président Ali Abdallah Saleh qui jusqu'ici est resté sourd aux appels de son allié américain à faciliter la mise en place d'une transition ordonnée et pacifique du pouvoir. Washington et Ryad s'inquiètent surtout que ces troubles au Yémen permettent la résurgence des émules d'El-Qaïda, que les Etats-Unis considèrent comme la menace la plus grave pour leur sécurité, et que la dynastie des Al-Saoud voit comme son ennemi juré. Sitôt Gates parti chez lui, le roi Abdallah a invité l'opposition et le régime yéménites à se retrouver chez lui à Ryad pour des tractations visant à mettre en place les mécanismes de cette transition. Le Premier ministre qatari a indiqué qu'une proposition de médiation serait envoyée sous peu au président Saleh et à l'opposition. L'offre du CCG implique : le départ du Président, la remise du pouvoir au vice-président et la formation d'un gouvernement d'union nationale, en attendant l'organisation de nouvelles élections. L'offre de médiation comprend un élément persuasif pour le président yéménite : la garantie pour lui et sa famille qu'ils ne seront pas poursuivis en justice. Comme Ben Ali et Moubarak, Saleh, au pouvoir depuis 32 ans, a longtemps été un allié des Etats-Unis et d'autres pays occidentaux dans leur lutte contre El-Qaïda. Et comme les tyrans de Tunis et du Caire, le Yéménite se voit retirer le soutien d'Obama. Il ne lui reste plus qu'à prendre la porte de la sortie s'il ne veut pas se voir chasser brutalement par des manifestations qui se poursuivent. Plus d'une centaine de personnes ont été tuées depuis le début du mouvement de protestation, et les contestataires ne quitteront pas la rue avant l'annonce du départ du président Saleh. D. Bouatta