L'ancien secrétaire général du FLN estime “impérieux” le changement de régime. Pour lui, “le changement doit être global” et emporter l'adhésion de “toutes les forces politiques”. Des mots pesés où trébuchent, une analyse lucide et perspicace de la situation et un discours souvent très politique. Pour avoir longtemps arpenté les corridors du sérail et consacré plus d'un demi-siècle de sa vie à la politique, Abdelhamid Mehri reste sans aucun doute l'un des observateurs les plus avertis de la scène politique nationale. Même s'il recourt souvent aux paraboles, un exercice qu'il devrait tenir de la diplomatie, il n'hésite pas à désigner du doigt les tares et les plaies du régime, accusé d'être “incapable de résoudre les problèmes et d'ouvrir les perspectives au pays”. Comme les partis démocrates, sceptiques, qui ont décliné l'invitation de la commission de consultation sur les réformes politiques, Abdelhamid Mehri, quand bien même ayant participé à ces consultations, semble, lui aussi, gagner par le scepticisme. “Je ne perçois pas, pour l'heure, une volonté chez les dirigeants de répondre aux aspirations du peuple pour le changement”. Invité jeudi soir à la conférence-débat autour du thème “Algérie, quelles perspectives” organisée par le quotidien Algérie News, dans le cadre des soirées Mille et une news, l'ancien secrétaire général du FLN a estimé “impérieux” le changement de régime. “Le changement doit être global”, a-t-il dit. Mais un changement “sur lequel s'accorde toutes les forces politiques, sans exclusive”, a-t-il insisté. Même la “grande muette”, à laquelle on attribue, à tort ou à raison, la détention de la décision, doit participer à la mise en place des bases du changement, selon lui. “Il faut avoir la conscience et le courage nécessaires pour dire que ce système ne peut plus durer (…)”. S'il admet aujourd'hui que tous les algériens veulent le changement, il reste qu'ils ne doivent pas attendre un signal du régime, mais doivent se regrouper par catégories, se concerter et formuler des propositions de changement. Le projet novembriste, la référence Instruit sur les difficultés que traverse le pays, mais aussi de la crise multidimensionnelle dans laquelle l'Algérie est empêtrée, Abdelhamid Mehri reste convaincu que le projet de Novembre reste le référent par excellence pour construire un projet national consensuel. “On a un projet, un passé riche. Une bonne lecture du passé permet d'approcher le présent. À mon avis, nous n'avons pas étudié en profondeur notre Révolution et les raisons de son succès. Le principal facteur de réussite, de mon point de vue, c'est l'unification du peuple autour d'un projet sain qui résume les aspirations du peuple”, a-t-il expliqué. Ce projet, bien entendu, c'est l'établissement d'une république démocratique et social dans le cadre des valeurs islamiques. Mais, a regretté Mehri, depuis 1962, il y a eu des approches fausses et le pays est passé de la stratégie du consensus à celle de la sélection. “(…) Je cite l'exemple de ceux qui veulent exclure les islamistes. On doit clairement exprimer notre refus de la théocratie et de la violence, mais cela ne doit pas nous amener à dénier la qualité de citoyens aux islamistes avec qui on peut diverger. Il faut faire la différence entre être contre certaines idées et la construction d'un Etat de droit qui consacre la citoyenneté”, dit-il. “On ne peut pas construire l'UMA avec Kadhafi” Pour M. Mehri, le changement est tellement impérieux que nombre de défis se posent à l'Algérie d'aujourd'hui dont certains ne constituent que le parachèvement de la déclaration de Novembre. Le premier est d'ordre économique. “Dans 40 ans, il y aura épuisement des hydrocarbures. Est-il possible de construire une économie avec la politique actuelle ?”, s'interroge t-il. “Depuis 50 ans, ils nous répètent qu'ils vont construire une économie en dehors des hydrocarbures (…) il y a une vision étroite (…) Il nous faut un régime capable de mener une politique économique à long terme”. Deuxième défi : parachèvement de la démocratie. “Il est difficile de dire que nous sommes dans un régime démocratique. Il n'y a pas d'assemblées réellement élues. Nous avons une liberté d'expression de façade”, constate-il. Troisième défi : la dimension sociale. À ce titre, il relève que la justice sociale est à réaliser. Autre défi dont Mehri reconnaît qu'il constitue un véritable handicap : la langue. Selon lui, l'Algérie se doit de définir une politique des langues. L'ancien secrétaire général du FLN ne manque pas d'épingler la politique étrangère de l'Algérie. “La faiblesse de l'Algérie provient du fait que la politique étrangère n'est pas étudiée. Le Président dirige la politique étrangère, mais elle doit être l'émanation d'un consensus national”, soutient-il. “L'Algérie peut jouer son rôle en définissant sa politique étrangère. Nous avons des bases et une expérience”, ajoute-t-il encore. Citant l'exemple de l'attitude vis-à-vis de la France, Mehri estime qu'au lieu de se demander s'il faut exiger la repentance ou des excuses, il aurait été utile de relever que la France a reconnu avoir livré à l'Algérie une guerre en violation de toutes les lois. La construction de l'UMA, la Palestine ou encore l'attitude vis-à-vis de la mondialisation sont autant d'autres défis que l'Algérie est appelée à relever. Mais “on ne peut pas construire l'UMA avec un régime comme celui de Kadhafi. Notre choix doit être clair. Si nos dirigeants peuvent paraître gênés, c'est autre chose. Nous devons soutenir le mouvement de changement dans les pays arabes. Nous sommes avec tous les mouvements démocratiques”. Cependant, tous ces défis appellent un dialogue national, suggère Mehri. “Il faut associer le peuple”. “Il faut un débat national sur l'éducation” Le dialogue national reste aux yeux de Mehri l'unique mode d'emploi à même de garantir le succès des réformes. Après avoir appelé à ce dialogue dans une lettre qu'il a rendue publique, Mehri suggère également un “débat national sur l'éducation” dont le secteur est, à ses yeux, “victime de plusieurs réformes”. Sur la lettre adressée au président de la République, Mehri soutient qu'il “n'attend pas de réponse et qu'elle est publique”. “La réponse, c'est ce que le Président va entreprendre comme actes sur le terrain”. Interrogé pour savoir s'il ne se sent pas responsable, par certains aspects, pour avoir fait partie du régime, de la situation actuelle du pays, Abdelhamid Mehri soutient que tout le “monde est responsable, y compris ceux qui se sont tus”. Mais il écarte l'idée selon laquelle le problème est d'ordre générationnel. “Ce n'est pas un problème de génération. Il y a des moudjahidine même dans l'opposition. Le problème est celui du système qui agit dans l'opacité : il a ses règles de fonctionnement : injonctions par le haut, absence de débat, non-responsabilité de ceux qui prennent les décisions”. “Instrument du pouvoir, le FLN participe à sa mise au musée” Pour avoir été éjecté de la tête du FLN en 1997 à la faveur “d'un coup d'Etat scientifique”, Abdelhamid Mehri s'est également prononcé sur la crise qui secoue l'ex-parti unique. “La question est de savoir si le FLN est indépendant ou est-ce un instrument au service du pouvoir”. “S'il est un appareil au service du pouvoir, il participe de lui-même à sa mise au musée”, tranche Mehri pour qui le parti a besoin de correctifs dans l'orientation générale. Mieux encore, il semble même hostile au fait qu'il se dilue dans l'alliance. “Lorsqu'on a mis le FLN dans un cercle étroit qui applique soi-disant un projet du Président, je trouve que ce n'est pas sain”. Enfin, à la question de savoir s'il n'y a pas de divergence entre lui et Aït Ahmed après sa décision de participer aux consultations menées par Bensalah, Mehri rappelle qu'“il n'y a pas de contrat entre eux, qu'ils partagent des positions, mais que chacun agit à sa manière”.