Les nombreuses mesures en faveur des entreprises, décidées en 2011, semblent marquer un véritable tournant dans la prise de conscience et l'action des pouvoirs publics algériens. Elles n'ont cependant pas, pour l'instant, modifié de façon sensible la perception de la plupart des opérateurs économiques nationaux, ni a fortiori, sur le classement de notre pays en matière de«climat des affaires». Tentative d'explication. Le discours des principaux responsables économiques algériens illustre le décalage de perception actuel entre les pouvoirs publics, qui ont engagé depuis plusieurs années, et accéléré en 2011, un important programme d'encouragement de l'investissement et de soutien aux entreprises, et des opérateurs économiques, privés notamment, qui, en général, se félicitent des mesures annoncées mais continuent d'afficher leur scepticisme et affirment ne rien voir sur le terrain. C'est certainement à partir des déclarations du ministre des Finances, M. Karim Djoudi, qu'on retrouve, au cours des derniers mois, les tentatives d'explication les plus cohérentes sur la stratégie mise en œuvre par les autorités algériennes. En résumé, on peut retenir de ses différentes interventions récentes trois points essentiels. Primo, après une décennie consacrée principalement à la mise à niveau des infrastructures, la priorité de la période qui s'ouvre est désormais l'investissement productif. Secundo, cette nouvelle priorité se traduit par un ensemble de mesures complémentaires d'encouragement de l'investissement des entreprises publiques et privées et se traduit par la mobilisation de ressources financières importantes (recapitalisation des entreprises publiques, fonds de garantie des crédits aux PME, programme de mise à niveau, rééchelonnement des dettes des PME etc). Tertio, elle s'accompagne d'une révision du cadre juridique et de la réglementation, qui vise à favoriser la production et les opérateurs nationaux au détriment de l'importation (régle du 51/49, prime aux opérateurs nationaux sur les contrats publics, crédit documentaire, suspension du crédit auto jusqu'au démarrage de la production nationale...). Les PME dans l'attente d'une éclaircie Les autorités économiques algériennes semblent s'être converties, avec beaucoup de retard et non sans réticences, à la doctrine suivant laquelle il n'y aura pas de développement économique sans augmentation du nombre et de la taille des PME. Sans doute pour compenser une prise de conscience tardive, c'est la création de 200 000 PME qui est programmée au cours des prochaines années. Un dispositif d'accompagnement à la création ou au développement des PME se met en place progressivement, notamment dans le domaine très sensible du financement de leur activité. Premier en date de ces instruments, la création de 2 fonds de garantie des crédits aux PME est intervenue dès le milieu de la décennie écoulée. Ils ne sont cependant devenus opérationnels que depuis environ 3 ans. Le plus important d'entre eux est la Caisse de garantie des crédits d'investissement aux PME (CGCI). Elle est dotée d'un capital de 30 milliards de dinars. La CGCI fonctionne vis-à-vis des banques comme une compagnie d'assurance garantissant les crédits d'investissement et indemnisant ces dernières en cas de défaillance de l'emprunteur. La LFC, pour l'année 2009, a élargi le niveau maximum de cette garantie, qui est passé à 250 millions de dinars. À condition, cependant, que les banques commerciales prennent la bonne habitude d'intégrer ce nouveau dispositif dans leurs procédures d'octroi de crédits. Ce qui est loin d'être le cas pour le moment. Le bilan de l'intervention de la CGCI reste modeste. À fin 2010, elle avait accordé environ 700 garanties financières, qui ont bénéficié à 5 banques publiques, pour un total de crédits d'investissement un légèrement supérieur à 13 milliards de dinars accordés aux PME éligibles à la garantie financière. Les données sont très proches pour le FGAR, créé peu avant la CGCI pour couvrir les crédits accordés à des PME de petites taille et dont le bilan de l'activité concerne également quelques centaines d'entreprises. La mise à niveau des PME clouée au sol Annoncé par le gouvernement le 11 juillet 2010, le programme quinquennal 2010-2014 de mise à niveau des PME est destiné à “préparer les entreprises nationales à affronter la compétition internationale et à permettre la diversification de nos exportations.” L'Etat algérien, qui fixe un objectif de mise à niveau pour 20 000 petites et moyennes entreprises durant la période 2010-2014, est ainsi disposé à “engager, à cette fin, plus de 380 milliards dinars (plus de 5 milliards de dollars) de ressources publiques en concours directs et en bonification sur les intérêts des crédits bancaires”. Après 18 mois de mise en œuvre, les résultats ne semblent pas au rendez-vous et, dans un document adressé au gouvernement, le FCE relevait récemment le peu d'engouement provoqué jusqu'ici par le programme, qui n'a retenu l'attention que de quelques centaines d'entreprises et engagé que quelques dizaines d'actions effectives de mises à niveau. Un rééchelonnement des dettes “généreux” Le rééchelonnement des dettes des PME en situation de difficulté financière est la dernière en date des mesures annoncées au profit des entreprises. Son principe avait été arrêté et développé par les tripartites du 28 mai et du 29 septembre 2011. Le dispositif, précisé récemment par L'Abef, est jugé “généreux” par de nombreux spécialistes. Le spectre d'activité des opérateurs éligibles au rééchelonnement soutenu par le Trésor public est large, seules sont exclues de cette opération les entreprises de commerce spécialisées dans la revente en l'état de marchandises. La durée maximale du nouveau crédit est de dix ans assortie d'une période de grâce maximale de cinq ans durant laquelle les intérêts courants seront pris en charge par le Trésor. En échange de l'effort consenti par les pouvoirs publics, les entreprises doivent seulement se dispenser de distribuer des dividendes pendant la période de rééchelonnement et n'envisager de nouveaux investissements qu'après accord de leur banquier. Selon M. Karim Djoudi, le dispositif devrait concerner, au total, près de 3 000 PME et traiter un volume de dettes de 200 milliards de dinars, 80 milliards d'agios étant pris en charge par le Trésor public. M.Benkhalfa mentionnait, voici quelques jours, le chiffre d'un peu plus de 400 dossiers traités par les banques à fin 2011. Plus que le niveau de ressources mis en œuvre, c'est donc la lenteur remarquable de la montée en régime de ces différents outils d'aide au développement des PME qui semble poser problème. Il est vrai que beaucoup d'entre eux sont de création trop récente pour que leur impact soit ressenti de façon sensible sur le terrain. C'est également le cas des fonds régionaux d'investissement créés l'année dernière, qui doivent prendre des participations minoritaires (jusqu'à 34%) dans le capital des PME dans le but de renforcer leurs fonds propres et constituer des projets bancables et dont les activités ont à peine démarré. Pluie de capitaux sur les entreprises publiques Si les mesures adoptées en faveur des PME tardent à produire des effets, les mécanismes d'aide aux entreprises publiques paraissent, pour leur part, beaucoup mieux rodés. Voici plus d'un an, M. Ahmed Ouyahia estimait que “près de 200 entreprises publiques ont déjà bénéficié de la mise en route de leur processus de modernisation pour un total de 600 milliards de dinars (environ 8 milliards de dollars) dont, notamment, près de 500 milliards de crédits à long terme et fortement bonifiés.” Des données plus récentes indiquent que le bilan de ces actions de recapitalisation aurait atteint désormais près de 800 milliards de dinars. Depuis le milieu de l'année 2009 et au rythme de leur examen par le Conseil des participations de l'Etat (CPE), institution représentant l'Etat actionnaire et présidée par le Premier ministre, il ne se passe pas de mois sans qu'on n'annonce de nouvelles mesures de financement portant sur des dizaines de milliards de dinars au profit d'un groupe d'entreprises publiques. L'objectif affiché par cette démarche est d'enrayer le déclin de l'industrie algérienne, qui ne représente plus aujourd'hui que 5% du PIB. Cette priorité réservée au secteur public a fait, de longue date, l'objet de nombreuses critiques de la part de beaucoup d'économistes et d'entrepreneurs algériens qui considèrent qu'elle retarde la nécessaire restructuration de l'économie algérienne et constitue la principale explication d'une croissance qui reste inférieure à ses potentialités. Au cours des 5 dernières années, la croissance économique algérienne s'est située entre 2 et 3% alors qu'elle a été en moyenne de près de 5% dans les pays voisins. Les difficultés et les lenteurs qui caractérisent la mise en place des nouveaux dispositifs auxquels s'ajoute la permanence des arbitrages rendus au profit du secteur public conduisent aujourd'hui beaucoup d'observateurs de la scène économique algérienne à réclamer, à l'image du think tank “défendre l'entreprise”, une accéleration du processus de réforme économique et un changement d'échelle de l'action de l'Etat dans ce domaine. H. H.