Révolution spontanée, théorie du complot, imposture islamiste. La table ronde organisée, vendredi soir, à Montréal, si elle a apporté un éclairage nouveau sur ce qui est communément appelé le Printemps arabe, a néanmoins suscité passion et polémique. Débat contradictoire. “Face aux pratiques de violence, de prise du pouvoir par la force et la fraude électorale, de militarisation institutionnelle, l'Algérie abdiquera-t-elle devant sa faillite politique et sa misère culturelle ? Ou bien fera-t-elle le choix de la rupture et de l'avenir contre le statu quo ? A-t-elle épuisé ses aspirations à l'Etat de droit ou bien réussira-t-elle sa révolution citoyenne et démocratique ?” C'est à cette problématique qu'a tenté d'apporter des éléments de réponse Fodil Boumala, sociologue et militant cyberdissident, lors d'une table ronde organisée, vendredi, par Médias Maghreb à l'Université du Québec à Montréal (Uqam) sous le thème générique : “Le Printemps arabe, un an après : révolte, ingérence et islamisme”. D'emblée, Boumala affirmera que la crise algérienne, loin d'être conjoncturelle, est structurelle et s'inscrit dans un processus historique biaisé. Il en veut pour preuve, la tradition pluraliste du Mouvement national remise en cause et les espoirs du peuple algérien confisqués par le duo Ben Bella-Boumediene avec le soutien du couple franco-égyptien. “La nature du pouvoir repose sur la violence et l'exclusion, car étant lui-même le produit de la violence et de coups d'Etat successifs”, soutient-il. D'où l'urgence de rompre avec le régime, dira-t-il. Comment ? Démilitariser d'abord, le pouvoir et séparer l'Etat du pouvoir. Pour lui, parler dans l'état actuel des choses de processus électoral est une hérésie. Le conférencier évoque trois scénarios possibles : le statu quo qui sera de plus en plus intenable ; une transition multipolaire qui pourrait se matérialiser par une présidentielle anticipée ; sinon, le scénario catastrophe avec une désintégration de la nation. “J'ai peur pour mon pays”, se plaint l'orateur, avant d'appeler à la refondation de l'Etat, seule solution pour concrétiser le rêve algérien, contrarié depuis l'Indépendance : gouverner par la compétence. Rappelant son implication dans la CNCD (Coordination nationale pour le changement démocratique), M. Boumala s'attaquera ensuite aux voix qui réduisent le Printemps arabe à une simple opération de manipulation des USA. “Lorsque les Occidentaux fabriquent des Ben Ali et soutiennent des dictatures, vous ne dites rien. Et lorsque des peuples se mobilisent contre les régimes dictatoriaux en place, vous criez à la manipulation”, tonnera-t-il coléreux. Se sentant visé, Ahmed Bensaâda a tenté de se défendre, lui, qui a auparavant pourfendu le rôle des Américains dans le déclenchement des révoltes arabes. Pour ce docteur en physique, qui vient de publier un pamphlet Arabesque américaine : le rôle des Etats-Unis dans les révoltes de la rue arabe, les révoltes arabes ne sont pas spontanées. La main de l'Oncle Sam n'est pas loin. “Ces révoltes montrent des similitudes avec celles qui ont bouleversé le paysage politique des pays de l'Europe de l'Est touchés par les révolutions colorées. Des révolutions structurées et financées par des organismes américains”, expliquera Bensaâda. Pour convaincre, il donnera l'exemple de cyberdissidents tunisiens et égyptiens formés par les Américains. Intervenant à partir de Paris en vidéoconférence, Haddad Mezri, ancien ambassadeur de Tunisie à l'Unesco, s'est attardé sur le triomphe de l'islamisme qui semble, selon lui, inexorable. Mezri part d'une conviction chevillée chez lui que, dans le cas d'élections libres, c'est l'islamisme qui triomphera dans les pays arabes. Pour étayer son propos, il évoquera les causes anthropologiques, politiques, médiatiques et géopolitiques basées sur des préjugés anciens. Une sorte d'explication du texte par le contexte. “L'islamisme n'incarne pas l'authenticité de l'Islam, il en constitue l'altération idéologique”, tranchera le philosophe. Il dit ne pas croire à l'islamisme modéré qu'il qualifie d'“imposture”. L'ancien opposant au régime Ben Ali, à travers la victoire de l'islamisme à l'ombre du Printemps arabe, dit vouloir comprendre les intérêts géopolitiques de certaines capitales occidentales de porter au pouvoir l'islamisme modéré. L'analyse qu'il en fait est qu'il s'agit ni plus ni moins que d'un déploiement du GMO (Grand Moyen-Orient) qui, dans la praxis politique, travaille à imposer la démocratie par la force. Un point de vue que ne partage pas Fodil Boumala qui estime que l'analyse des évènements suggère une certaine distance scientifique et une prudence épistémologique, si l'on veut être crédible. Enfonçant le clou, le sociologue rappellera que ce sont les pouvoirs arabes, hier alliés des Américains, qui ont donné naissance à l'islamisme, en empêchant l'émergence d'une élite démocratique par l'absence d'espaces de débat. Y. A.