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Algérie, Quel imaginaire national ?
Publié dans Liberté le 30 - 07 - 2011

Le moteur des mouvements nationaux de protestation contre les systèmes dictatoriaux dans les pays du monde arabe (Tunisie, Egypte, Libye, Yémen, Syrie, Bahrein, Maroc), leur principale détermination sociétale et politique, aura concerné l'exigence d'une transformation des règles et des appareils du pouvoir. Les conjonctures d'affrontements qui se sont développées sur les scènes des pays du Maghreb et du Machreq et dans les oasis d'argent expriment, dans leur mode initial, le profond dépit de structures sociales entières et évoluent perceptiblement en dynamiques, embrasées ou révolutionnaires, portées par l'entraînement populaire de compénétrations politique, affective et identitaire et de revendications inédites.
Il est possible de reconsidérer aujourd'hui, à travers l'appréciation de leurs marqueurs particuliers, les mouvements qui ont achevé les règnes interminables des présidents tunisien et égyptien. Pour les acteurs nationaux de ces pays et dans le constat largement appuyé et étayé des multiples observateurs internes et externes, ces révolutions sont aujourd'hui traversées de lignes de séparation, d'incertitude et d'affrontements insidieux et le printemps arabe de grisaille. Cette réalité des faits est plus pénible pour des pays comme la Libye et la Syrie où la procession des morts préfigure déjà la fixation de haines que ne résorbera jamais le changement de
régime.
Une conjoncture algérienne
En Algérie, des émeutes - injustement et maladroitement qualifiées “d'émeutes de l'huile et du sucre” animées principalement par une partie latente de la jeunesse, fragile et périphérique - exprimaient une problématique décentrée des politiques de pouvoirs, en dehors des requêtes de succession et de rupture, que seront les modèles tunisien et égyptien, mais fondée sur une demande de vie et de plénitude individuelles formatées aux registres médiatisés des sociétés occidentales. Aussi, les jeunesses algériennes n'ont pas envisagé la refondation du régime politique - cette projection ne peut être qu'une fiction - mais une réappropriation des espaces et des dimensions de vie, dont celle du corps dans ses déclinaisons sociale, biologique, esthétique, mutante, consumériste et dogmatique.
On aura constaté que des formations politiques et des mouvements sociaux ont tenté de se greffer à ces émeutes en en formulant une caractérisation politique motivée par les diffractions sociales et économiques. Or, cette recherche de délégation, dans laquelle des avis divers rattachent le travail de l'émeute, par ailleurs récurrent, à une détermination de rupture politique peut paraître douteuse et dangereuse car elle révèle une stratégie de recouvrement et d'instrumentalisation d'une impulsion insulaire et sans ressorts idéologiques patentés.
Dans l'enchaînement des horizons d'attente exprimés aux plans national et international, souvent arrimés au travail de la rue, et pour contourner de probables situations d'éclatement, la résolution du pouvoir en Algérie, portée par un ersatz de discours à la nation prononcé par le président de la République, s'est cantonnée dans une projection de réformes cryptopolitiques qui, en définitive, permettront au système de perdurer. Car ces résolutions sont sans consonance politique et s'emboîtent aux contenus des contestations, souvent timorées, relayées par des acteurs de partis et de la société civile, à l'exclusion des catégories sociales majoritaires des travailleurs, de la classe moyenne et des précaires, relatives à la cession du pouvoir.
Dans son mode implicite, l'intervention du président de la République fait table rase des conjonctures troublées du pays, des passifs de la gestion sociale et politique et, particulièrement, des souffrances de la mémoire, des haines réciproques, de l'étendue de la détestation et de la privatisation des richesses du pays.
Car, à aucun endroit, les destinataires escomptés de son discours ne sont identifiés et sa dimension interactive est restée neutralisée ou aseptisée, loin des questionnements du champ social. Beaucoup d'Algériens n'auront pas caché leur déception devant l'incongruité du discours présidentiel et en ont exprimé un sentiment de frustration et de colère. Mais, davantage, c'est la verticalité de la communication et sa platitude émotionnelle, l'opacité de l'intention, la linéarité sèche de ses propositions qui ont précipité le scepticisme de nombreux citoyens et des attitudes controversées de barrage des formules de droit, illustrées notamment par des demandes d'intercession de l'armée.
De fait, au moment où la société bruissait de tourments et d'attentes inépuisables, le chef de l'Etat n'a formulé que le répertoire d'un programme de réformes que chacun sait sans capacité d'entraînement et où la ripaille réunira les mêmes vautours.
Il se dégage alors une évidence dans les divers affrontements qui marquent la scène sociale en Algérie : l'absence d'un imaginaire national dans les différents énoncés et l'abrasement de toute vie politique. Car comment établir la certitude d'un choix, la justesse d'une perspective et l'impératif d'une transformation en dehors de l'appui immatériel de la pensée de construction nationale et de référencement politique ?
Dans le discours du président de la République, quels sont les vecteurs qui pourraient rassembler les citoyens de Ghar Slim et de Hydra ? Quelle communauté de sens de la vie, des valeurs et des espérances auront-nous entendu ? Quel programme de reconquête de la dignité, de reconnaissance du mérite et de lutte contre le déclassement social aura traversé l'écoute de millions de personnes en Algérie ? Et quel aveu de manquement à l'idéal de fraternité et
d'apaisement ?
Peut-on légitimement s'interroger sur l'objet de la société dans l'entendement du président de la République, déjà marqué dans l'inconscient collectif et dans la mémoire publique par son silence et sa passivité devant de nombreuses sollicitations, souvent dramatiques, du champ social et l'imperméabilité de sa compassion pour la douleur de ses concitoyens ? Faut-il souligner l'évidence et dire que le discours présidentiel ne peut fonctionner que comme une ordonnance à l'usage des technocrates habituels et ne concerne pas le mouvement profond de la société désincarnée.
Car dans les attendus de l'allocution présidentielle, il n'existe aucune allusion aux possibles, au recommencement de la vie, à l'appel du partage, au redressement des valeurs humaines, au sacerdoce de l'école, au droit à la santé, à l'incessibilité des libertés et à l'accès à la parole. De même, aucun bilan sincère n'est venu relativiser la suffisance des régnants sur les transactions frauduleuses, l'oblitération de l'Etat de droit, l'absence de justice pour les plus faibles, la perte du sentiment d'appartenance et la prescription de fragilités.
L'intervention du président paraît donc indécidable. Cette vacuité n'est pourtant pas une règle dans le jeu politique. Lors de leurs campagnes respectives pour l'élection présidentielle en France et aux USA, Nicolas Sarkozy et Barack Obama ont appuyé leurs propositions politiques sur des arguments en mesure de renforcer et de légitimer l'imaginaire national perçu comme une passerelle pour les précaires, les exclus du champ politique et de la dynamique socioéconomique. Souvenons-nous de la formule persuasive d'Obama “Yes, we can” et la vague d'espérance qu'elle a générée parce qu'elle interpellait les plus faibles et les déclassés et promettait une refondation du partage et de la justice.
En France, Sarkozy a exploité ce même levier, du récit fondateur, en forgeant une communication politique destinée à la classe moyenne pourvoyeuse d'effort national : “Ensemble, tout est possible.” Souvenons-nous encore du message de Martin Luther King à sa race blessée qui ponctuait son discours de l'embrayeur “I have a dream”, comme une lueur d'espoir.
Certes, Obama et Sarkozy ont fléchi devant l'engrenage de guerres inutiles pour l'un et la captation par la société de l'argent pour l'autre. Mais, incontestablement, leur stratégie de communication était originale car elle entrevoyait une alternative à
l'incertitude.
Le paradigme de l'incertitude
L'élaboration de l'incertitude s'accompagne de la fermeture de l'information, de la dégradation de la qualité de personne, de la propension des violences, de la pauvreté et du recul de l'Etat de droit. Ainsi, l'inaccomplissement des règles de justice, des réparations symboliques, du travail de deuil et du sens de la vie réactualise les signes de pertes traumatiques, de dépossessions, de déclassement sociétal et de sentiment d'étrangeté inscrits dans une transmission générationnelle forgée dans la proximité des personnes, dans le cloisonnement des lieux, dans les communications de réseaux périphériques, dans la défaillance des pères et des tuteurs ou dans le silence des gouvernants incapables de formuler des avenirs et de se libérer des dettes sociales.
En Algérie, comme dans d'autres lieux, les frondeurs peuvent oublier les raisons de leur colère ou de leur violence ainsi que leurs motivations à vivre, car les mots et les affects qui les clarifient à leur esprit sont inopérants et dévitalisés. Et au delà des éprouvés de douleurs, des blessures et des tourments, les personnes construisent et anticipent une sensibilité de marques anciennes. La mort y apparaît comme un renoncement salutaire dont la récurrence et la sidération, ces derniers mois, dans l'acte d'immolation indiquent les limites de l'humanité et du partage. Concernant les déchirements de la scène algérienne et les fractures d'étapes de ses transformations, la mobilité des modèles sociopolitiques est indéniable mais leurs caractéristiques opératoires sont incertaines ou emmurées dans les stratégies de salons et de concertations aléatoires. Car très souvent, les acteurs politiques d'opposition se neutralisent dans des querelles internes de chefferie et de positionnement face aux faiseurs de pression. Nous avons pu le relever lorsque en janvier dernier des jeunes précaires se sont rebellés contre l'interdit de l'administration, concernant le commerce informel, des groupements de la société civile et des partis y ont perçu le départ d'une contestation frondeuse contre le régime. C'était l'expression d'une grande naïveté car les personnels des pratiques informelles ne se soulèveront jamais contre un pouvoir qu'ils savent être leur allié et leur bouclier et qui a déjà amendé les auteurs d'indicibles exactions.
Ce constat subjectivé, partagé par beaucoup de membres de la société qui ne se reconnaissent plus dans la détermination du discours public ni dans les actions des institutions de l'Etat, appelle un recentrage de l'éthique du pouvoir et de l'affrontement politique. Mais un recentrage qui ne serait pas dominé par la règle du monopole médiatique, de l'autorévélation de personnalités et de la répression policière obsessionnelle. Il est possible de mesurer chaque jour le mépris des régnants et de leurs serviteurs de tous bords – agents troubles, penseurs installés à l'étranger, binationaux à dorures, éminences du troisième âge, caciques maffieux et anciens maquisards propriétaires sur l'avenue Foch et face aux Jardins de Luxembourg, à Paris.
L'absence d'un imaginaire national et l'incapacité de préfigurer la cohérence de la vie ensemble est un indicateur de fragmentation. Celle-ci est déjà transcrite et agit en Algérie dans une multitude de codes symboliques et opératoires à propos de l'identité, du corps, des lignées spirituelles et politiques, de la règle d'autorité et des réseaux de la filiation. Elle est manifeste dans les usages de la vie communautaire et sociale où les riches sont plus arrogants et les pauvres davantage exposés à l'humiliation. Cette fragmentation marque un travail de décohabitation et de déculturation dont les effets se mesurent aux affects innommés, à la détresse des êtres, à l'incapacité de dire et à la formation du deuil.
Il s'agit de deuil attaché aux douleurs contenues, aux fractures des émotions, à la perte des enfants et des pères et au renoncement à soi. Deuil des identités, des appartenances et des valeurs. Ainsi, des Algériens s'éloignent de leur pays et de ses références. Car il n'existe plus de communion du sens de la vie partagée, ni des valeurs ni des rêves. Les solidarités sont disqualifiées au profit des procédures prédatrices et mutantes. Le sentiment de dépossession est prégnant et l'appartenance nationale n'est plus une qualité.
Dans l'Algérie actuelle, le travail de l'émeute, les stratégies oppositionnelles, l'esthétique du hidjab, l'inversion des rôles familiaux, la recherche de nouvelles spiritualités, la tentation de l'exil, la dépressivité suicidaire et les transmutations identitaires sont des formats qui traduisent la réorganisation des modalités de l'affrontement dans une culture insulaire de la qualité de personne. Dans les années à venir, ce mouvement sera plus important et produira d'autres éclatements de la société. Parce que nous ne pourrons plus nous entendre.
Cette projection cyclique de renaissance et de finitude, nous la portons dans nos actes ordinaires, dans nos espoirs et dans nos incertitudes. Mais nos déterminations individuelles ne dispensent pas les répondants du pouvoir du devoir de loyauté ni de contenir nos fractures.
M. M.
*Universitaire-chercheur Psychopathologue
Consultant international pour l'enfance et la famille, directeur scientifique de la revue Champs.


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