Dans cet entretien, ce spécialiste des questions pétrolières aborde les enjeux liés aux changements de la loi sur les hydrocarbures. Il plaide de nouveau pour le retour à la loi 86-14 avec, cependant, des aménagements nouveaux pour encourager les compagnies étrangères à investir en Algérie. Liberté : Comment évaluez-vous les résultats de la loi sur les hydrocarbures de 2005 ? Mourad Preure : Je crois qu'il est difficile d'affirmer que cette loi fut une réussite. On peut même dire qu'elle a eu pour conséquence notable un frein au développement pétrolier et gazier national. Elle a aussi brouillé l'image de l'Algérie jusqu'alors considérée comme un pays à la législation attractive et stable. Cette qualité renforçait l'attrait de notre domaine minier national considéré unanimement comme prospectif et sous-exploré. De fait, nous n'avons pas découvert de grands gisements depuis 10 ans. Les derniers appels d'offres sont un échec qui signale l'urgence de reconsidérer fondamentalement les changements hasardeux opérés dans notre législation pétrolière. Le rythme de production doit être suivi par un rythme équivalent de découvertes, ce qui n'est pas le cas. De même, il faut améliorer le taux de récupération dans les gisements en y incluant les dernières avancées technologiques, et nos gisements en exploitation ont encore un fort potentiel. Le déclin de notre production à long terme, conséquence de ces changements, n'est pas irréversible si on agit avec détermination, autant au plan de la réglementation qu'à celui tout aussi fondamental du renforcement technologique et managérial de Sonatrach qui, portée aux standards de la profession, est en mesure de challenger les meilleurs et élargir notre base de réserves, autant en Algérie qu'en international. Ce renforcement de Sonatrach doit dans le même temps comprendre nos sociétés de service pétrolier mais aussi nos PME et nos universités. Pouvez-vous expliquer aux lecteurs les principes du contrat de partage de production et les avantages pour l'Algérie de conserver le ratio 51/49 ? Le contrat de partage production ou Production Sharing Agreement (PSA) est spécifique à l'activité pétrolière et gazière. Il repose sur le principe du partage des risques entre les contractants. Dans le PSA, la compagnie pétrolière nationale est détentrice du permis d'exploration et de production. L'état, qui est le propriétaire des ressources naturelles au nom de la communauté nationale, est également le propriétaire de la compagnie nationale et attribue donc à cette dernière ce permis, c'est-à-dire le droit d'explorer et de produire sur un bloc, une surface, une fraction déterminée du domaine minier national. C'est grâce à ce permis que la compagnie nationale mettra sur pied un partenariat avec une ou plusieurs compagnies étrangères et dont les règles seront définies dans le PSA. En substance, il est confié au partenaire étranger la tâche de financer et d'entreprendre les opérations d'exploration et de recherche. Si ces opérations aboutissent, c'est-à-dire qu'elles donnent lieu à des découvertes, le partenaire étranger aura, sur les hydrocarbures ainsi découverts qui seront donc produits, non seulement le droit d'obtenir le remboursement du montant de ses investissements (appelé aussi cost oil), mais aussi celui de percevoir une autre part sur ces hydrocarbures et qui constitue en réalité son profit ou son bénéfice (profit oil). à l'inverse, s'il n'y a pas de découverte, le partenaire étranger ne pourra prétendre à aucune rémunération ni à aucun remboursement de ses investissements. Le partenariat dans l'amont pétrolier est toujours fondé sur le partage du risque. Ici l'essentiel du risque est assumé par le partenaire étranger qui prend en charge l'investissement et apporte la technologie. Cependant, contrairement à la loi de 2005, ce partenaire n'accède pas à la production et est de fait détenteur d'une créance qui lui sera payée en produits s'il y a découverte, et seulement si. C'est ce dispositif juridique du partenariat pétrolier que définissait la loi 86/14 avant qu'il ne soit remis en cause par la loi de 2005/2006. Le régime du PSA a largement fait ses preuves auprès des compagnies internationales, qui le connaissent très bien et l'adoptent sans aucune difficulté. La nouvelle loi ne prévoit pas le PSA. Il s'agit d'un dispositif différent qui prévoit divers types de contrats avec cette caractéristique fondamentale que c'est l'Etat qui, à travers une agence, est directement partie avec la société étrangère, et qui impose à cette dernière la présence de Sonatrach dans la relation contractuelle avec un minimum de 51% de participation dans le projet pétrolier envisagé. Ce dispositif implique inévitablement pour Sonatrach un engagement financier conséquent à hauteur de ce niveau de participation, alors que dans le régime du PSA, un tel engagement financier de la compagnie nationale n'était ni automatique ni obligatoire. Il s'agit là à l'évidence d'une différence majeure que la nouvelle loi a introduite dans le dispositif juridique algérien et qui implique un volume d'investissement et une participation au risque pour Sonatrach. Sera-t-elle toujours en mesure de faire face à ces engagements financiers ? L'allocation de ces ressources au détriment d'autres projets qu'elle pourrait considérer comme prioritaires n'affectera-t-elle pas son développement ? Autant de questions. Comment commentez-vous le litige Sonatrach-Anadarko ? Sonatrach et Anadarko sont des partenaires dans un projet d'exploration production. Cela veut dire qu'elles partagent un risque, qu'elles sont engagées sur le long terme. De tradition, il y peu de contentieux dans ce cas d'espèce. La question de la rétroactivité de la taxe sur les profits exceptionnels refusée par Anadarko doit être traitée avec sagesse par cette dernière. Anadarko ne doit pas insulter l'avenir. D'autre part, ce genre de problèmes n'est pas propre à l'Algérie. La Grande-Bretagne a annoncé le 23 mars de cette année son intention de modifier la fiscalité de la mer du Nord, portant l'impôt pour les opérations offshore de 20 à 32% et décidant d'une nouvelle taxe de 20% avec un seuil de déclenchement à 75 $ le baril, causant de graves désagréments aux compagnies qui y opèrent et affectant l'économie de leurs projets. Il est malsain que nos partenaires étrangers focalisent toujours sur Sonatrach, alors même que l'état algérien souverain dispose et disposera toujours de la latitude de réexaminer sa fiscalité, étant comptable de la gestion de nos ressources et de l'intérêt des générations futures. Sonatrach était actionnaire d'Anadarko et je me souviens combien cette compagnie était inquiète dans les années 90, alors qu'elle était menacée d'OPA, que Sonatrach vende ses actions à un raider menaçant de contrôler cette compagnie. Je me rappelle avec quels égards nous étions reçus par le top management de cette société. Sonatrach, alors, s'était inscrite dans une logique de partenariat à long terme avec Anadarko, avec les succès que l'on sait dans le bassin de Berkine. à cet égard il faut noter qu'Anadarko, une petite société pétrolière américaine, s'est développée et a acquis une notoriété internationale grâce aux actifs algériens. Comment voyez-vous les aménagements à la réglementation actuelle sur les hydrocar,bures pour inciter les partenaires étrangers à investir en Algérie, en termes de fiscalité et de profit oil, tout en préservant les intérêts de l'Algérie ? Je sais que nos amis du ministère de l'énergie et des Mines travaillent sur le dossier. Je ne veux pas anticiper sur le résultat final, qui doit en effet être un optimum par rapport aux possibilités et potentiels du domaine minier national, à la situation actuelle de l'industrie pétrolière qui appréhende un nouveau cycle récessionniste pour l'économie mondiale, peut-être même comme je le pense une grave dépression, par rapport aussi à l'objectif de mettre au jour de nouvelles réserves, notamment gazières au flanc sud de l'Europe, avec des incitations particulières pour les petits gisements et les hydrocarbures non conventionnels. Je pense qu'un travail sur la fiscalité mais aussi sur les formules contractuelles sera au cœur des aménagements. Mais tout de même, je pense que l'édifice juridique conçu en 2005/2006 est trop et inutilement complexe, qu'un retour à la loi 86/14 aménagée notamment pour écrémer les superprofits (mais non rétroactifs) est le meilleur choix. Je pense aussi que la duplication de moyens d'étude et d'ingénierie entre Sonatrach et les Agences doit être regardée de près. Quelle est l'utilité de ces agences ? Le retour à l'expansion de l'industrie pétrolière et gazière algérienne les années 90 ne s'était-il pas opéré alors que Sonatrach gérait de fait pour le compte de l'Etat, et sous son étroit contrôle, notre domaine minier ? Il faut optimiser les moyens techniques et les ressources humaines hautement qualifiées dans les géosciences et le management des réservoirs. Surtout après la saignée que nous avons subie du fait de la gestion aventureuse de la dernière décennie. Pourquoi faut-il maintenir l'option du partenariat avec les compagnies étrangères comme axe important de la stratégie de Sonatrach ? Le partenariat est toujours la clé du développement de l'amont, car il permet le nécessaire partage du risque. Aucune compagnie ne développe seule un gisement, fût-il le sien. Il faut aller vers de nouvelles idées en matière de partenariat. Je ne pense pas que l'appel d'offres soit toujours la meilleure voie. Comme disait M. El-Badri, secrétaire général de l'Opec : “On ne choisit pas sa femme par appel d'offres.” Le choix du partenaire est une décision stratégique essentielle où il ne faut jamais se tromper. Il faut éviter de drainer des compagnies de faible envergure et souvent en situation d'apprentissage, comme nous l'avons fait ces dernières années. Il faut discuter avec les leaders, ceux qui maîtrisent la technologie et sont en mesure d'apporter un plus à nos gisements, ceux qui sont en mesure d'ouvrir des perspectives stratégiques à Sonatrach, à Sonelgaz, à nos sociétés de service, nos PME, nos universités. Car les hydrocarbures doivent jouer un rôle entraînant sur notre économie absolument. Il faut poser le problème en termes d'alliances stratégiques. L'accès à l'amont algérien pour une compagnie internationale peut se faire dans un permis d'exploration dans un projet d'exploration ou dans le cadre d'un farm out en Algérie contre un farm in pour Sonatrach en international. Le partenaire doit apporter des ouvertures stratégiques pour Sonatrach et Sonelgaz : accès à des gisements à l'étranger dans des zones à fort potentiel, accès à de nouveaux thèmes technologiques (ultra deep, gaz non conventionnels, etc.), développement en commun de chaînes gazières au Moyen-Orient où Sonatrach apportera son expertise, notamment dans le GNL, accès à l'aval gazier et à la génération électrique en Europe, etc. Comment voyez-vous l'évolution des prix du pétrole et du gaz en 2012 ? Beaucoup d'incertitudes qui tiennent essentiellement aux perspectives très aléatoires de l'économie mondiale. La demande gazière mondiale a connu une hausse exceptionnelle en 2010 de 7,3%. L'augmentation de la demande européenne de 7,5% a conduit à une convergence entre les prix spot et les prix des contrats de long terme, avec une réduction de l'écart à 30%. En septembre 2009, les prix spots étaient à 4 dollars Mbtu contre 12 dollars pour les prix des contrats à long terme. On pense que cette convergence devrait s'accentuer à l'avenir, car si le prix des contrats est impacté par les prix du pétrole, le prix spot est tiré par la hausse des prix du charbon, par l'effet Fukushima et la forte croissance de la demande de GNL en Asie. Le prix du pétrole quant à lui fluctue autour d'un pivot de 100 dollars le baril, avec des forces de rappel à la hausse et à la baisse qui semblent jouer efficacement. Les Majors évaluent leurs investissements sur un prix de 100 dollars le baril. La tendance haussière de long terme anticipant l'épuisement des réserves et le retour vers le pétrole Opec est contrecarrée par un ensemble de signaux baissiers de court terme assez inquiétants : (i) La crise de la dette souveraine et l'entropie qui envahit la zone euro, (ii) on prévoit que pour la deuxième année consécutive la demande recule en 2012 dans la zone OCDE, (iii) cette crise impactera les exportations chinoises, or la Chine est le moteur de la croissance de la demande pétrolière (la moitié de la croissance de la demande en 2010 et 40% en 2011). La croissance économique prévue en 2012 est de 3,9% contre 4,5 prévus initialement. Je n'exclut pas aussi, dans le cas probable d'une propagation de la crise dans la zone euro, une forte récession en Europe avec un risque de collapsus pour l'économie mondiale, une crise d'une ampleur jamais connue. Dans un tel cas de figure, la demande pétrolière mais aussi gazière s'effondrerait, et les prix connaîtraient des baisses significatives (des niveaux de 40 dollars le baril ne seraient pas à exclure). Ces baisses ne devraient pas durer très longtemps (quelques mois), car on n'imagine pas que l'économie mondiale ne trouve pas les ressources conceptuelles pour dépasser cette crise systémique. Il faut que nous nous préparions à tout cela avec des stratégies de riposte efficaces, en déconnectant absolument notre croissance des mouvements erratiques du marché pétrolier et en adoptant une attitude offensive en nous préparant à faire des acquisitions d'actifs dans les pays européens en crise, en ouvrant sélectivement notre marché intérieur à leurs entreprises, leur apportant un oxygène inespéré, à la condition qu'elles apportent des ouvertures stratégiques à nos champions nationaux, nos PME et nos universités. K. R.