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Ouverture sans certificat de conformité, multiplication des contentieux
Les raisons de la colère de gros locataires
Publié dans Liberté le 14 - 12 - 2011

Le succès commercial de ce centre, 6 millions de visiteurs en un an, masque un malaise ressenti par nombre de locataires et de salariés exerçant dans ce complexe immobilier, l'un des plus grands au Maghreb.
L'application des textes en Algérie reflète-t-elle l'image d'une république bananière ?
À en croire les documents en notre possession et les résultats de notre enquête sur le centre de commerce et de loisirs de Bab-Ezzouar, l'un des plus grands au Maghreb, on peut aisément tirer la conclusion que les lois algériennes ne sont pas respectées.
En effet, ce qui semble surprenant à l'issue de nos investigations, c'est que le centre a ouvert début août 2010 sans avoir obtenu le certificat de conformité, un document qui assure le respect des règles de protection de la santé des consommateurs et garantit la sécurité de la clientèle de ce grand espace commercial. Une année après son ouverture, le centre ne disposait toujours pas de ce document indispensable pour exercer l'exploitation de cette infrastructure destinée à la grande distribution. La loi algérienne est claire : l'article 10 de la loi du 3 août 2008 indique qu'il est interdit d'occuper ou d'exploiter toute construction qu'après obtention du certificat de conformité. L'article 56 du 4 juin 1991 est beaucoup plus précis : le certificat de conformité vaut permis d'habiter, ou autorisation d'admission du public et du personnel, si la construction est destinée à des fonctions socioéducatives, aux services de l'industrie ou au commerce sous réserve des dispositions législatives et réglementaires en matière d'exploitation d'établissements dangereux, incommodes ou insalubres. En un mot, la réglementation algérienne en matière d'urbanisme considère comme une infraction à la loi l'occupation ou l'exploitation d'une construction avant délivrance du certificat de conformité. La daïra de Dar El-Beïda, la circonscription du centre, écrit “texto”, dans une correspondance, que ce centre commercial ne dispose pas de certificat de conformité.
Comment expliquer que les autorités de la wilaya ont accordé leur feu vert à l'ouverture de ce centre sans que celui-ci dispose d'un document aussi indispensable, d'autant qu'il s'agit d'un ensemble commercial ouvert à un large public, drainant en moyenne plus de 10 000 visiteurs/jour. Comment se fait-il qu'ils ont laissé le centre exploité par la société SCCA, exercer pendant plus d'une année sans certificat de conformité alors qu'en Suisse, cela aurait été impossible. Des sources affirment que l'exploitant suisse de ce centre bénéficie d'appuis au plus haut niveau de l'Etat. Tenons-nous en aux faits
“Qui est derrière les exploitants du centre commercial de Bab-Ezzouar ?”
Cette situation d'absence de certificat de conformité va entraîner des conséquences négatives sur l'activité du centre. La DCP d'Alger a mis en demeure, en novembre 2011, la vingtaine de restaurants et de fast-foods que compte le complexe commercial. Car ils ne disposent pas de registre du commerce. En effet, la restauration étant une activité réglementée, elle est soumise à l'obtention d'un certificat de conformité. Autrement dit, ces restaurants et fast-foods, pour avoir le registre du commerce, doivent disposer d'un certificat de conformité. Or, le centre commercial et de loisirs n'a pu leur fournir cette pièce nécessaire à leur activité, ce dernier document n'étant pas en sa possession.
Contacté, le directeur du commerce de la wilaya d'Alger, M. Lamari, reconnaît que le centre ne peut ouvrir sans certificat de conformité. “La DCP d'Alger a fait son travail. Elle a mis en demeure les restaurants du centre. La mise en demeure leur a été prolongée jusqu'à la fin de l'année 2011. Au-delà, on doit suspendre leur activité. La direction du centre commercial et de loisirs de Bab-Ezzouar nous a saisis. Elle nous a informés qu'elle allait obtenir le certificat de conformité vers la fin de l'année 2011. Cela nous a été confirmé par les services de la wilaya d'Alger. Le certificat de conformité sera délivré une fois les réserves de la protection civile levées”, affirme le premier responsable des services du commerce de la wilaya d'Alger. Un responsable au niveau de la direction générale de la Protection civile nous a confié que les réserves portent sur des insuffisances au niveau des sorties de secours.
“En cas d'incendie ou de séisme, on peut imaginer les risques que font courir ces insuffisances sur la sécurité de milliers de visiteurs. Le 8 mars 2011, il y avait une très grande affluence au centre. Imaginez un incident majeur, comme un incendie ou un séisme, imaginez un mouvement de panique, cela aurait été une catastrophe”, affirme un locataire du centre.
Le centre de commerce et de loisirs de Bab-Ezzouar assure, lui, qu'il dispose d'une autorisation d'exploitation pour ouvrir et excercer son activié dans cet ensemble immobilier. Des juristes, contactés, affirment que ce document ne vaut pas le certificat de conformité. “La loi est claire, ce document ne suffit pas pour pouvoir ouvrir un centre commercial et, à aujourd'hui, le centre commercial en parle, mais ne l'a jamais produit”, affirme un juriste.
D'autre part, on peut se demander pourquoi on met tant de temps pour délivrer un certificat de conformité. Il faut rappeler qu'après le séisme de Boumerdès de 2003, les mesures de prévention ont été renforcées. Les services de la wilaya d'Alger et de la Protection civile sont devenus très prudents. On met parfois plus de deux ans pour ouvrir un nouveau restaurant à Alger. Il faut savoir que la commission siège au niveau de la wilaya pour délivrer le certificat de conformité pour les supermarchés et les hypermarchés et les ensembles commerciaux du type Bab-Ezzouar. Cette commission comprend notamment des représentants du commerce, de l'urbanisme et de la Protection civile.
Les raisons de la fermeture du Bowling, de la salle de billard et de fitness
Outre cette question d'absence de conformité, les contentieux avec le centre commercial et de loisirs de Bab-Ezzouar se sont multipliés en une année d'activité. On dénombre au moins quatre affaires portées devant la justice. À l'origine des faits, le centre de commerce et de loisirs a augmenté de manière unilatérale et de façon considérable les charges. Cela va de plus de 50% à 100%. Cette hausse des charges était prévue dans les contrats signés avec les locataires. On s'attendait à 10% d'augmentation, mais pas 50%, 100%, racontent des locataires. Certains refusent de payer les nouvelles charges.
Le centre este alors en justice un locataire qui était en règle avec le centre jusqu'à cette décision unilatérale. Pour un autre locataire qui a payé tous ses loyers et charges à l'exception d'un seul mois, le centre lui coupe l'électricité un vendredi sans l'avoir prévenu. “Seul Sonelgaz est en droit de couper l'électricité. Les exploitants du centre n'avaient qu'à recourir à la justice”, lance-t-il.
C'est la goutte qui va faire déborder le vase. Le même locataire, qui gère le bowling, la salle de billard et des restaurants, este en justice le centre pour le préjudice causé. Il ferme le bowling, la salle de billard et les restaurants. Une centaine de ses employés sont alors mis au chômage technique.
Quant au fitness, il devait être exploité par le gérant du bowling et un entrepreneur d'Oran. Ce dernier s'étant désisté en raison de l'absence de certificat de conformité, le premier associé dans le projet a abandonné la partie. Ce qui explique la fermeture de l'espace devant abriter le fitness depuis l'ouverture du centre commercial et de loisirs de Bab-Ezouar. Contacté, un responsable au ministère de la Culture nous explique les raisons du retard (plus d'un an) dans l'ouverture des 8 salles de cinéma. “Le centre n'a pas répondu à des points du cahier des charges. Nous avons désigné un expert français pour vérifier si les salles sont conformes. Il a émis des réserves. Depuis, le centre n'a pas contacté le ministère”. Cela ajoute de l'eau au moulin de locataires. “Ce n'est plus un centre de commerce et de loisirs. C'est devenu un centre uniquement commercial. Contrairement aux promesses des exploitants à l'ouverture : offrir un espace de commerce et de loisirs aux visiteurs. Cette situation nous cause un préjudice financier”, arguent plusieurs locataires.
Une telle hausse inconsidérée des charges suscite alors le mécontentement de nombre de locataires ou franchisés du centre. Certains dénoncent l'arrogance et le mépris du président de la société, le véritable patron du centre, qui n'a pas donné d'explications suffisantes sur les raisons de cette hausse importante des charges. Cette augmentation des charges va entraîner un déséquilibre dans les contrats signés entre la société exploitante du centre et les locataires.
Elle remet en cause la rentabilité des commerces. “Les loyers et charges sont devenus exorbitants. Pour une petite surface qui doit payer 500 000 DA/mois, il faut qu'elle arrive à faire 1 milliard de centimes de chiffre d'affaires par an pour qu'elle s'en sorte. C'est exorbitant. Ce n'était pas prévu au départ. Les exploitants n'ont jamais donné les vraies raisons de ces augmentations. S'ils avaient affiché ces charges au départ, personne n'aurait loué. Sidi-Yahia est devenu moins cher que le centre commercial et de loisirs de Bab-Ezzouar. Les charges sont devenues aussi chères que les loyers”, proteste un locataire. Les premiers locataires sont les victimes de cette situation. “Il ne faut pas oublier que ce sont nous les premiers locataires qui avons construit tous les locaux et non le centre qui les a livrés à l'état brut. Lorsque le centre a été construit, les premiers locataires ont dû effectuer des travaux (revêtements muraux, chape de sol, faux plafond, raccordement électricité, eau, gaz et climatisation). Ils sont en train de tout faire pour décourager les premiers locataires : les faire sortir de manière tout à fait illégale pour héberger de nouveaux locataires, au détriment des premiers locataires sans indemnisations pour les travaux déjà effectués. On a investi en moyenne 6 à 7 millions de dinars par boutique”, ajoute-t-il.
Autres contentieux : CSSEC et des prestataires de services
Selon une source, la société chinoise CSSEC, qui a réalisé le centre, a esté en justice l'exploitant. De même, des prestataires se sont plaints que le centre n'ait pas payé une partie des travaux engagés avant l'ouverture du complexe commercial. Un paradoxe, relève-t-il, ils accusent des locataires de ne pas payer les charges, alors qu'ils omettent de payer d'aucuns parmi les prestataires.
C'est dans cette atmosphère de tension entre locataires et gestionnaires du centre que le centre a poursuivi ses activités durant l'année 2011. La méfiance s'est installée. “Ils veulent faire de ce centre une machine à sous. Leur attitude laisse sous-entendre l'intention de revendre le centre. Toutes ces attitudes ne peuvent se justifier que par une volonté de vendre le centre à d'autres investisseurs. Ce qui nous interpelle : est-ce que les terrains dans cette zone peuvent être cédés alors que dans le cahier des charges, il y a une clause d'incessibilité de 10 ans ? et qu'ils ne sont pas à la portée des investisseurs algériens ? Qu'en est-il du droit de préemption devant être exercé par l'Etat ?” avancent des locataires.
Dans ce climat de suspicion, une association des commerçants du centre est en cours de constitution pour défendre les intérêts des locataires, plus précisément en vue de rééquilibrer les relations contractuelles. Ses adhérents représentent une surface de 17 000 mètres carrés sur les 31 000 que compte l'ensemble commercial. En attendant, une centaine de travailleurs sont au chômage technique et une autre centaine de salariés sont menacés de licenciement.
K. R.


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