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Dr Mourad PREURE, Expert Pétrolier International et Président du Cabinet EMERGY, à Liberté “L'exploration est moins efficiente que la moyenne mondiale”
Ce spécialiste des questions énergétiques plaide pour un retour à la loi 86-14 en vue de dynamiser l'amont pétrolier et gazier du pays. Liberté : Comment voyez-vous l'état de nos réserves et de notre potentiel en hydrocarbures? Dr Preure : Il ne faut pas surestimer le niveau de nos réserves. Elles sont limitées. Je l'ai toujours dit, si l'Algérie veut s'imposer sur la scène pétrolière et gazière internationale, elle doit songer à le faire par ses acteurs énergétiques, Sonatrach et Sonelgaz qui disposent d'une expertise et d'une expérience significatives. Ceci dit, pour vous répondre, nous représentons 0.9% des réserves pétrolières internationales. Nos réserves ne progressent pas au rythme des réserves mondiales, ce qui veut dire que notre exploration est moins efficiente que la moyenne mondiale. Le taux de renouvellement des réserves consommées est inférieur à 1. Notre production, de l'ordre de 2% du total monde, gagnerait à être contenue, d'autant que ni les résultats de l'exploration ni nos besoins en financement (nous produisons pour placer notre argent dans un système financier par ailleurs en difficulté) ne justifient le rythme actuel. La durée de vie de nos réserves est de 18.5 années. Bien entendu, nous parlons de réserves économiquement récupérables, ou 1P. Si nous considérons à titre d'exemple le potentiel de Hassi Messaoud dont les réserves en place lors de sa découverte étaient évaluées à près de 50 Gbls, considérant que ces réserves n'ont été entamées qu'à près de 15%, cela à un taux de récupération de 25 à 26%, on se rend compte que la seule réévaluation des réserves nationales, du fait d'investissements et d'intégration de nouvelles technologies, peut prolonger nos réserves de plusieurs décennies. Nos réserves gazières quant à elles sont de 4.5 Tcm, représentant 56 ans de production, toutes choses égales par ailleurs (valable pour le pétrole), soit 2.4% des réserves mondiales (même taux pour la production). Je pense que le développement gazier algérien peut reprendre vigoureusement si les efforts nécessaires sont au rendez-vous. Hassi R'mel, dont le modèle de management a en effet été violé, est un supergéant qui nécessite de nouvelles études de réservoir, une nouvelle sismique 3D. De l'avis des géologues les plus compétents, son potentiel est réel et l'alarmisme le concernant de la part d'experts étrangers est suspect. Des projets amont vont aussi incrémenter la production dès 2012. Je pense au permis d'Isarene dans le bassin d'Illizi, en partenariat avec Petroceltic International, je pense aussi au projet gazier de Timimoun avec Total, à l'Ahnet, en partenariat avec Total et le portugais Partex, également à In Salah, phase B qui bénéficie de la grande compétence de BP. Sonatrach focalise sur l'amont et a lancé un plan de développement volontariste avec un investissement annuel de près de 8 milliards de dollars majoritairement affectés à l'amont. Par ailleurs, toutes ces valeurs de réserves mentionnées plus haut doivent aussi être relativisées car cette dernière décennie, le développement de l'amont a été perturbé par une gestion hasardeuse mais aussi par les changements affectant le cadre juridique en 2005 et 2006. De fait l'image même de notre pays a été brouillée. La loi 86-14 était efficace, les compagnies étrangères sont habituées aux contrats de partage production, les équipes de négociation et de gestion des associations de Sonatrach étaient compétentes, les responsabilités étaient relativement bien distribuées de sorte que le partenariat international a pu se développer et soutenir le développement de notre amont. Notre domaine minier est prospectif, on le voit encore en 2010 où 29 découvertes ont été faites. Durant vingt ans le cadre juridique est resté inchangé et soudain en une année deux changements l'affectent en profondeur. Le pétrole est un métier à haut risque, géologique, commercial, financier, voire politique, on le voit en Libye. Les compagnies pétrolières ont horreur des changements brutaux de législation et de régimes fiscaux et désertent massivement les zones qui en sont affectées. Les résultats des derniers appels d'offres sont significatifs, 2008 : 4 permis attribués sur 16, 2009 : 3 permis attribués sur 10, 2011 : 2 permis attribués sur 10, dont un pour Sonatrach. Ceci alors que le domaine minier algérien est unanimement considéré comme prospectif, et Sonatrach comme une compagnie sérieuse animée par des professionnels qui connaissent leur métier. Il faut à mon avis en tirer les conséquences et revenir vers la loi 86-14, sans doute avec des mécanismes d'écrémage des superprofits, non rétroactifs, bien entendu. Je crois que le ministère de l'Energie travaille à traiter ces problèmes. Il est certain, selon moi, que sitôt clarifiés ces points, le partenariat international retrouvera son engouement pour le domaine minier national, car aussi l'Algérie a par ailleurs montré que dans des circonstances souvent extrêmes, elle est un modèle de stabilité pour les investisseurs étrangers. Dix ans de terrorisme n'ont pas occasionné de rupture d'approvisionnements gaziers pour nos clients alors que la production libyenne s'est interrompue au bout de quelques semaines d'instabilité à ce jour, que la source russe s'est interrompue durant 13 jours en janvier 2010 du fait de la crise ukrainienne. Faut-il développer nos réserves en gaz de schistes au regard du coût élevé d'extraction et du risque environnemental? Concernant les gaz de schiste, je voudrais dire que ce phénomène me rappelle le mythe de la mer Caspienne présentée au début des années 1990 comme un nouveau Moyen-Orient et dont les estimations de réserves variaient entre 20 et 200 milliards de barils (Arabie Saoudite 263 Gbls en comparaison). Et de fait, aujourd'hui on est plus proche des 20 que des 200 Gbls. Pour les gaz de schistes, qui ont en effet permis l'autosuffisance gazière des Etats-Unis, on entend le chiffre phénoménal pour les réserves mondiales de 185 Tcm soit le niveau des réserves de gaz conventionnel. Aujourd'hui on commence à déchanter aux Etats-Unis-même où commence à se former une bulle spéculative autour des gaz de schistes et où certains n'hésitent pas à comparer cette vogue aux Dot Com en référence à la bulle Internet qui a éclaté en 2000. L'intérêt des gaz non conventionnels est qu'ils exercent une pression sur les détenteurs de gaz conventionnels, pèsent sur leur pouvoir de négociation à un moment charnière et découragent toute tentative de cartellisation du marché. Ceci dit, en ce qui nous concerne, nous n'en sommes qu'à l'évaluation. Sonatrach et l'Eni italienne ont signé un accord de coopération en ce sens. Notre ministre de l'Energie a avancé au CeraWeek de Houston un chiffre de réserves de l'ordre de 25 000 Tcf pour les gaz non conventionnels contre 150 Tcf pour les réserves conventionnelles de gaz. Les travaux préliminaires effectués par Sonatrach semblent avoir indiqué que nos bassins sédimentaires recèlent un important potentiel en gaz de schiste. Cela signifie que des perspectives sont réelles, mais aussi de l'ordre du réalisable puisque, contrairement à l'Europe, ces réserves sont majoritairement situées en zones inhabitées. Il reste à mieux les connaître, et en apprécier le modèle économique. La question environnementale est en effet à considérer avec sérieux. On ne peut se prononcer qu'avec une plus grande connaissance des structures géologiques dans lesquelles sont piégés ces gaz, la proximité avec les nappes phréatiques et la nappe albienne, les risques réels de pollution. Je pense que les ingénieurs et chercheurs de Sonatrach travaillent sur ces questions avec la compétence qu'on leur connaît. Des projets pilotes de forage vont être lancés. Ils nous permettront de nous prononcer sur le potentiel de notre pays qui semble a priori encourageant. Que préconisez-vous en matière de définition d'un modèle de consommation énergétique national rationnel ? Si on se fie aux chiffres du Creg, en effet il faut se préoccuper de la vigueur de la demande gazière nationale, notamment industrielle, qui pourrait augmenter de 7,4% entre 2009 et 2018. La consommation gazière nationale augmenterait de 104%, pour se porter au niveau de 54.22 Gm3 en 2018. Dans un scénario bas, il se situerait à 50.48 Gm3. Excessif et absurde. Se préoccuper de manière générale aussi de la demande énergétique nationale car manifestement l'élasticité énergétique (croissance de la demande d'énergie par rapport à croissance du PIB) est loin des normes internationales. Notre efficacité énergétique est faible, trop faible, nous consommons trop d'énergie par rapport à la richesse créée. Il faut absolument mettre sous contrainte notre demande énergétique, notamment gazière. Dans le monde, la consommation tend à basculer des énergies fossiles qui en constituent 80% vers les renouvelables qui en sont à 14% aujourd'hui. Une action résolue vise à les porter en 2020 vers 20% du bilan énergétique mondial et 40% du mix électrique. Je pense que l'atteinte de cet objectif est peu probable. Je pense que le gaz naturel, à présent à moins du quart de la demande mondiale d'énergie, devrait progresser sensiblement (il devrait représenter le tiers de la demande en 2030) et prendre en charge les préoccupations environnementales en attendant un nouveau paradigme énergétique avec de nouvelles générations, autant d'installations solaires que de réacteurs nucléaires avec les réacteurs à neutrons rapides qui remettront à la mode le nucléaire, seul à même d'absorber les besoins énergétiques futurs. Cette transition énergétique dont nous sommes absents doit imprégner notre modèle énergétique national avec, d'abord, une maîtrise de notre consommation énergétique, une plus grande utilisation du GPL, énergie dont nous disposons en relative abondance et qui est difficile à commercialiser, avec un recours aux renouvelables, et une préparation de nos universités et de notre recherche à notre entrée dans le nucléaire dans vingt ans au moins. Quelles sont les chances de succès du nouveau programme national de développement des énergies renouvelables ? Notre pays se fixe pour objectif une part de 40% de renouvelables dans la consommation nationale en 2020. 60 projets sont à l'étude pour produire 2 500 à 3 000 MW d'électricité. Je pense que ce sont là des objectifs ambitieux qui méritent toute notre attention. Il faut aussi que notre engagement dans les renouvelables implique résolument nos universités et nos PME. En ce sens, je suis sceptique devant des projets comme Desertec ou Transgreen qui risquent de nous transformer d'exportateurs d'hydrocarbures en exportateurs d'électricité solaire. Je pense que nous devons penser notre transition énergétique et impliquer nos partenaires internationaux, ceux à qui nous vendons notre gaz par exemple. Il faut leur dire : nous vous fournissons de l'énergie fossile le temps que vous basculiez vers un modèle non carboné, non fossile. Nous ne voudrions pas alors être laissés sur le bord de la route, car alors vous n'auriez plus besoin de nous. Nous voulons un partenariat à long terme où nous satisfairons vos besoins actuels en échange de votre aide pour que nous réussissions notre transition énergétique. À ce titre, des projets tels Desertec auraient une motricité réelle sur nos universités, notre recherche et nos PME, ce qui nous permettra de garantir l'approvisionnement énergétique futur sur des horizons de 50 à 100 ans à notre pays. Et, considérant notre ensoleillement, les renouvelables peuvent en effet être considérés comme l'énergie du futur pour l'Algérie. La prudence de l'Etat algérien sur cette question me semble, en ce sens, tout à fait justifiée. Quel devrait être, selon vous, la place de l'Algérie dans la scène énergétique mondiale à moyen et long terme ? l Je l'ai toujours dit, l'Algérie doit postuler à jouer le rôle d'acteur et non plus de source d'approvisionnement énergétique. Nos ressources ne nous permettent pas de toute façon de nous imposer comme source sur le long terme, même si, sur le court terme, nous avons une fenêtre d'opportunité et pouvons nous imposer comme source gazière pour l'Europe, soucieuse de son excessive exposition à la source russe, car nous sommes fiables ; l'Algérie est un pays stable politiquement dans le maelström dans lequel tendent à être emportés les pays arabes producteurs ; nous sommes proches de l'Europe, nous avons des infrastructures (que nous avons réalisées à nos frais) de transport transcontinental de gaz. Tout nous qualifie à être un partenaire d'exception qui postule à de réelles ouvertures stratégiques. Nous devons accéder au marché européen en qualité d'acteur, non plus seulement de source. Accéder au client final en partenariat avec ceux qui sont déjà nos partenaires historiques, nos clients européens, pour vendre des molécules de gaz et des KW/heure. Ainsi nous percevrons les gaz concurrents (qatari, mais aussi russe, qui se prépare à investir notre marché naturel avec le gazoduc Southstream transportant plus que la totalité de nos exportations, 63 Gm3) comme des opportunités non pas comme des menaces. En contrepartie, les compagnies gazières européennes pourraient investir dans l'amont algérien (GDF Suez y est déjà) pour le développer et partager le risque avec nous. Je pense que le grand acquis de l'Algérie est la compétence et l'expertise de ses acteurs énergétiques nationaux, Sonatrach et Sonelgaz. Leur apporter de réelles perspectives stratégiques, de façon à ce qu'ils découvrent et opèrent des réserves hors de nos frontières, élargissant notre base de réserves, produisent, raffinent et distribuent du pétrole, distribuent du gaz et produisent de l'électricité, mais surtout maîtrisent la technologie qui sera l'enjeu stratégique majeur dans le futur, doit être considéré comme un challenge d'intérêt national. Elles pourraient alors entraîner dans leur sillage universités et PME nationales qui, en retour, décupleraient leur force. Voilà le profil de secteur énergétique algérien de demain. Il faut y travailler résolument pour ouvrir de réels horizons à notre pays dans un monde en changement qui, paradoxalement, présente de phénoménales possibilités aux plus audacieux, aux plus résolus. K. R.