Le populisme n'est plus l'apanage des hommes politiques. La presse, cédant graduellement au discours des lamentations, se joint au concert des jérémiades ramadhanesques. Il en va ainsi du blâme collectif et mensuel servi par la nation entière contre les commerçants, chaque année, pendant le mois de carême. Nous sommes en économie libérale, à connotation mafieuse certes mais libérale. Cette dimension mafieuse témoigne d'ailleurs du fait, regrettable, que notre marché n'est pas encore assez libre. Ce n'est pas le commerçant qui est en cause, s'agissant donc des prix. Quand un citoyen décide qu'un mois durant, il ne peut se passer, ne serait-ce qu'un jour, de viande, de kalbellouz, de tomate, de pruneaux, de courgette et de je ne sais quoi d'autre, comment voudrait-on maîtriser les tarifs de ces consommations sacralisées au point d'être confondues — ô paradoxe ! — avec le jeûne. Quand l'abstinence diurne devient prétexte à s'empifrer à longueur de la nuit, on doit tout de même s'attendre à saler aussi sa facture. C'est un principe vieux comme le marché : en augmentant sa consommation, on augmente aussi le prix unitaire du produit. Pour en revenir au commerçant, il est faut qu'il s'invente une indélicatesse pour le ramadhan : à longueur d'année, le marchand de fruits et légumes vous pèse une autre marchandise entassée à l'intérieur de son monticule, différente en calibre et en qualité de celle qui garnit le versant extérieur ; à longueur d'année, nous sommes attirés par un article et nous en payons un autre. La vigilance d'un mois budgétivore ne compense point la complaisance molle de toute une année. Ce sont nos excès que nous voulons faire endosser au commerce. Ailleurs, on ne se plaint guère des suppléments de dépense de Noël, du Nouvel An ou de Halloween. On se programme en fonction de ses moyens. C'est tout. Même ici, nous sommes nombreux à aller nous faire plumer pour passer des réveillons, alignés par quatre dans une cantine pour snobinards. Et là, nous payons, sans rechigner, le prix de notre présomptueux mimétisme. En revanche, ce que nous devrions, à mon sens, dénoncer en nous, c'est le modèle de consommation épicurien que nous associons à ce mois réputé d'abstinence. Ce sont ses répercussions criminelles qui affectent les plus pauvres d'entre nous, qui eux — et il faut savoir qu'ils sont la majorité — renoncent, un mois durant, à la viande, aux courgettes, aux gâteaux et autres victuailles qui font notre menu anodin. Ces damnés de ramadhan sont trop pieux, et donc trop fatalistes pour s'en plaindre. Ils laissent les lamentations à ceux qui ont les moyens d'affronter les étals dispendieux que les pauvres évitent. La loi du marché, comme loi naturelle, est la loi de la sagesse. Ecoutons-là au lieu de chercher le bouc émissaire de nos abus. M. H.