L'Algérie est probablement le seul pays du monde où le gouvernement se vante de l'importance de son déficit budgétaire et semble apporter un malin plaisir à le surestimer. Il aura finalement fallu attendre la récente visite d'une délégation du FMI pour connaître la taille réelle du déficit du budget de l'Etat au cours des dernières années. Depuis un peu plus d'une année, la Grèce est quasiment mise au banc des nations européennes pour avoir fourni de fausses informations sur ses comptes publics et avoir fortement sous-estimé son déficit budgétaire. Dans notre pays la situation est exactement inverse, le gouvernement a adopté depuis de nombreuses années un mode de présentation des lois de finances qui fait apparaître, de façon fictive, des déficits budgétaires colossaux et rend pratiquement illisible la situation réelle et l'évolution des finances publiques du pays. Ce qui n'empêche pas les députés d'être invités à plancher chaque année, ainsi qu'ils le font actuellement, sur le projet de loi de finances pour l'année prochaine. Des déficits abyssaux C'est devenu une tradition. Au cours des dernières années, les différentes lois de finances affichent des déficits nominaux souvent supérieurs à 30% du PIB. C'était le cas pour les projets de budget de l'Etat en 2010 et 2011. Le projet de loi de finances pour 2012 est un peu plus sage et prévoit un déficit ramené à “seulement” 25% du produit national mais qui atteint quand même le montant faramineux de 3 600 milliards de dinars. On connaît la raison essentielle de ces déficits abyssaux. Il s'agit du mode de calcul de la fiscalité pétrolière qui retient imperturbablement un prix du baril de pétrole à 37 dollars et qui rend bien difficile la lecture des comptes publics. Les inquiétudes provoquées par l'évolution récente des dépenses de l'Etat semblent être en train de faire évoluer rapidement la pratique des autorités algériennes dans ce domaine. Dans une interview accordée à l'APS au cours du mois d'octobre, et qui n'a pas recueilli l'écho qu'elle mérite, M. Djoudi proposait déja une lecture inédite des comptes publics en affirmant que “le déficit réel du Trésor public, représenté par la différence entre les encaissements et les décaissements enregistrés effectivement”, est très éloigné des chiffres annoncés par les lois de finances de ces dernières années. Selon le ministre des Finances, “le déficit réel n'a pas dépassé 11% du PIB, et il a même été réduit à moins de 5% grâce à l'utilisation des ressources internes au circuit du Trésor public.” La semaine dernière a connu un nouveau développement. C'est, cette fois, la mission du FMI, qui achevait un travail de 2 semaines portant sur la rédaction de la partie réservée à l'Algérie du rapport annuel sur l'économie mondiale, qui donne de nouvelles estimations du déficit budgétaire. Pour le FMI, qui a apparement obtenu les bons chiffres et réussi à convaincre les autorités algériennes de se conformer à une présentation normalisée, le déficit du budget de l'Etat algérien a été de 2% du PIB en 2010. Même si le déficit réel du budget de l'Etat algérien est ainsi ramené à des proportions plus modestes, il devrait cependant, selon le chef de la mission, M. Toujas Bernabé, “se creuser davantage à la fin de 2011, pour atteindre 5% du PIB.” Des chiffres qui n'avaient jamais été mentionnés jusqu'ici. Le dérapage des dépenses de fonctionnement confirmé Dans le sillage de cette nouvelle estimation du déficit, le chef de mission du FMI annonce, nouveau chiffre inédit, que les dépenses publiques totales seraient en hausse de 34% en 2011 et relève, lors d'une conférence de presse organisée par la Banque d'Algérie, une “augmentation très marquée des dépenses de fonctionnement en 2011, ce qui peut réduire, dans le futur, les marges de manœuvre et laisser moins de place aux dépenses d'investissement”. Pour lutter contre les effets de cette hausse des dépenses de fonctionnement de l'Etat, la mission du FMI conseille au gouvernement algérien d'adopter en 2012 “une plus grande rationalisation des dépenses courantes” et de poursuivre une politique de “mobilisation dynamique des recettes hors hydrocarbures.” Une maîtrise des dépenses qui ne sera apparemment pas au rendez-vous l'année prochaîne en ce qui concerne des dépenses de fonctionnement qui sont explicitement présentées comme “incompressibles” par l'exposé des motifs de la loi de finances 2012. D'un montant total supérieur à 4 600 milliards de dinars, les dépenses de fonctionnement vont, notamment, prendre en charge l'année prochaine l'évolution des dépenses liées aux rémunérations des fonctionnaires. Elles augmentent de 7,4% comparativement à la LFC 2011, et de 10,3% en y incluant les incidences financières de l'application des régimes indemnitaires et des statuts particuliers. Au total, le document élaboré par le ministère des Finances signale que “les dotations allouées au budget de fonctionnement ont doublé entre 2008 et 2012.” Pour faire bonne mesure, c'est le ministère des Finances, lui-même, qui relève également que “les dépenses courantes ne seront couvertes par la fiscalité non pétrolière qu'à hauteur de 41% en 2012 contre 60% en 2009.” Pour beaucoup d'observateurs, le niveau atteint par les dépenses de fonctionnement de l'Etat soulève aujourd'hui le problème de la capacité des autorités algériennes à maîtriser leur croissance et à inverser une tendance qui semble règlée désormais sur le mode du pilotage automatique. Compte tenu de ces évolutions des dépenses, c'est la taille du déficit (réel cette fois) du budget de l'Etat qui risque de continuer à enfler l'année prochaine, d'autant que beaucoup d'incertitudes planent désormais sur l'évolution des marchés pétroliers. Dans ce domaine, l'exposé des motifs de la loi de finances 2012 s'inquiète à juste titre et dans des termes inspirés en droite ligne des rapports publiés en septembre dernier par le FMI “de l'effet de la récession qui pourrait rattraper les économies européenne et américaine, et de son impact sur la croissance mondiale et les cours du marché pétrolier.” H. H.