La place publique devient infréquentable pendant le mois de carême du fait des agressions et des rixes. Les plaintes pleuvent au quotidien chez les services de sécurité. Le ventre vide et l'esprit hanté par les “démons”, ajoutés aux chaleurs torrides d'un mois d'août qui ne fait que commencer, certains jeûneurs recourent à une rare violence. La vie d'un être humain ne vaut absolument pas grand-chose en Algérie. Surtout pendant le mois de Ramadhan. Elle ne tient qu'à un fil. Parfois à un simple regard qui tourne à la bagarre. Souvent à une geste délibéré par l'un ou par l'autre. Quelquefois pour une simple histoire de mauvais voisinage qui ressort au cœur du Ramadhan où des énergumènes ont les nerfs à fleur de peau. Sans limite et comme dans la jungle, certains jeûneurs se permettent tout. Cette année encore, alors que le mois sacré n'est qu'à son 6e jour, les Algériens assistent à des scénarios hitchcockiens. Pas moins de 100 blessés et 4 morts sont enregistrés à Mascara, Sétif, Alger, Annaba, Biskra, Oran, Constantine et Sétif. Le bilan est le résultat d'altercations qui ont viré au drame. À la mort. Pour les quatre premiers jours du Ramadhan, 2 000 bagarres, avec une moyenne quotidienne de 250 à 300 accrochages verbaux et rixes sont signalées. La violence est malheureusement ancrée dans les mœurs des Algériens. Ces quelques illustrations montrent jusqu'où l'homme, le ventre vide, pourrait en arriver. La veille du Ramadhan alors que les préparatifs allaient bon train, un homme a assassiné son épouse à Alger. La raison : un différend familial. Selon l'enquête de la Gendarmerie nationale, la victime a succombé à ses blessures causées par un coup de couteau asséné à sa nuque par son époux. Le mis en cause a été arrêté alors que le corps de la victime a été évacué à la morgue de Douéra. Le lendemain, le corps d'un ressortissant africain, âgé de 32 ans, en situation régulière sur le territoire algérien, a été découvert en bordure de la RN6 reliant Mascara à Saïda. La victime présentait des traces de violence au thorax et à la jambe gauche, occasionnées au moyen d'une arme blanche, selon les premiers éléments de la GN qui procède à l'enquête. Au deuxième jour du mois du Ramadhan, la violence a connu une escalade sans précédent. C'est ainsi qu'un chauffeur d'un camion, en position de stationnement en bordure de la RN46 à la commune d'El-Milia, a été accosté par trois malfaiteurs. Armés d'arme blanche et de barres de fer, ces malfrats ont saccagé toutes les vitres de son camion avant de le rouer de coups et le déposséder d'une somme de 5 000 dinars et de son téléphone portable. Alertés, les gendarmes de la brigade d'El-Milia se sont aussitôt déplacés sur les lieux où ils ont réussi, malgré l'obscurité, à interpeller deux auteurs présumés alors que le troisième est actuellement en fuite et fait l'objet de recherches chez les services de sécurité. Le même jour, vers 19h30, suite à un banal différend, un adolescent de 14 ans a tout simplement tué son frère âgé de 19 ans. Selon l'enquête menée par les gendarmes de Béni Zid, le drame a eu lieu devant le domicile parental où le mis en cause a asséné un coup de couteau à la victime lui occasionnant des blessures mortelles. Un drame familial qui a plongé la paisible localité de Béni Zid dans un terrible choc. Par ailleurs, les services de la Gendarmerie nationale ont enregistré des dizaines de plaintes pour coups et blessures volontaires (CBV), injures, menaces de morts et autres agressions sur la place publique. En effet, il ne se passe pas un jour sans que les mêmes services n'interviennent pour séparer des antagonistes qui s'échangent insultes, obscénités avant de buter sur des empoignades violentes. À El-Achour, deux pères de famille, pour une histoire de place au parking, en sont arrivés aux mains. Au carrefour de Dély-Ibrahim, reliant le complexe olympique du 5-Juillet à Ben Aknoun, c'est un automobiliste qui s'en est pris à une famille avant qu'il ne soit raisonné par des passants. Batailles rangées entre voisins et familles Une autre rixe spectaculaire a eu également lieu à Annaba. Et cette fois, ce sont deux familles de la cité Harrouchi, à Aïn El-Berda, qui se sont engagées dans une véritable bataille aux moyens de couteaux. La bagarre, qui a par ailleurs occasionné diverses blessures à trois personnes, s'est produite peu avant la rupture du jeûne. Les victimes ont été évacuées vers l'hôpital local où une d'entre elles a été transférée sur le Centre hospitalo-universitaire (CHU) d'Annaba. Durant la même journée, une autre tragédie s'est produite à la gare routière de Guellal, dans la wilaya de Sétif. Selon les enquêteurs qui se sont aussitôt déplacés sur place et qui ont évité le pire, un citoyen, âgé seulement de 19 ans et originaire de Ouled Chebel, a assassiné son voisin à coups de couteaux. La victime a rendu l'âme juste après son évacuation à l'hôpital d'Aïn Oulmène. En revanche, la seconde victime, son voisin également, a échappé de justesse aux blessures que le mis en cause lui avait occasionnées. L'assassin présumé demeure en fuite alors qu'une enquête a été ouverte pour déterminer les circonstances de cet autre drame. Dans les marchés, à l'intérieur des hôpitaux et des administrations, sur les routes, dans les aéroports, les gares routières et ferroviaires, les magasins et autres boulangeries, les bagarres sont monnaie courante. Avec tous les contrastes de la vie et des hommes, le Ramadhan finit par avoir raison de ces énergumènes qui le dénaturent. Dernière rixe, celle qui s'est produite hier matin, vers 7h30 à l'entrée du parking de l'aéroport international Houari-Boumediene d'Alger où deux citoyens se sont accrochés devant les voyageurs et les policiers en faction pour offrir un spectacle désolant et une image sinistre pour les hôtes du pays. Fort heureusement, les policiers ont vite maîtrisé les deux antagonistes. Mais l'autre drame demeure dans certains comportements insolites des antagonistes qui, furieux et prêts à commettre l'irréparable durant le jour, finissent, juste après la rupture du jeûne, autour d'une tasse de thé, d'un morceau de qalbellouz et d'une partie de domino. Ils iront même ensemble accomplir la prière des tarawih avant de se séparer comme si de rien n'était. Comme quoi “Errare Humanum Est” (l'erreur est humaine) et que l'homme trouve toujours sur qui endosser ses égarements. Le Ramadhan a encore une fois bon dos pour justifier des actes qui à la base relèvent beaucoup plus d'une absence d'éducation et de maîtrise de soi qu'autre chose. Si le premier enseignement du mois sacré est l'apprentissage de la patience, les Algériens finissent sous le coup de la faim, de la soif de la chaleur et de la fatigue à perdre le contrôle pour… commettre l'irréparable jusqu'à tuer.