Le conflit libyen est venu chambouler l'ordre du jour de la conférence de haut niveau sur le partenariat dans les domaines de la sécurité et du développement des pays du Sahel. Mais pas seulement, puisque les pays occidentaux sont venus à Alger, en ordre de combat, vendre l'idée selon laquelle “le Printemps arabe a sonné l'échec de l'idéologie jihadiste”. Les chefs de la diplomatie des pays du champ (Algérie-Mali-Mauritanie-Niger) ont plaidé pour une approche unifiée de lutte contre le terrorisme. Ils ont mis en exergue la relation “étroite” entre le développement et la sécurité. Les travaux de la Conférence internationale ont vu la participation de 38 délégations en plus des pays concernés. Des représentants du système de l'ONU, des partenaires bilatéraux, notamment les cinq pays membres du Conseil de sécurité, les bailleurs de fonds et les organisations régionales prennent part à cette rencontre de deux jours. Les pays du champ ont tenu, peu avant l'ouverture des travaux, une réunion de concertation concernant les derniers développements survenus dans la région, notamment le conflit libyen. Intervenant à l'ouverture des travaux, le ministre délégué aux Affaires maghrébines et africaines, Abdelkader Mesahel, a indiqué que les pays du champ “ont dessiné une stratégie unique et unifiée pour faire face aux phénomènes du terrorisme, de la criminalité transnationale et de la pauvreté”. “Nous sommes conscients que la lutte contre ces menaces d'envergure (terrorisme, crime organisé et sous-développement) appelle nécessairement la conjugaison des efforts et la convergence de toutes les bonnes volontés”, a-t-il souligné. Le ministre a fait remarquer que ce partenariat devrait également couvrir le volet normatif et l'impératif de tarir toutes les sources de financement du terrorisme, y compris en prohibant le paiement des rançons. “Ces revenus permettent, en effet, aux groupes terroristes d'acquérir des armes, d'attirer de nouvelles recrues et de se procurer des moyens logistiques et d'intendance”, a-t-il observé, rappelant que le versement des rançons contrevient aux dispositions de la résolution 1904 adoptée par le Conseil de sécurité en décembre 2009. “Nous ne voulons pas que le Sahel devienne un théâtre de guerre” Ses homologues des pays du champ sont sur la même longueur d'onde. Le chef de la diplomatie malienne, Soumeylou Boubèye Maïga, a estimé que la crise en Libye a amplifié la situation sécuritaire dans le Sahel mais ne nécessite pas l'envoi de troupes extrarégionales. “Nous ne voulons pas que le Sahel devienne un théâtre de guerre. Notre objectif est de faire de notre zone, une zone de sécurité”, a-t-il déclaré, avant de préciser que “la responsabilité de maintenir la sécurité est d'abord du ressort des pays voisins”, tout en laissant la porte ouverte aux partenaires étrangers “sur le plan du renseignement, de l'observation et de la formation”. Abordant la situation de la crise en Libye, M. Maïga a affirmé qu'“elle est venue amplifier des menaces que nous avions déjà et qui tournaient autour de l'existence de groupes terroristes mafieux”. Il a estimé que la situation en Libye est “dangereuse” et que “les capacités d'Aqmi se trouvent renforcées par la circulation des armes dans la région et les connexions avec des groupes mafieux”. Pour sa part, le chef de la diplomatie mauritanienne, Hamadi Ould Hamadi, a mis l'accent sur l'ampleur de la tâche qui attend les responsables de la région, pour contrôler une zone de plus de 8 millions de mètres carrés, qui connaît tous genres de trafic (drogues, armes et même des êtres humains). En aparté, le ministre mauritanien a tenu à replacer le danger que représente la circulation des armes en provenance de Libye. “Le trafic d'armes existe dans la région depuis plusieurs décennies, organisé, notamment à cause des conflits et des rebellions qu'a connus la région. Mais il est vrai que le phénomène s'est accentué avec le stock d'armes à ciel ouvert qu'est devenue la Libye”. Une poudrière Mais c'est surtout le chef de la diplomatie nigérienne, Mohamed Bazoum, qui s'est montré le plus alarmant. “La crise libyenne a transformé le Sahel en poudrière. Des armes de tous calibres circulent”. Et d'évoquer l'exemple le plus frappant : la prise par les forces nigériennes d'un stock de 500 kilogrammes de semtex ainsi que le nombre impressionnant de véhicules tout-terrains volés et qui risquent de compliquer davantage la tâche des services de sécurité des pays concernés. Le ministre n'est tendre ni envers ses pairs du Sahel, encore moins envers la France qui exploite la mine d'uranium. Pour les premiers, il nous confie, en aparté, à propos du Comité des chefs d'état-major (Cemoc) installé à Tamanrasset : “Pour le moment, on ne l'a pas vu sur le terrain (Cemoc) exécuter une seule opération concrète. On veut que le Cemoc accomplisse des actions concrètes.” Pour ce qui est de la France, il estime que cette dernière devrait collaborer avec son pays, au moins en contrepartie de son exploitation de l'uranium dans les gisements d'Arlit. “Ce n'est pas normal que la France exploite l'uranium chez nous et ne participe pas à l'effort commun”, dira-t-il. Le chef de la délégation britannique et conseiller du Premier Ministre pour la lutte contre le terrorisme en Afrique du Nord, le général-major, Robin Searby, a mis l'accent sur les relations algéro-britanniques. “L'Algérie est un partenaire important et un allié-clé du Royaume-Uni dans la lutte contre le terrorisme en Afrique du Nord. Ce pays joue un rôle important dans la lutte contre Aqmi et nous continuons à soutenir ses efforts régionaux”. Le soutien du Royaume-Uni à la politique sécuritaire évoquant la tenue de la Conférence d'Alger, il a estimé qu'elle “intervient à un moment-clé pour la région. Alors que les développements en Libye et ailleurs en Afrique du Nord et au Moyen-Orient dominent l'actualité, les menaces d'Al-Qaïda à la sécurité de l'Algérie et ses voisins régionaux méritent toute l'attention de la communauté internationale”. Pour le représentant britannique, “cette conférence doit offrir un soutien international afin de maintenir l'engagement régional de concrétiser la volonté politique en un succès opérationnel sur le terrain. Nous saluons la création du Cemoc qui devrait avoir un rôle opérationnel de première importance. Nous sommes impatients de connaître les critères de succès que l'organisme se fixe”. Concernant la Libye, le général-major, Robin Searby, a affirmé que “nous reconnaissons également les préoccupations réelles du gouvernement algérien ainsi que des partenaires régionaux dans le Sahel au sujet des développements en Libye qui constituent une menace encore plus grande pour la stabilité régionale”. Le représentant du Royaume-Uni s'est opposé au paiement des rançons ou autres formes de négociations avec les terroristes. “Nous travaillons étroitement avec l'Algérie dans les forums internationaux et nous continuerons à encourager tous les Etats à maintenir une position de non-paiement de rançons. Les enlèvements contre rançon fournissent un financement pour plus d'enlèvements. Il permet à Aqmi de se procurer plus d'armes et d'étendre sa capacité opérationnelle dans le Sahel qui a maintenant atteint l'Afrique occidentale”. Les américains et la menace d'Al-QaIda La délégation américaine aura fait l'exception en prononçant deux déclarations, l'une faite par Mme Shari Villarosa, et l'autre par le général Carter Ham (Africom). Mme Villarosa, membre du bureau de coordination antiterrorisme du département d'état, estime que les terroristes d'“Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) ont aujourd'hui moins de mille membres”. La menace est “globale” et bien présente, ont souligné nombre de participants, mais les membres du Conseil de sécurité, tout comme l'Union européenne présents, ont souligné avec Mme Villarosa que l'effort de lutte contre Aqmi “doit être dirigé par les gouvernements de la région”. Elle fera remarquer que la délégation américaine comprend des diplomates, des économistes et des militaires, ce qui renseigne de l'intérêt accordé par les USA à cette conférence, selon l'oratrice. Pour sa part, le patron de l'Africom a rappelé l'assistance qu'apporte son institution aux efforts des pays de la région en matière de lutte antiterroriste, tout en se félicitant de la forte participation et de la diversité des participants à la Conférence d'Alger. Le conseiller du président français, André Ham, a tenu à rendre hommage à l'Algérie qui paye, depuis de longues années, un lourd tribut en matière de lutte antiterroriste, saluant par-là “une expérience, une compétence et une légitimité incontestables”. Tout en rappelant qu'au Sahel, le rôle revient en premier lieu aux pays de la région, “nul ne peut se substituer à leur place”, tout en nuançant : “On ne peut laisser seuls les pays de la région lutter contre le terrorisme et le trafic” et de mentionner que “la France a répondu aux appels d'aide des pays de la région”.