Je tiens, tout d'abord, à saluer l'initiative du quotidien Liberté, pour son appel à contribution sur le sujet de l'option du nucléaire pour notre pays et conséquemment sur celui du mix énergétique le plus approprié pour l'Algérie ; les contributions attendues, probablement nombreuses, surtout de la part des experts du sujet “énergie”, restés silencieux pour ne pas avoir trouvé jusque-là une tribune d'expression adéquate, enrichiront le débat et donneront des éclairages autorisés à l'endroit des citoyens qui se veulent et se sentent concernés par un sujet aussi vital pour notre pays. La problématique de l'énergie chez nous revêt non seulement un caractère stratégique mais représente le nœud gordien pour tout développement économique à venir. Cette problématique se caractérise par : - des réserves prouvées en pétrole brut et condensats (pétrole léger), aujourd'hui relativement modestes, au point que, toutes choses égales par ailleurs (notamment en termes de stabilisation du niveau de ces réserves et du maintien de la croissance de la consommation domestique aux environs des 10-12% par an actuels), nous commencerions à importer du pétrole brut (ou des produits raffinés) dans une dizaine d'années. Cela voudra dire que les rentrées en devises dues à l'exportation de pétrole brut et de condensats vont aller en décroissant et se tariront totalement d'ici là ; il nous faudra alors consacrer une part de plus en plus importante de nos rentrées en devises provenant notamment de l'exportation du gaz pour importer le pétrole nécessaire à nos besoins, au détriment d'importations plus valorisables, voire socialement vitales ; nous risquons alors de vivre un véritable drame politique et social ; - des réserves prouvées en gaz naturel traditionnel qui pourront couvrir les besoins du pays pour une période de l'ordre de 30 ans environ, toutes choses égales par ailleurs (notamment en termes de stabilisation du stock actuel des réserves prouvées et de la croissance de consommation observée sans développement pétrochimique important) et dans la mesure où le niveau d'exportation est réajusté à cet objectif de couverture, en prenant en compte uniquement les réserves prouvées pour cet hydrocarbure. Dans la mesure où des réserves supplémentaires sont mises à jour, elles viendraient conforter l'objectif de couverture de nos besoins à long terme, d'autant qu'il s'agit là d'une énergie relativement noble, notamment du fait de son impact écologique moins négatif. L'apport du gaz naturel dit “non conventionnel” ne serait pris en compte que lorsque les faisabilités technique, économique et écologique de sa production aura été largement démontrée ; alors le ratio d'exportation pourrait être revu à la hausse, toujours sans perdre de vue la couverture des besoins nationaux sur un long terme raisonnable ; il nous faudra privilégier la consommation domestique de gaz par rapport au pétrole, pour maximiser la rente ramenée par les hydrocarbures sachant que le pétrole rapporte dix fois plus de rente que le gaz, à l'unité thermique équivalente et aussi pour avoir un impact écologique nettement moins négatif ; -des gisements d'énergie géothermique (eaux chaudes thermales), nombreuses et dispersées, qui n'ont pas encore fait l'objet d'exploitation et qui gagneraient à l'être dans la mesure où leur rentabilité est assurée ; bien entendu, elle ne pèsera pas lourd dans le mix énergétique d'autant qu'elle sera surtout à vocation relativement locale mais elle aura l'avantage d'être renouvelable et donc pérenne ; - quelques gisements modestes d'énergie éolienne, surtout dans le sud-ouest du pays et dont l'exploitation doit être encouragée et accélérée ; - d'immenses gisements d'énergie solaire sur l'ensemble du pays et particulièrement dans les Hauts-Plateaux et le Sahara ; l'exploitation de cette énergie doit être immédiate pour la production d'eau chaude domestique et autre (solaire thermique) à l'instar de ce qui se fait chez nos voisins tunisiens auprès de qui nous pourrions nous inspirer pour les aspects techniques et de promotion. À noter que cette filière est intégrable en totalité par l'industrie algérienne ; l'exploitation du solaire photovoltaïque doit être généralisée partout où elle s'impose (isolement des clients, applications spéciales telles que l'éclairage routier, la protection cathodique des pipes, les télécommunications…), pour éviter l'écueil de la rentabilité financière, l'investissement dans cette filière devra être soutenu par l'Etat, la technologie de cette filière est largement intégrable chez nous ; le solaire thermodynamique, c'est-à-dire par concentration, du type CSP, doit être une grande priorité dans la satisfaction de nos besoins énergétiques, d'autant que l'intégration industrielle nationale est possible pour tous les équipements à l'exception des machines tournantes spécifiques (turbines par exemple) pour lesquelles il faudra développer une stratégie d'intégration à moyen-long terme ; tous les partenariats dans le solaire énergétique (Desertec et autres) sont bons à prendre pour peu que nos intérêts soient sauvegardés et maximisés, ces intérêts correspondent à la satisfaction des besoins nationaux en énergie capteur du solaire, l'exportation de masse de l'électricité solaire ou la participation effective à celle-ci pour nous permettre de générer une part des devises nécessaires à la poursuite de notre développement et enfin satisfaire à l'objectif d'une intégration industrielle nationale, totale si possible à terme. Partout où cela est possible, il nous faudra remplacer l'énergie fossile consommée par l'énergie d'origine solaire, en commençant dès maintenant, nous pourrons alors sauvegarder les réserves équivalentes en énergie fossile (hydrocarbures) pour en faire une source de devises lorsque le besoin s'en fera sentir et/ou prolonger la durée de vie de nos réserves d'hydrocarbures ; - un autre gisement à privilégier, c'est celui des économies d'énergie, l'agence algérienne Aprue, doit recevoir un traitement politique aussi privilégié que celui de Sonatrach grâce à une politique volontariste et motivante de l'Etat en s'inspirant des méthodes des agences françaises comme l'Afme qui ont obtenu des résultats absolument fabuleux dans la réduction de la facture énergétique française et dans la diminution de l'intensité énergétique de son économie. En Algérie, on peut avancer sans exagérer que ce gisement correspond à plus de 30% de surconsommation énergétique globale qui pourrait être économisée, c'est un vaste chantier qui doit toucher tous les secteurs mais dont la rentabilité est probablement équivalente à celle des hydrocarbures liquides ; il s'agit d'un chantier très prioritaire et dont le lancement doit être immédiat. Essayons maintenant de répondre à la question de l'option du nucléaire civil, dans le mix énergétique algérien. En ce qui me concerne, je me déclare totalement opposé au développement de l'énergie nucléaire, non seulement dans notre pays, mais même, dans la mesure où l'accord de l'Algérie est sollicité, au niveau de l'ensemble de l'Afrique du Nord et des Etats du Sahel. Les arguments que je présente pour soutenir ma position sont les suivants : 1- Il s'agit d'une filière pratiquement impossible à maîtriser par des pays encore en voie de développement comme le nôtre et surtout appartenant à la sphère dite arabo-islamique. Nous resterions trop dépendants du pays développé qui nous construira les installations et de ceux qui accepteront d'être nos partenaires dans l'exploitation. En effet : - il s'agit là d'une filière dont le contenu scientifique et surtout technologique, essentiel, est pour longtemps encore hors de notre portée aussi bien du fait de notre retard de développement que du fait que les leaders de la filière s'efforceront de maintenir le gap de connaissance et de maîtrise pour mieux valoriser et/ou préserver tous leurs intérêts ; nous serions donc obligés d'accepter une assistance technique très importante aussi bien pour l'ensemble de la réalisation de l'investissement que et surtout pour l'exploitation et la sécurité ; ce qui entraînera un surcoût conséquent évident (en investissement et en exploitation) ainsi qu'une grande dépendance du partenaire étranger dans un secteur aussi stratégique que l'énergie ; - nos réserves en uranium, connues actuellement, restent modestes pour le long terme, en supposant un développement normal de la filière et rien ne peut nous garantir une source complémentaire directe extérieure pour laquelle nous serions en compétition avec beaucoup plus fort que nous, les pays occidentaux notamment ; - sachant que l'enrichissement de l'uranium naturel, obligatoire pour en faire un combustible acceptable, nous sera interdit par les “grands” (pour mémoire, l'épreuve de force à ce propos entre l'Iran et les pays décideurs de l'AIEA), nous viendrions à être obligés d'acheter notre uranium enrichi auprès de l'oligopole des quelques pays qui en font commerce, ce qui entraînera une dépendance supplémentaire importante pour nous, avec tous les aléas politico-économiques que cela peut entraîner, sans mentionner l'aspect “sécurité” de transport de cet uranium enrichi. Nous pourrions aussi envoyer notre uranium naturel vers un pays occidental ou autre pour le faire enrichir et le recevoir en retour avec la facture d'enrichissement probablement difficile à négocier et la même dépendance que pour un achat direct ; - nous serions encore dépendants pour le retraitement des déchets radioactifs, avant leur stockage ; à ma connaissance seuls 4 ou 5 pays disposent de capacité de retraitement (exemple de l'usine de la Hague en France) ; une telle opération nécessitera l'envoi des déchets par voie terrestre et maritime puis une fois retraités, à des coûts probablement non négociables, il s'agira de les réacheminer vers leur lieu de stockage provisoire ou définitif, en Algérie ; ces transports et manipulations soulèveront de gros problèmes de sécurité et probablement des oppositions sociales, à l'instar des relations dans ce domaine entre la France et l'Allemagne ; - il faudra bien ensuite trouver et mettre en œuvre une solution définitive de stockage des déchets radioactifs ; lorsque l'on voit les débats incessants et les oppositions sociales relatifs à ce problème, en Europe, on se rend alors compte de la complexité et des implications sociétales graves que pose le stockage définitif des déchets radioactifs, sans parler des coûts qui, à ma connaissance, ne sont même pas encore cernés par les pays développés nucléarisés, et n'interviennent pas encore dans le coût du KWH nucléaire ; - un autre grand problème que pose la filière énergétique nucléaire est aussi le démantèlement des centrales en fin de vie (au bout de 30 à 40 ans d'exploitation), le traitement des matériaux et équipements radioactifs et l'enfouissement éventuel du site sous chape de plomb et/ou de béton. À ma connaissance, il n'y a pas encore d'expérience complète de démantèlement de par le monde ; les difficultés et le coût final ne sont donc pas encore bien cernés, a fortiori pour un pays comme le nôtre qui restera là-encore dépendant de la solution qui lui sera imposée par le partenaire choisi ; - l'implantation de toute centrale nucléaire industrielle (capacité de l'ordre de 1500 MW) devra nécessairement se faire en bord de mer pour répondre aux besoins importants en eau nécessaire au process, du fait que nous ne disposons pas de cours d'eau à débit important et suffisant pour installer la centrale à l'intérieur du pays. Il se trouve que le littoral algérien correspond à une zone sismique sur toute son étendue, certes avec des intensités et des fréquences moindres que celles du Japon par exemple mais suffisantes pour avoir pu détruire la ville d'Oran à la fin du XVIIIe siècle (un tsunami a suivi le tremblement de terre), la ville de Chlef en 1953 et 1980 et enfin celle de Boumerdès en 2003, tremblement de terre qui a même entraîné un recul de la mer sur la côte algérienne et un tsunami de faible ampleur sur les Baléares. Un important surcoût d'investissement et même d'exploitation devra être consenti pour répondre à ces risques potentiels et rien ne dit que le niveau du risque auquel sera conçue la centrale ne sera pas dépassé un jour, rien ni personne ne pourra jamais le garantir ; - nous avons enfin la chance d'avoir des réserves d'hydrocarbures, notamment en gaz, lesquelles, bien gérées, en priorité pour les besoins nationaux, pourraient nous permettre de couvrir une bonne partie de nos besoins énergétiques probablement jusque vers 2050 ; cette hypothèse reste à confirmer, notamment en termes de profil de production possible jusqu'à cet horizon au moins ; - de plus, toute implantation de centrale nucléaire sur l'ensemble de l'Afrique du Nord, probablement jusqu'en Egypte ainsi que dans les pays du Sahel, ferait courir un risque potentiel aux Algériens, en cas d'incident majeur qui entraînerait une pollution grave de l'atmosphère et/ou des eaux de la Méditerranée ; nos pouvoirs devront en conséquence avancer ce risque majeur pour contrer toute décision en matière de nucléaire civil dans les pays concernés ; - il faut enfin remarquer qu'il y a un recul très important de l'investissement dans l'énergie nucléaire à travers le monde qui a entraÎné un “peak-nuclear” (pic nucléaire) depuis 2010, avec une prévision de décroissance importante qui entraÎnerait une sortie totale du nucléaire dans le monde vers 2058 (voir le rapport Nuclear power after Fukushima de Mars 2011, du Worldwtch Institute, d'après les données de l'AIEA). 2 - Nous avons encore plus de chance d'avoir les gisements solaires des Hauts-Plateaux et de notre Sahara, inépuisables. À cet égard, il faudrait être volontariste avec des objectifs maximalistes pour développer l'énergie solaire dans toutes ses variantes (thermique, photovoltaïque, CSP et autres), en en faisant une industrie nationale et d'exportation avec la meilleure intégration possible ; ceci est possible et à notre portée à court terme même si nous aurons besoin pour démarrer d'un partenariat. 3 - Les énergies éolienne et de géothermie, dont les gisements sont plutôt faibles chez nous ne sont pas à négliger et doivent être développés partout où cela est possible économiquement. Les énergies renouvelables des points 3 et 4 doivent recevoir une priorité stratégique de développement, d'une part pour remplacer en partie notre consommation en hydrocarbures afin de faire durer plus longtemps nos réserves en énergie fossile, d'autre part pour développer une industrie du solaire (engineering, équipements et réalisation) progressivement intégrée et avec des capacités à l'exportation ; ce genre d'industrie est à notre portée pour peu que la volonté politique y soit le plus tôt possible pour nous faire une place dans l'industrie mondiale du solaire. De plus nous avons tous les atouts pour être économiquement le meilleur partenaire de l'Europe dans les projets d'exportation d'énergie solaire : proximité, étendues d'ensoleillement (Sahara + Hauts-Plateaux), potentiel des gisements, infrastructures notamment pétrolières qui peuvent être utilisés pour le développement du solaire. En termes de conclusion, il nous faut rapidement mettre en place un modèle de consommation énergétique national basé sur les principes suivants : - faire un audit exhaustif et complet sur les réserves prouvées en hydrocarbures, sur le potentiel exact des énergies renouvelables non solaires, sur les schémas possibles d'aménagement d'installations solaires de grande capacité en liaison avec l'existence d'infrastructures d'accompagnement ; -définir les réserves stratégiques en pétrole et gaz naturel, à conserver dans le sous-sol pour notre consommation nationale à très long terme, jusqu'à la maturation des énergies renouvelables nationales pour leur capacité à couvrir tous les besoins énergétiques nationaux ; - en premier lieu, développer les énergies renouvelables et notamment le solaire, partout où cela est possible et nécessaire ; - développer l'énergie électrique à l'exportation, en retenant les bons partenaires pour cela ; - privilégier la consommation de gaz naturel et de GPL à celle d'hydrocarbures liquides ; - développer et maintenir une politique de maîtrise de l'énergie en faisant une chasse impitoyable au gaspillage avec l'incitation nécessaire et suffisante pour la faire accepter. R. H. (*) Retraité du secteur de l'énergie