Jeudi dernier, la petite ville balnéaire Salamandre, à quelques encablures du chef-lieu de wilaya, Mostaganem, a revêtu son habit de fête pour célébrer le 30ème anniversaire du théâtre de la troupe El Moudja avec une soirée musicale et un gâteau, évidemment. La fête s'est étalée sur deux jours, dont le deuxième, vendredi dernier, a été dédié au 4ème art. Plusieurs représentations théâtrales ont été données par des troupes venues pour la fête mais aussi, et surtout, pour soutenir la troupe El Moudja dans sa lutte pour préserver son petit théâtre rustique de la destruction à laquelle il est promis par la wilaya qui veut ériger à sa place une station balnéaire. Les artistes ont lancé à ce propos un appel aux autorités. Vendredi matin, direction le théâtre Osmane Fethi (El Moudja) où la troupe Ould Abderrahmane Kaki a donné une représentation pour enfants devant un public nombreux. La représentation a été suivie d'une conférence-débat animée par Djamel Bessaber, commissaire du Festival du théâtre amateur de Mostaganem, Feth Ennour Ben Brahim, responsable de la communication au niveau du Théâtre national algérien, Chergui Mohammed, professeur à l'université d'Oran… Le thème de la rencontre était «le théâtre amateur, ses débuts, ses caractéristiques». A côté du théâtre, l'exposition organisée par la troupe El Moudja est restée ouverte au public durant les deux jours de festivités. Ce fut l'occasion pour les curieux de s'imprégner du passé de la troupe. La salle qui abritait l'exposition est une vieille cabane en bois aménagée en restaurant par un Syrien. A l'entrée, divers articles de presse et quelques tableaux avec les photos des grandes figures ayant marqué l'histoire du théâtre à Mostaganem sont accrochés à des panneaux. A côté, il y avait les costumes que la troupe a utilisés, quelques pièces de décor, des photographies des archives de la troupe, des scénarios de pièces et les différents trophées et prix obtenus lors des compétitions nationales et internationales. Sur de petites tables sont disposées des fiches techniques de pièces. On sentait que l'exposition a été improvisée, mais la touche artistique qu'on y a mis en a fait une réussite. Elle a d'ailleurs attiré beaucoup de visiteurs. Il y avait même un groupe de Chinois. Manifestement, ils ont été conquis, même s'ils ne comprenaient pas un traître mot. Ils se sont contentés de hocher la tête en souriant. Des plans de sauvetage 15h tapantes, direction la maison de la culture de la wilaya de Mostaganem Ould Abderrahmane Kaki pour les derniers préparatifs en compagnie de l'association culturelle Kahouadji Abderrahmane venue spécialement d'Oran pour donner une représentation de sa dernière production, Qui entend qui, mise en scène par Lahbib Medjaheri. La pièce de 55mn et 7 tableaux est un concentré de messages politiques. Tantôt sibyllins, tantôt directs, ils seront applaudis par le public qui a vite fait de les saisir. On retrouve Amina Medjaheri dans le rôle principal, celui d'une petite orpheline qui a hérité d'une chèvre de sa grand-mère. L'animal est accusé de violation de loi parce qu'il a brouté dans un espace public devenu propriété privée du sultan. L'orpheline tente de libérer sa chèvre. Là commence son aventure ou plutôt sa mésaventure avec les autorités. Du simple gardien de la dechra au sultan, en passant par le juge, on tente de la corrompre mais, femme naïve et foncièrement honnête, elle refuse. «C'est une création inspirée des contes», nous dira le metteur en scène. Le texte est signé Abdelkader Amrache, journaliste à l'Echo d'Oran. Quant à la scénographie, elle de Sorali Ahmed. Le metteur en scène nous confiera que la générale de la pièce sera donnée à la salle El Mouggar le 9 mars prochain. Après une après-midi assez mouvementée et riche, direction le théâtre El Moudja où la troupe El Ichara devait présenter sa pièce Voyage à 18h. Le temps se fait beau et les gens sont venus nombreux. La salle du théâtre El Moudja, dont la capacité ne dépasse pas une cinquantaine de personnes, est pleine. Certains suivront le spectacle debout. D'autres s'agglutineront contre la porte essayant de saisir au vol quelques répliques qui s'échappent de la salle. Dehors, au niveau du restaurant abritant l'exposition, c'est une tout autre ambiance. Nous nous sommes installés en compagnie de quelques comédiens de la troupe sur la terrasse donnant directement sur la mer, bercés par le bruit du ressac et face à un coucher de soleil divin. En face, les torchères de la raffinerie d'Arzew illuminent l'horizon. Mais la féerie du tableau est gâtée par la gravité du sujet débattu. Les jeunes comédiens parlent du sort réservé à leur théâtre menacé de démolition. «Le plan des autorités a prévu de construire une autoroute qui passe directement par ici. Vous voyez cette vue, cette ambiance, eh bien leurs jours sont comptés ! C'est vraiment dommage», nous dira l'un d'autre eux avec un léger soupir de désolation. Sedik Ben Yagoub, jeune comédien et secrétaire adjoint de l'association El Moudja, tente, quant à lui, de trouver un alibi, une solution pour sauver leur petit cocon. «Vous savez, c'est fini. Ils vont le détruire. Il ne nous reste qu'à espérer un bel emplacement près de la mer, car El Moudja [la vague, ndlr] ne peut s'éloigner de son élément», dira-t-il. Pour leur part, Sedik et Seloua, deux responsables de la troupe, architectes de formation, réagissent de manière pragmatique. Ensemble, ils ont décidé de travailler sur un plan d'aménagement pour préserver le théâtre sans aller contre le projet des autorités locales. «Nous allons faire un petit croquis pour la restauration du théâtre, car il ne gêne pas vraiment leur projet. Ce croquis sera remis à toutes les autorités concernées. Espérons seulement qu'elles vont le regarder et entendre nos sollicitations», déclare Sedik. De la plage, on peut voir la beauté du théâtre et surtout comprendre la colère des comédiens qualifiant de «crime» l'idée de sa démolition. En effet, le théâtre est bâti sur une petite parcelle de terrain, avec un prolongement sur pilotis. «Parfois, pendant les répétitions, surtout en hiver, le bruit des vagues nous arrive jusque dans la salle. C'est beau, hallucinant et cela nous inspire beaucoup», dira Bachir Boudjemaa, comédien et fils du directeur du théâtre. «Si les autorités voulaient faire un effort, il est très facile de le restaurer, au lieu de le détruire», ajoutera-t-il. Le père, Djillali Boudjemaa, directeur du théâtre et père de la troupe, nous confiera que «lundi dernier, un groupe d'architectes est venu rendre visite à ce site mythique. Ils étaient curieux de voir El Moudja». «Les architectes étaient tellement charmés par l'endroit qu'ils ont promis de dresser un plan pour sauver le théâtre et qu'ils en appelleraient au plus haut responsable du pays, le président Bouteflika, pour qu'il fasse un geste pour ce petit théâtre.» «Il ne nous reste qu'à espérer. Je suis positif», conclura-t-il. Avec deux plans dressés par des architectes, un appel aux autorités et un autre au Président, il serait dramatique que l'espoir s'éteigne. On serait même en droit de croire au retour à la sagesse. Après tout, un théâtre retapé à neuf ne peut aucunement déparer un front de mer ou une station balnéaire, bien au contraire. Un théâtre en sursis Après le dîner, tout le monde revient à la salle d'El Moudja pour assister à Malgré tout bladi je t'aime, un one-man-show de Mohamed, jeune comédien d'Oran. Le spectacle met en scène Rachid, un jeune binational parti en France pour terminer ses études. Il a quitté son pays dans les années 1990 pour construire son avenir. Mais sa carte de séjour expire et il se retrouve dans l'obligation de recourir au mariage avec une étrangère pour décrocher le sésame. Il épousera Katy, une Américaine travaillant comme mannequin professionnel. Ils filent le parfait amour jusqu'au jour où Rachid annonce à sa femme qu'ils vont aller en Algérie rendre visite à sa famille. Mais le pays, en pleine décennie noire, avait une mauvaise image chez les étrangers. Le comédien fait montre d'un véritable talent, passant d'un personnage à un autre. Les spectateurs ont apprécié le spectacle. Le texte, osé et très pertinent, enchaînait les répliques ironiques et la dérision. Le comédien a été chaleureusement applaudi. Il y aura même des youyous dans la petite salle. Ainsi, la troupe d'El Moudja s'est donnée à fond durant deux jours pour réussir sa fête et celle du théâtre, avec l'espoir de voir les choses bouger aussi bien pour cet art que pour le petit théâtre. En l'espace de 2 jours, tous les membres se sont mobilisés, que se soit sur scène ou en dehors, donnant un bel exemple de solidarité et de persévérance. 30 ans sont déjà passés et il reste encore beaucoup d'années devant El Moudja, si les pouvoirs publics décident de sauvegarder l'une des rares institutions théâtrales que possède la wilaya de Mostaganem. En attendant cette sage décision, El Moudja surfe sur les vagues d'une mer démontée. W. S.