Il est difficile par contre de déterminer de façon précise les périodes antiques où Berbères et Juifs ont commencé à cohabiter et à s'influencer les uns les autres. 6iéme partie Traitant le sujet, S. Gsell a écrit ceci: “Nous devons mentionner encore d'autres étrangers, dont l'établissement en Berbérie n'a pas été la conséquence d'une conquête. ... Ils [les juifs] étaient déjà assez nombreux à l'époque romaine, et il est à croire que la plupart d'entre eux étaient de véritables lépreux” (Gsell, I, pp. 280,281). H. Zafrani, lui, nous informe que le judaïsme maghrébin (le judaïsme historique s'entend)... est aussi le produit du terroir maghrébin où il est né, où il s'est fécondé, et où il a vécu durant près de deux millénaires, cultivant avec l'environnement, dans l'intimité du langage et l'analogie des structures mentales, une solidarité active, et une dose non négligeable de symbiotisme.... (Zafrani, Mille ans..., pp. 9 et 10). C'est dire qu'au fil des siècles la judéité s'est acclimatée en Afrique du Nord, sans dommage pour personne. L'existence d'une version berbère de la Haggada de Pesah (Zaffani,Litt) semble prouver que, sans prosélytisme actif, les petites colonies hébraïques de Berbérie ont servi de foyers à une assez importante judaïsation des autochtones ; on s'en convainc par l'observation, par-ci par-là, d'un certain nombre d'indices relevant de l'anthropologie culturelle, telle la tendance à faire souvent usage de prénoms d'origine juive, ou à considérer le samedi comme étant jour de repos. Il est cependant impossible de démontrer que des Imazighens de souche ont contribué à enrichir la pensée ou la littérature hébraïque. À l'inverse, c'est par pléiades que l'on peut citer des noms numides, libyens ou africains, c'est-à-dire berbères, ayant donné un éclat tout à fait particulier aux lettres latines. Déjà cité plus haut en tant que dramaturge, Térence a laissé six comédies... jouées entre 166 et 160 av. J. C, nous disent ses biographes. Sa “comédie [a été] caractérisée par le souci d'adapter la finesse et l'élégance du génie grec au goût d'un public romain lettré: (Le Robert 2, Terence)”. “Le plus célèbre des écrivains africains (d'avant la christianisation) fut Apulée” écrit l'historien français Charles-André Julien, qui se hâte d'ajouter que le personnage a été à la fois “insupportable et séduisant” (Julien, p. 182). Apulée, (125-170), a écrit L'âne d'or, espèce de roman, qui “constitue un des rares livres latins qui se lisent encore sans ennui”, nous avertit Ch.-A. Julien (p. 183). L'écrivain italien Pietro Citati, lui ne marchande pas son éloge : L'Âne d'or , écrit-il, “est probablement le roman le plus original jamais écrit”... Et dire que des familles amazighes marocaines et libyennes portent encore le patronyme “Apulée”, sous sa forme authentique: “Afulay”. “...Trois géants dominent la pensée chrétienne de l'Afrique romaine : Tertullien, Cyprien et Augustin. Ces trois Africains qui, avec leurs personnalités différentes, contribuèrent à l'établissement du dogme, sont à juste titre, considérés comme des pères de l'Eglise” (Camps, p. 251). C'est Tertullien (155-225) qui fit du christianisme une arme de résistance contre l'occupation romaine, car, tout chrétien qu'il était devenu, il avait gardé “toutes les passions, toute l'intransigeance, toute l'indiscipline du Berbère”. Il défendit à ses coreligionnaires le service militaire et incita les soldats à la désertion. Son ouvrage principal a été l'Apologétique (Apologeticum). Saint Cyprien, lui, recherche et finit par subir le martyre. Il a écrit, entre autres livres: Ad Demitrianum, Ad Fortunatum, De Mortalitate... (Ch- A. Julien, p. 206, 207). Quant à Saint-Augustin (354-430), il ne me semble pas nécessaire de donner les détails de sa vie et de son œuvre, car, en principe, les Européens, en tant que chrétiens, le connaissent mieux que quiconque. Je me permets néanmoins de rappeler que même du point de vue de sa filiation, Augustin, a été le produit des relations symbiotiques entre peuples méditerranéens ; il était de mère romaine et de père amazigh. Ainsi donc, autant les rapports entre Romains et Berbères ont été conflictuels sur les deux plans politique et militaire, autant ils ont été fructueux sur le plan culturel. Le phénomène est courant dans l'histoire: les Algériens ont combattu la France, mais ont enrichi sa littérature. (À suivre) M. C.