Khaled Bourayou est un physique. Dans un film américain, par exemple, il ne pourrait pas jouer le rôle du poivrot, ni du dindon de la farce. On lui ramènerait le meilleur maquilleur d'Hollywood pour adoucir ses traits virils, et endosser ainsi le rôle de l'agneau, que le pauvre maquilleur à la démarche chaloupée et à la voix fine comme la plupart des artistes, jetterait l'éponge ! Il ne peut défaire ce que la nature a fait. Il lui dira en se pinçant la bouche : “Vous êtes trop mâle mon cheeer !” Mais attention, si Khaled n'est pas un agneau, il n'est pas pour autant un loup. Enfin, si, quand même un peu. Il conviendra avec nous que ses yeux ne sont pas ceux d'un agneau. Vous avez vu ses yeux jaunes, vifs et mobiles ? Deux vraies grenades dégoupillées, prêtes à exploser à la face du monde. Indéchiffrables aussi ces yeux qui changent de couleur au gré de sa météo interne. Même sa secrétaire le craint. Elle le regarde comme s'il était le diable. Elle frissonne et fait la Chahada. Elle le voit hautain, inaccessible alors que selon ses amis, il est la gentillesse même. Gentillesse du loup qui veut séduire l'agneau, disent ses détracteurs. Khaled rigole franchement de cette image ambigüe qu'il dégage. Il en joue d'ailleurs à merveille, de cette ambiguïté. On le prend pour un dur, un homme sans cœur, sans foie et, pourquoi pas sans foi, ce qui est autrement plus risqué par ces temps où les révolutions accouchent de barbus ? À la bonne heure. Ceux qui le connaissent bien et ne s'arrêtent pas aux apparences, savent qu'il lui est arrivé de pleurer en audience. Oui, Monsieur, il verse parfois de grosses gouttes à noyer un jury. Ce dur a le cœur tendre, ce tendre a la carapace d'un dur, donc ce n'est pas un dur, juste un homme aguerri qu'on croit endurcit. Le matin, en sortant de sa maison, il met sa carapace de combattant. Et sus alors aux ennemis de la liberté d'expression, ceux qui veulent bâillonner cette presse chérie qu'il met au-dessus de toutes les professions. Toutes, vraiment toutes ? Oui, juste au-dessous du métier d'avocat qui est pour lui la noblesse-même. Rien ne fait autant plaisir à Khaled que de défendre la veuve qui a perdu tous ses combats et l'orphelin qui a perdu espoir en la justice. Les causes désespérées ? Il adore. Pour lui, aucun combat n'est perdu d'avance. Son secret ? C'est qu'il n'y a pas de secret. Il travaille dur, prépare minutieusement ses dossiers en se concentrant sur les failles et les insuffisances relevées ici et là. Le plus beau compliment qu'on puisse d'ailleurs lui faire c'est de lui dire qu'il a un cabinet sérieux. Juste sérieux. Il a horreur des épithètes et de l'emphase. Il sait que ce n'est que de l'écume, du vernis, de la poudre aux moineaux. Il n'aime pas le style grandiloquent. Mais il aime un mot de de Gaulle qui était, lui, la grandiloquence même : “Il n'y a pas pire dans l'histoire de l'humanité que l'incohérence.” Tout est là. L'avocat aime la clarté et la logique. Il a besoin d'une justice affranchie de tous les pouvoirs, quitte à perdre avec elle tous ses procès, car au-dessus de tout, il ne met pas l'intérêt de son client ou le sien, mais la vérité, mais la justice, mais le droit. Tout cela a un nom : cohérence. Khaled est un homme amoureux. Amoureux du beau, amoureux de la vie. Pour lui, l'amour est la base de tout. Sans amour, on meurt. Mère Theresa finalement cet homme qu'on disait de marbre et de granit ? Non, pas Theresa, soufi, oui il avoue qu'il est un tantinet mystique et qu'il éprouve le même plaisir, en écoutant le silence, qu'un derviche tourneur en train de faire la toupie. Seul un air de Abdelhalim Hafez est plus beau que le silence. Quand il l'écoute, il est transporté. Il retrouve alors sa jeunesse et toute une époque à jamais disparue. Ne lui demandez pas de chanter, il ne chante jamais ce qui l'enchante, il le fredonne par respect pour le maître. Même s'il a le cuir tanné par les combats, il est encore capable d'émerveillement. Quand un mot ou un homme l'épate, il applaudit en murmurant : “Adorable ! Adorable !” N'est-il pas adorable cet homme que plus rien n'étonne et qui s'émerveille toujours de ses semblables ? Il a évité de se racornir en évitant de détester son prochain. Alors dur à cuir ce cœur d'artichaut ? Dur en dehors, doux au-dedans… H. G. [email protected]