Entre Tafsut imazighen et le Printemps arabe il y a la peur qui change. Si le premier fut armé de courage, le deuxième est durci d'aventure. J'ai peur ! Sans la culture, en l'absence des écrivains et sans la voix des intellectuels éclairés, le Printemps arabe n'en sera qu'automne. Ecumes ! Certes, comme vous, moi aussi je suis fier d'appartenir à ce monde qui bouge autour de nous, en nous! Je déteste toute stagnation, mutisme ou inertie. Mais j'ai une peur ; un pincement au cœur s'installe dans mes tréfonds ! Ce monde arabe, arabophone et arabisé, qui nous entoure, me paraît, dans son inquiétude politico-sociale, comme installé sur la paume de la main d'un diable Ifrit, me donne le frisson de froid ou de crainte. Le Printemps berbère qui, par un jour du 20 avril 1980 a fait vibrer notre pays, a été déclenché grâce à un écrivain romancier, à cause d'une conférence interdite. Mouloud Mammeri, seul, en UN, ce jour-là, a incarné l'hirondelle qui, même seule, était capable de faire le printemps ! Un écrivain, pas n'importe quel écrivain, est habile en solo à créer le printemps. Et cette foule ghachi dans les rues, dissimulée derrière des amalgames politico-idéologiques, me fait peur. Le Printemps berbère, après trente ans, un peu plus, a réveillé la conscience d'un peuple et a déterré une identité longtemps foulée. Même si la vitesse de changement a ralenti ces dernières années, la construction d'un futur est devenue rassurée. Trente-et-un ans, mon Dieu combien le temps passe trop vite, vertigineux ! Si Mouloud Mammeri a fait trépider le rêve de tout un peuple, ce n'est pas parce qu'il y avait derrière lui un parti ou un Dieu, mais juste parce que l'écrivain est le frère des apôtres. Visionnaire ! Il détenait dans son cœur, dans son discours clair, sans ambiguïté, les souffles de la liberté, la lumière de la démocratie et la force du juste. Le Printemps berbère n'est pas sorti des mosquées. Ce printemps de Da L'Mouloud n'a pas branlé les slogans religieux. Il s'est éclos dans une conférence interdite. Haut, l'écrivain a brillé dans le jardin de l'histoire par cette interdiction ! Il exprimait la revendication d'un peuple égaré. D'une culture assassinée, d'une langue asphyxiée. Une Algérie unie et plurielle ! Les grandes révolutions, ce sont celles qui couvent la lumière de la pensée et se réfugient dans l'âme du poète. Les révolutions ne sont pas faites pour déguster le sang chaud mais pour semer l'amour et célébrer la liberté individuelle et collective. Et seuls les poètes et les romanciers, par leur sens de visionnaires, sont aptes à donner aux révolutions le sens de la fête et de la gloire. Et parce que ce Printemps arabe, arabophone ou arabisé n'avait pas et n'a pas à sa tête des écrivains à l'image ou de la taille de Mouloud Mammeri, le printemps n'en sera qu'automne ! Le Printemps arabe, arabophone ou arabisé a besoin d'un Da L'Mouloud arabe pour que la révolution se fasse dans la poésie et la culture, pour que les chouhada ne soient pas oubliés ou enterrés dans les sables de l'ignorance ou dans la négation. Aujourd'hui, et depuis la révolution des Tunisiens contre leur dictateur local, la révolution égyptienne qui a renversé le Raïs, la révolution libyenne qui en a fini avec (el-kitab al-akhdar) le Livre vert et son apôtre, ce qui se passe de massacres ces heures-ci au Yémen et en Syrie, le Printemps arabe, arabophone ou arabisé me fait peur ! Sans une charte culturelle moderne, sans les écrivains critiques et les intellectuels éclairés, le printemps n'en sera qu'automne. La rose risque de tomber dans le giron de l'obscurité. Sans le ciel d'une charte culturelle de lumière, les peuples passeront d'une main d'un dictateur à une autre d'un diable, d'un boucher à un bourreau. Et j'ai peur pour ce Tafsut arabe ou arabisé ! A. Z. [email protected]