Les larmes et la tristesse étaient sans doute ce qui manquait le moins hier à Akerrou, et plus particulièrement à Tigounatine, où la mort, par les balles des militaires, des deux modestes habitants du village, Matoub Remdane dit Mohand, âgé de 65 ans, et Haddad Rafik âgé à peine de 16 ans, a créé le choc et semé l'émoi, la tristesse et la colère. À Tigounatine, ce village situé à 7 kilomètres du chef-lieu communal d'Akerrou, dans la daïra d'Azeffoun, mais qui est plus proche de Yakourène, les villageois n'en reviennent toujours pas de ce drame mais s'échinent à préparer tout de même l'enterrement de leurs enfants complètement déchiquetés par les interminables rafales des soldats qui tendaient, curieusement, estiment les villageois, une embuscade à 14h à environ 200 mètres de leurs habitations. “Da Mohand, cet ancien émigré en retraite depuis deux ans seulement, n'avait de passion que la chasse et la cueillette des champignons, et Rafik avait accompagné son père dans l'oliveraie familiale avant de rejoindre Da Mohand avec qui il devait s'adonner à une partie de chasse”, nous raconte un habitant du village non sans préciser que tout autour de l'endroit où les militaires ont vidé leurs chargeurs sur eux, il y avait des femmes, des hommes et des enfants qui cueillaient des olives. “Tout le monde criait au moment des tirs qui auraient duré près d'un quart d'heure, des femmes se mettaient à plat ventre pour fuir les balles des militaires”, témoigne encore un habitant. Mohand et Rafik étaient-ils confondus avec de prétendus terroristes attendus dans l'embuscade ? “Rafik avait le fusil de chasse de son père, qui est un ancien maquisard, sur ses épaules et quatre chiens avançaient devant lui. Les terroristes se font-ils accompagner par des chiens ?” nous répond un autre jeune du village, le visage blême mais coléreux. Matoub Remdane, qui n'arrivait toujours pas, selon les villageois, à se remettre du décès de sa fille il y a quelques mois, a été tué sur le coup alors que Rafik, grièvement blessé, a été évacué vers l'hôpital d'Azazga où il succomba moins d'une heure après. Durant la nuit, les habitants en colère se sont regroupés devant le siège de l'APC, ce siège de fortune qui révèle à quel point la commune d'Akerrou est abandonnée par l'Etat, pour décider des actions à entreprendre en réaction à cette “tuerie de trop à Tizi Ouzou”. Dans un communiqué rendu public hier, les villageois, tout en condamnant cet “assassinat”, exigent l'ouverture d'une enquête “pour situer les responsabilités” et appellent la population à se solidariser avec les familles des victimes. Pour sa part, le RCD a également rendu publique une déclaration à travers laquelle il estime que “ces assassinats, encouragés par l'impunité, font de la Kabylie une région livrée à tous les règlements de comptes et calculs politiques”. Sinon comment expliquer qu'à la veille de chaque échéance électorale, la région fait l'objet de provocation en tous genres ? s'interroge le RCD qui se demande également comment les terroristes qui doivent être la cible prioritaire des forces de sécurité ne semblent pas être inquiétés et la population désarmée subit les foudres de ceux qui sont censés la protéger. Il est à noter que le wali s'est rendu hier auprès des familles des victimes pour, comme à son habitude, leur présenter ses condoléances, promettre des sanctions et éventuellement des réparations matérielles. Samir LESLOUS