Dans la Médina de Rabat, devant une mosquée, un marchand aveugle crie le titre de certains petits ouvrages qu'il tient, debout, entre les mains. Parmi ceux-ci, une édition abrégée du Livre “d'explication” des rêves attribué à Ibn Sîrîn. Ce nom d'auteur est connu dans toutes les librairies classiques des grandes et moyennes villes marocaines. On vous le nomme aussitôt que vous demandez des livres sur le rêve. En fait, la publication sur les rêves par Ibn Sîrîn, sous des éditions variées, est devenue un des recueils de base, au même titre que le Coran et le Hadith. Un fait se dégage de ces observations : le règne incontesté de Muhammad Ibn Sîrîn sur la place de l'interprétation onirique au Maroc. Toufic Fahd qualifie cet auteur “d'ancêtre de l'onirocritique musulmane”. Sa légende a dépassé les frontières des pays arabes pour atteindre d'autres contrées, comme le constate le témoignage suivant : “On a imprimé à la suite d'Artémidore un ouvrage sous le nom d'Achmet fils de Seïrim, sur l'interprétation des songes. Ses explications se rapportent à la discipline des Indiens, des Persans, des Egyptiens.” Dans leurs écrits, certains biographes arabes lui ont consacré des passages allant d'un paragraphe à plusieurs pages. Ibn Sa‘d expose les éléments de sa vie en une quinzaine de pages. Dans un manuscrit de Muntahab Al-Kalam fi ta‘bir al-manâm, comprenant les 15 maqâlât du Kitâb al-Qadirî fi al-Ta‘bir de Dînawarî, Ibn Sîrîn fait partie de la sixième classe des mu‘abbirîn, dans laquelle figurent les noms d'Ibrâhim Ibn ‘Abdallâh al-Kirmânî, de ‘Abd Allâh Ibn Muslim, Abû Ahmad Hâlf Ibn Ahmad, Muhammad Ibn Hammâd al-Razî al Habbâz, al-Hassan Ibn al-Husayn al-Hallâl ; Artimidûrûs al-Yûnânî. C'est dire que d'autres onirocritiques étaient au moins aussi qualifiés que Muhammad Ibn Sîrîn pour bénéficier d'une renommée égale à la sienne. Cependant, l'histoire en a disposé autrement, et seul le nom d'Ibn Sîrîn a fait tache d'huile dans le monde musulman. Au premier abord, le traité de Dînawarî était bien plus indiqué que tout autre à être diffusé, comme le constate Toufic Fahd : “Le Traité le plus important en oniromancie arabo-musulmane, al-Qâdirî fî-al-Ta‘bir, de Abû Sa‘îd Nasr b. Ya‘qûb al-Dînawarî, est dédié à al-Qadir billah (381/991-422/1031) ainsi que son titre l'indique. Composé en 397/1006, ce traité, représenté actuellement par plus de 25 copies, est le plus ancien écrit du genre qui nous soit parvenu intégralement.” Selon les biographes classiques, Muhammad Ibn Sîrîn fait partie des célébrités musulmanes pour deux qualités : celle de traditionniste - tâbi' - et celle d'onirocritique - mu‘abbir. Cependant, s'ils insistent volontiers sur la première qualité, ils passent rapidement sur la seconde, lorsqu'ils ne la négligent pas. Cette constatation défie le réalité actuelle. Toutes les grandes bibliothèques du monde musulman et occidental disposent d'au moins un manuscrit onirique dont le nom d'auteur est celui d'Ibn Sîrîn. Des écrits sur sa vie et sa personne, il ressort un certain nombre de constantes qu'on peut énoncer comme suit : I - Ibn Sîrîn : l'homme ; II - Ibn Sîrîn : le traditionniste ; III - Ibn Sîrîn : l'onirocritique ; IV - La littérature onirocritique ibn sîrîenne. Nous avons jugé utile d'exposer les éléments d'information relatifs à chacun de ces points pour dégager le portrait d'Ibn Sîrîn. Afin d'établir une hiérarchie, nous avons classé les documents disponibles en fonction de la date du décès de leur auteur, en allant du plus ancien au plus récent, pour montrer l'évolution de la transmission des connaissances sur Ibn Sîrîn, en supposant que les connaissances les plus anciennes sont les plus proches de la vérité sur cet homme. (À suivre)