Après l'annonce des résultats officiels des élections en Tunisie confirmant la victoire du parti islamiste Ennahda, des violences ont éclaté jeudi soir à Sidi Bouzid, berceau de la révolution. Dans la nuit de jeudi à vendredi, la commission électorale (Isie) a confirmé les résultats des élections tunisiennes : le parti islamiste Ennahda obtient 90 sièges (41,47%) suivi du CPR avec 30 sièges (13,82%) et Ettakatol, 21 sièges (9,68%). Mais les résultats ne sont pas partagés par l'ensemble des Tunisiens qui crient au loup, voire à la tricherie, contrairement aux Occidentaux satisfaits que le “printemps arabe” ait accouché d'un monstre islamiste. Les fameux observateurs internationaux, pour la plupart de l'UE, ont donné leur blanc-seing : ce sont des élections libres, transparentes. La révolte contre ces urnes offertes à l'islamisme est partie de Sidi Bouzid. Un symbole, c'est d'ici que la Tunisie s'était enflammée, donnant également le coup d'envoi du “printemps arabe”. C'est dans cette ville du centre de la Tunisie qu'un 17 décembre 2010, qu'un jeune vendeur ambulant, Mohamed Bouazizi, s'est immolé par le feu. De sa mort naîtront des émeutes. Et de celles-ci, le Printemps arabe. Jeudi soir, dans ce berceau des révolutions arabes post-indépendance, quelque 2 000 jeunes ont à nouveau crié leur mécontentement, ils ont saccagé le local d'Ennahda, incendiant des pneus sur la rue principale en criant : “Par notre âme et par notre sang, nous soutenons Sidi Bouzid.” Les forces de l'ordre essayent de la contenir avec la crainte qu'elle ne se propage comme en décembre. La ville n'étant pas acquise aux islamistes, Ennahda aurait sponsorisé, selon des observateurs, une liste d'un richissime qui a fait fortune avec les Ben Ali. Celui-ci aurait ainsi bénéficié des islamistes et d'anciens du RCD le parti de Ben Ali, certes, interdit mais qui renaît sous forme de candidatures indépendantes et à travers de nouvelles formations politiques. Il y en a 110 en Tunisie. Les six listes de Hechmi Haamdi qui avait remporté le scrutin dans la circonscription de Sidi Bouzid à la surprise générale ont été invalidées. Originaire de Sidi Bouzid, celui-ci a fait campagne depuis Londres par le biais de sa télévision satellitaire Al-Mustakilla. Sa “Pétition populaire” avait alors obtenu 19 sièges dans l'Assemblée constituante. Ennahda a senti la réprobation des habitants de la ville symbole ont alors refusé d'associer cette liste aux tractations en cours pour la formation d'un futur gouvernement. Sur sa chaîne, Hechmi Haamdi a annoncé craindre que son électorat ne manifeste sa colère après ce refus et le feu est parti. Les manifestations avaient en effet commencé dans la journée pour protester contre les propos du numéro 2 d'Ennahda, Hamadi Jebali, qui refusait toute négociation puis elles ont carrément pris l'allure d'une révolte contre le parti islamiste qui s'est propagé à Regueb, à une cinquantaine de kilomètres de Sidi Bouzid. Le siège local du parti islamiste a essuyé des coups de feu. Fiers d'être les instigateurs de la révolution tunisienne, Sidi Bouzid s'était montré de plus en plus déçus par la tournure de leur révolution. Neuf mois après la chute de Ben Ali, et à l'aube de la reconstruction du pays, la situation de ses habitants est restée inchangés. Avec plus de 8 000 diplômés sans emploi, Sidi Bouzid peut se targuer de détenir le triste record national du chômage. Suspicieux face aux élections, ses habitants n'hésitaient pas à menacer de reprendre la rébellion en cas de déception. Sit-in, manifestations et piquets de grève se déroulent chaque semaine dans les hôpitaux, les écoles et les administrations. Ennahda qui a obtenu beaucoup plus de sièges que les prévisions le plus optimistes, exige la présidence de l'Assemblée constituante qu'il confiera à sa seule élue qui ne porte pas le hidjab, la primature mais il serait prêt à lâcher du lest sur de poste. Par contre, il veut à tout prix le ministère de l'Education. Les Islamistes tunisiens savent que tout commence à l'école, le lieu par excellence de la réislamisation de la société. L'Algérie en connaît un bon bout. Ennahda est suivi, loin derrière, par le parti de gauche nationaliste, du Congrès pour la République qui obtient 30 sièges (14% du suffrage), et le parti de gauche l'Ettakatol de Mustapha Ben Jaafar qui remporte 21 sièges (10 % des voix). Viennent ensuite le Parti démocrate progressiste (PDP) (7,86 % des voix) et 17 sièges, la coalition de gauche du Pôle démocratique moderniste (PDM) : 5 sièges et l'Initiative, parti dirigé par Kamel Morjane, ex-ministre de Ben Ali, avec 5 sièges. Les Tunisiens vont découvrir le double jeu des islamistes. Pour dissiper la vive appréhension que suscite son accession au pouvoir, Ennahda a multiplié, ces dernières semaines, les signes d'ouverture assurant qu'il n'était pas question de faire revenir les femmes au foyer, ni de remettre en cause les acquis du secteur touristique qui représentait 7% du PIB tunisien en 2010. Mais face à ses ouailles, son discours n'a souffert aucune ambiguïté. La nouvelle Constitution, qui sera mis en scène par l'Assemblée constituante, avant des élections législatives et présidentielle qui devraient intervenir dans un délai d'un an environ, portera, sans contexte, sa marque. L'autre leçon tirée par Ennahda, faire preuve de patience et surtout ne pas effaroucher. Et pour contourner l'écueil économique, Ghannouchi, le fondateur et administrateur en chef d'Ennahda, a promis de faire de la Tunisie un bazar. D. Bouatta