Pieds et poings liés, ils furent jetés dans la Seine, tués par balle ou morts le crâne fracassé par des manches de pioche ou des crosses de fusil : 50 ans après, la répression de la manifestation du FLN reste l'un des secrets les mieux gardés en France et la chape de silence officiel ne sera pas encore levée. “Il est fort peu probable qu'il y ait une évolution positive compte tenu des positions de Nicolas Sarkozy sur la colonisation”, le chef de l'Etat étant hostile à l'idée de repentance réclamée par l'Algérie, parie l'historien Olivier Lecour Grandmaison. Le bilan officiel de la répression est de 3 morts et 64 blessés. 100 personnes sont mortes du fait des exactions de la police, soutiendra en 1988 Constantin Melnik, qui fut conseillé pour la police et le renseignement au cabinet de Michel Debré pendant la guerre d'Algérie. Le bilan réel se situe probablement autour de 200 morts, voire “plusieurs centaines”, selon l'historien Jean-Luc Einaudi qui a levé le voile sur cette tragédie en publiant La bataille de Paris en 1991. Près de 12 000 personnes ont été arrêtées. La préfecture de police de Paris (PP) ne publiera pas de nouveaux chiffres. “On laisse les historiens faire leur travail. Nous ne ferons pas de communication sur le sujet”, a indiqué la PP en soulignant avoir donné 90 dérogations à des chercheurs pour accéder aux archives “à caractère non judiciaire”. Pour les documents judiciaires, le délai est de 75 ans. Le 17 Octobre 1961, alors que les négociations ouvertes six mois plus tôt entre le gouvernement français et le gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) étaient bloquées, le Front de libération nationale appelait à une manifestation “pacifique”. Il entendait riposter contre un couvre-feu “raciste” imposé aux Algériens. Une mesure qui entravait bien sûr ses activités. Pour la Fédération de France du FLN, ce devait être un jour de fête : les manifestants étaient appelés à rejoindre leur cortège en famille, sans porter la moindre chose pouvant être assimilée à une arme. Un service d'ordre a même fouillé manifestants pour ôter par avance à la police d'éventuelles accusations de port d'arme. Le FLN a même demandé à des sympathisants français de sa cause de suivre le défilé à distance, en notant tous les détails de la manifestation. C'est, par exemple, le cas de Henri Benoît et de son épouse, Clara, travaillant à l'époque chez Renault à Boulogne-Billancourt et encartés CGT. Pour donner de la visibilité à sa démonstration, le FLN a demandé aux manifestants d'investir les plus beaux quartiers de Paris : les Champs-Elysées, les Grands-Boulevards et Saint-Michel. Ils étaient “endimanchés” dans leurs meilleures tenues, parfois traditionnelles et parfois aux couleurs nationales. Le préfet de police, Maurice Papon, avait assuré l'impunité à ses hommes animés par un désir de vengeance après une série d'attentats du FLN. “Pour un coup porté, nous en porterons dix”, avait-il confié. Les policiers ne s'en priveront pas. Paris va vivre l'une des pages les plus tragiques de son histoire. “Aucune enquête ne fut demandée, ni ordonnée pour rechercher les responsables et déterminer le nombre de victimes”, dira Constantin Melnik. “La Seine charrie de plus en plus de cadavres. Pour rendre compte de la réalité, il faudra ouvrir une nouvelle rubrique… NPB, les noyés par balle”, disait, selon lui, un responsable de la préfecture. Pour Maurice Papon, “la police a fait ce qu'elle devait faire”. Il a fallu attendre trente ans et le travail de Jean-Luc Einaudi pour que l'ampleur de la tragédie commence à apparaître. Depuis 1991, de nombreuses plaques commémoratives ont été dévoilées. Pour ce cinquantenaire, un boulevard du 17-Octobre-1961 a été inauguré hier matin à Nanterre, d'où venait le plus gros flot des 30 000 manifestants. Une cérémonie est prévue aujourd'hui près du Pont de Neuilly d'où furent précipités de nombreux manifestants dans la Seine. Il y aura de nombreux maires de l'Ouest parisien mais pas celui de Neuilly, la ville de Nicolas Sarkozy, qui a refusé de s'associer à l'évènement au faux motif que sa ville n'a pas été mêlée à la tragédie. À Paris, l'ambassadeur Missoum Sbih et le maire Bertrand Delanoé assisteront aujourd'hui à une cérémonie en milieu de journée. À 18 heures, une manifestation partira du cinéma Le Rex vers Saint-Michel. Par ailleurs, Halim Benatallah sera à Paris pour les commémorations. C'est lui qui remettra à Clichy une médaille d'or à un policier qui a dénoncé Papon. A. O.