Ouverte le 31 mars dernier, la 5e édition de l'exposition de photos anciennes de Blida qui s'est tenue dans le hall de la salle El Manar, vient de s'achever. L'exposition de l'œuvre de conservation magistrale du poète et artiste pluriel Youcef Ouragui (féru de musique arabo-andalouse, il a touché aussi au cinéma et au théâtre : il a joué dans La nuit a peur du soleil, Les folles années du twist, Le petit vendeur de petit lait, ainsi que dans diverses pièces de théâtre aux côtés de Saloua et des regrettés Mustapha Bentchoubane et Abderrahmane Aziz, entre autres), 74 ans, a attiré de nombreux curieux, nostalgiques, étudiants et enseignants mais aussi des touristes. Depuis plus de 40 ans, Youcef Ouragui collectionne avec passion tout ce qui restitue la mémoire de l'ancienne Blida : photos, cartes postales, gravures, plans… qu'il dépoussière et classe par époques. Il achète aussi guides et livres et porte un vif intérêt aux souvenirs des personnes âgées. Alors inspecteur de l'hygiène à la mairie de Blida, il consulte infatigablement, hors des heures de service, les archives, prend des notes et conserve précieusement le moindre papier jeté qui porte les traces du passé. Aujourd'hui, sa collection réunit plus de 300 photos originelles (il en aurait comptabilisé plus si on ne lui en avait pas volé) dont il fera, à ses propres frais, des copies et des agrandissements avec encadrements pour les besoins des expositions. La galerie de photos s'articule autour des époques andalouse, ottomane et coloniale. On y retrouve les 7 portes de la ville, les quartiers et monuments anciens (dont les mosquées), les mausolées des saints patrons, la diligence, la place d'Armes (bien avant la construction du kiosque), le Pin géant qui servait de potence du temps du dey… Sur des tables joliment décorées et surmontées de bouquets de fleurs, de précieux registres et un livre d'or renferment des dossiers patiemment élaborés par Youcef Ouragui qui y a consigné informations et explications, faits marquants, commentaires… appuyés par des photos autour de divers thèmes, dont les traditions et coutumes de Blida, l'art culinaire ancien sur la base des recettes de sa grand-mère et une liste de noms de fleurs consignées en arabe et en français. Un véritable voyage à travers l'histoire de Blida ressuscitée par la grâce de ces documents et par les textes de l'auteur empreints d'un souci d'authenticité et de toute la passion qu'il nourrit pour sa ville. Et il est intarissable, Youcef Ouragui, devant chaque photo, chaque texte qu'il a écrit : il cite des dates et évoque anecdotes, faits insolites, souvenirs de jeunesse cocasses, personnages loufoques, agrémentant ses paroles de dictons typiques de Blida. Intarissable, aussi, pour raconter, comme s'il l'avait vécue, l'arrivée à Blida de Sidi Yacoub, venu du Maroc pour se rendre à La Mecque, et sa mort (comme il l'aurait prévu) sur les lieux de ce qui se nommera plus tard le Bois Sacré, évoquer l'apport de Sid Ahmed El Kebir l'Andalou, Napoléon III, le roi Béhanzin du Dahomey déporté en 1894 avec ses femmes, à Blida, mais aussi d'illustres hommes de lettres, hommes politiques nés dans la ville. Dans un de ses textes, il qualifiera sa ville natale de “reste d'un corps meurtri mais qui vit toujours” en incitant les Blidéens à se réveiller après ce beau voyage à travers les siècles pour reprendre en main le sort de celle que le saint patron de Miliana, Sid Ahmed Benyoucef, nomma El Ouréda(la petite rose), et à être “les gardiens de la mémoire du riche patrimoine culturel et historique du quartier El Djoun (ou douirète) datant du XVIe siècle”. C'est tout son cœur et son âme que Youcef Ouragui met dans cette collection et ces expositions dont il se fait le devoir de faire profiter ceux qui le désirent. Gracieusement, alors qu'il y consacre, lui, son temps et une bonne partie de sa maigre retraite. Depuis le début de l'exposition, c'est lui, nous apprend-on, qui fleurit la galerie avec des fleurs fraîchement cueillies, aujourd'hui, rares : anémones, freesias, roses anciennes, mufliers… Chaque phrase écrite de la main d'Ouragui renferme la beauté de l'ancienne Blida mais aussi toute la sensibilité de celui qui garde la tendre mémoire des douces berceuses séculaires de sa mère qui mourut quand il avait six ans. Le texte fort émouvant de l'une d'entre elles enfoui dans la mémoire des quinquagénaires et plus, Blidéens et Algérois, figure dans un des cahiers de ce digne représentant de la ville fondée par Sid Ahmed El Kebir : le conteur modeste, le précieux guide qui passe aisément d'un siècle à l'autre pour évoquer ses particularités, ses couleurs, ses parfums naturels où domine, forcément, celui de la rose, une fleur symbole qui a tendance, aujourd'hui, à se raréfier. Un homme qui mérite assurément plus que la charge de la régie des festivals de Blida pour lesquels il est sollicité.