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“Le système LMD, une réforme mal vendue”
PR Noureddine Toualbi-ThaÂlibi, ancien recteur de l'Université d'Alger, directeur national des programmes à l'Unesco, à Liberté
Publié dans Liberté le 07 - 09 - 2011

Cet ancien responsable, auteur d'une dizaine d'ouvrages académiques, aborde la situation alarmante dans laquelle se trouve l'université algérienne. Il appelle à des états généraux des universités.
Liberté : Durant les années 1970, les Tunisiens et les Marocains étaient fiers d'étudier en Algérie, et particulièrement en faculté de médecine, aujourd'hui, c'est plutôt l'inverse qui se passe, avec des départs massifs d'étudiants en Tunisie et au Maroc pour y étudier les finances, la banque, etc.
Comment voyez-vous l'état actuel de l'université algérienne du point de vue formation, niveau, conformité avec les canons de ce qui se fait ailleurs et le classement lamentable de nos universités comparé à celui des voisins ?
Pr Noureddine Toualbi-Thaâlibi : Je suis d'accord avec vous pour dire que, comparativement à la situation actuelle de nos universités, les années 1970 représentaient, en quelque sorte, l'âge d'or de notre système de formation supérieur. Que s'est-il réellement passé pour que nos universités soient autant décriées aujourd'hui ? l'absence de débouchés professionnels pour bon nombre de jeunes diplômés réduits au chômage ? le peu de qualification du corps enseignant et la dégradation des règles de l'éthique à l'université ? la nature des programmes frappés d'obsolescence conjointement à des conditions pédagogiques et matérielles défavorables ? Et puis au fond, la conjonction de tous ces facteurs ne tient-elle pas, au bout du compte, à l'absence d'une bonne gouvernance de l'université algérienne qui n'arrive toujours pas à s'autonomiser et à se libérer de la tutelle paralysante du pouvoir politique et administratif ? Vous devez comprendre qu'il n'est pas aisé, face à un problème traversé par des variables multiples, de répondre d'un trait à votre question.
Le fait est que le désenchantement qu'inspire aujourd'hui l'université algérienne trouve ses racines loin, dans l'effet certes cumulé de tous ces facteurs que je viens d'évoquer, mais aussi dans des aspects idéologiques peu connus du grand public, dans des erreurs d'orientation pédagogique ainsi que dans de nombreuses occasions ratées : telle cette réforme avortée, sous le gouvernement Hamrouche, qui aurait pu conduire à l'autonomie de l'université, chose qui est aujourd'hui la règle dans les pays développés.
Prenons aussi un autre cas de figure, celui relatif à la notion de démocratisation de l'enseignement dont la lecture politique fut de tout temps imbibée de relents démagogiques. Car et bien qu'il soit généreux dans son principe abstrait, ce concept fut paradoxalement l'un des principaux facteurs d'inhibition de l'esprit d'ouverture et de novation de l'université algérienne. Longtemps instrumentalisée comme moyen de promotion idéologique d'un égalitarisme social tapageur, cette notion aura tôt fait d'installer l'institution universitaire dans une représentation populiste et, à bien des égards, archaïque de ses fonctions et missions traditionnelles. Je me souviens d'ailleurs que lors de son premier mandat, le président de la République avait opportunément soulevé cette question et nombreux furent alors les universitaires à y saluer un signe de perspicacité théorique et politique. Malheureusement depuis, plus rien. Plus de questionnement de fond, ni la moindre velléité d'une réforme sérieuse du système universitaire. On a sans doute considéré qu'il était moins aventureux – politiquement s'entend – de continuer à faire dans la massification des effectifs régulièrement présentée comme la preuve quantifiée de réussite du système.
Au lieu donc d'avoir travaillé à organiser nos universités selon des critères exclusivement pédagogiques et de compétence, et en l'absence d'une vision politique qui aurait conduit à la hiérarchisation des formations en fonction de la réalité comme de l'évolution du marché du travail, voilà que durant des décennies on a fait exactement l'inverse : en multipliant inutilement le nombre des universités sans avoir pris soin, au préalable, de les doter d'un encadrement de qualité, en les saturant outrageusement pour dégrader ensuite des filières autrefois prestigieuses telles que le droit ou les sciences politiques devenues les souffre-douleur du système avec des bac à dix ; et, pour parachever la déliquescence de ce système en déshérence, la multiplication exponentielle des effectifs et l'absence de mécanismes éprouvés de formation continue des formateurs allait rendre plus qu'improbable l'aspiration collective à une université de qualité. Maintenant je peux faire plus simple en ajoutant qu'après tout et en tant que lieu privilégié de cristallisation des contradictions sociales, l'université est à l'image de la société qui la produit : une société déréglée et en crise de valeurs.
Tandis que nos universités sont classées au bas de l'échelle mondiale, elles continuent de souffrir du départ de leurs meilleurs éléments : or, on vient d'instaurer le système LMD... comment faire pour encadrer ce nouveau système au niveau licence, master et doctorat ?
Je n'ai pas, comme dirait le poète Hölderlin, vocation à me faire le prophète de nos temps de détresse. Mais ainsi que vous le soulignez vous-même, le seul fait que la meilleure de nos institutions universitaires ait été récemment classée à la 2 100e place de l'échelle mondiale des universités en dit long sur l'étendue du mal qui affecte tout le système national d'éducation et de formation. Maintenant, si réellement le ministre de l'Enseignement supérieur trouve quelque vertu à ce classement, grand bien lui fasse ! En ce qui concerne à présent votre question sur ce qu'il est convenu d'appeler “la fuite des cerveaux”, je vous rappelle que ce phénomène n'est pas le propre des seules universités algériennes puisqu'il touche indifféremment l'ensemble des pays en développement. La recherche de meilleures conditions de rémunération et de travail, la quête légitime de conditions de promotion sociale et de valorisation personnelle, toutes ces raisons constituent autant de facteurs qui incitent parfois l'universitaire qualifié à tenter sa chance ailleurs.
Il reste qu'il ne faut pas chercher à établir la moindre corrélation entre le départ de certains universitaires vers l'étranger et l'avenir de la récente mise en place du système LMD. Cela pourrait donner à penser que seuls les meilleurs partent, tandis que ceux qui restent seraient forcément mauvais ! Vous comprendrez que je ne puisse souscrire à un tel présupposé tant il serait attentatoire à la dignité de tous ceux qui ont fait le pari de rester dans leur pays. À l'adresse des pouvoirs publics, j'ajouterais même ceci : au lieu de verser, à intervalles réguliers, des larmes de crocodile sur cette élite volontairement expatriée et qui de toute façon ne reviendra jamais, les autorités du pays seraient à l'avenir mieux inspirées de concevoir de meilleures conditions de travail pour les enseignants qui ont tout misé sur leur pays, c'est-à-dire l'Algérie.
En attendant, il faut tout de même reconnaître que les récentes augmentations de salaires consenties aux universitaires représentent un premier pas fait dans la bonne direction. Il reste évidemment à aller au fond du problème qui, vous l'aurez compris, est celui d'une sérieuse refondation de notre système universitaire.
Pouvez-vous nous dessiner, à grands traits, les contours de cette refondation ?
Ce n'est évidemment pas à moi qu'il appartient de le faire. Je dirais seulement, pour faire court à ce sujet, que s'il est aujourd'hui un truisme, c'est celui qui consiste à dire qu'un nouveau monde se construit là devant nos yeux et que, compte tenu des immenses défis scientifiques et technologiques qu'il implique, les missions de l'université algérienne sont appelées à devoir être totalement reformulées. Car la question qui, désormais, se pose n'est plus de savoir si nos universités auront ou non la capacité physique d'absorber tous les bacheliers qui arrivent, mais comment faire pour inventer un système de formation intelligent et performant et qui soit capable de hisser la qualité de nos formations au niveau des standards internationaux ? Le reste, tout le reste n'est que facéties improductives.
Quoi faire justement et sur la base de quelles priorités ?
Je crois qu'il faut d'abord, comme mesure inaugurale à un sérieux processus de réforme, aller vers des “états généraux des universités” afin de susciter la participation et, s'il se peut, l'adhésion du plus grand nombre. Je reste convaincu que c'est pour n'avoir pas pris le temps de préparer psychologiquement la communauté universitaire au système LMD que cette réforme s'est aussi mal “vendue”, comme on dit dans le langage du marketing. Et d'ailleurs, le désordre qui en a sévèrement ponctué la mise en application se passe de tout commentaire.
En plus de ces états généraux que vous appelez de vos vœux, que doit-on faire de toute urgence pour relever le niveau de nos universités tout en les mettant en phase avec la réalité économique nationale et le marché de l'emploi ?
Il me semble que la question à laquelle l'université algérienne doit aujourd'hui répondre est plus que jamais celle-ci : quel type d'homme former, dans quels objectifs et pour quel modèle de société ? On sait aujourd'hui qu'il y a, dans un monde en transformation rapide et de plus en plus gagné par l'uniformisation des valeurs économiques et culturelles, une pluralité de moyens et de techniques d'enseignement. Et que ce qui généralement fait le plus défaut aux universités des pays en développement, c'est l'aptitude des responsables à définir correctement les objectifs de formation. De ce premier constat découle donc une première priorité, celle de garantir à nos universités une gouvernance de qualité. Le second aspect tient aux effets induits sur les systèmes de formation par la globalisation économique du monde. Parmi eux, la nécessité d'une redéfinition méthodique des objectifs des formations : comment doit-on élaborer une politique de formation dans ses rapports avec les politiques de développement, des ressources humaines et de gestion des entreprises, des emplois et des compétences ? Quels sont les indicateurs qu'il faudra utiliser pour l'évaluer et établir une bonne cohérence entre les investissements matériels, les investissements dans la formation, dans la recherche et même dans la prospective ? Quelles sont enfin les stratégies à mettre en œuvre pour que les formations universitaires et professionnelles coïncident au plus près avec le marché de l'emploi ? Voilà, à titre strictement indicatif, quelques questions que l'université algérienne devrait réapprendre à se poser si elle veut continuer à grandir sans se détruire.


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