“Issad Rebrab n'est pas un surhomme. Il a tout construit en commençant au commencement. Il n'a pas réussi parce qu'il avait corrompu le système à son service. Il s'est battu pied à pied pour se convaincre qu'il pouvait réussir et pour convaincre les autres de le laisser faire”, souligne l'auteur de l'ouvrage. “L'Algérie pour se reconstruire a besoin de modèles stimulants et encourageants. Issad Rebrab est un superbe modèle”, estime le professeur Taïeb Hafsi qui vient de publier, chez Casbah Editions, un ouvrage sous le titre Issad Rebrab : voir grand, commencer petit et aller vite. L'ouvrage fait partie de la collection Les grands bâtisseurs, qui présente “des entrepreneurs privés ou publics qui ont réalisé des choses ayant valeur d'exemple”. Certains, comme Issad Rebrab, transforment le pays en essayant de développer l'industrie. D'autres, comme Amara Latrous de la SAA ou Mohamed Mazouni de Sonatrach, ont contribué à dynamiser le secteur public. “Le texte fondateur de cette collection” est consacré “à l'histoire d'Issad Rebrab et de l'entreprise Cevital.” L'homme est guidé par sa passion de créer. À la tête de l'entreprise familiale Cevital, Issad Rebrab a des projets plein les cartons. Le livre se voulait au début une biographie “mais petit à petit, il a pris une dimension plus grande. Je me suis rendu compte que l'histoire d'Issad Rebrab raconte l'histoire économique de l'Algérie”, souligne le professeur Taïeb Hafsi. Sur 400 pages, Hafsi décrit la trajectoire d'Issad Rebrab, “un entrepreneur hors du commun”. L'ouvrage est structuré en quatre parties. La première partie du livre raconte l'entrepreneur, ses années formatives et ses premières constructions et montre quelques éléments sur le passage vers la grande entreprise. Dans la deuxième partie, l'auteur met l'accent sur l'émergence de la grande entreprise industrielle et son évolution vers une entreprise aujourd'hui orientée vers la compétitivité internationale. Dans la troisième partie, c'est l'entrepreneur, sa famille, son village qui sont mis en scène. La dernière partie va plu loin en profondeur dans le regard que les autres posent sur Issad Rebrab. “Il faut voir grand, commencer petit et aller vite”, répète l'industriel. “Issad Rebrab n'est pas un surhomme. Il est à l'image de l'Algérie. Il n'a pas réussi parce qu'il a hérité. Il a tout construit en commençant au commencement. Il n'a pas réussi parce qu'il a corrompu le système à son service. Le système a, au contraire, tout fait pour l'empêcher de réussir. Issad Rebrab s'est battu pied à pied pour se convaincre qu'il pouvait réussir et pour convaincre les autres de le laisser faire”, souligne le professeur Taïeb Hafsi. Issad Rebrab est né en mai 1944 à Taguemount Azzouz, à Tizi Ouzou. Il avait 10 ans lorsque la Révolution fut déclenchée. Son frère aîné, Amar, a rejoint l'ALN en 1956. Il est mort en martyr entre 1958 et 1962. “On ne découvrit jamais son corps et sa mère fut traumatisée parce qu'elle n'a jamais pu achever son deuil par un enterrement en bonne et due forme.” Le père d'Issad était un militant de longue date du mouvement nationale. Il était détenu politique à Ajenin-Bourzig (Colomb Béchar) dans les années 1930. Il a aussi été un militant très actif de la Fédération de France. Sa mère a été emprisonnée durant 5 mois et est restée en résidence surveillée jusqu'à l'Indépendance. Ces évènements ont marqué de manière indélébile l'esprit du jeune Issad. “Dans mon jeune âge, j'ai connu des moments très difficiles. Je ne suis pas né dans une famille aisée. Mon rêve était de mettre les miens à l'abri du besoin. À 10 ans, je faisais deux kilomètres pour transporter à 6 heures du matin un gros sac de pain, pour gagner un pain”, raconte Issad Rebrab. Les épreuves forgent l'individu. À 16 ans, il se retrouve à faire ce dont il avait rêvé : des cours de comptabilité, d'abord à Pigier, une école professionnelle privée en France, puis au lycée St-Augustin à Metz, toujours en France. Il pouvait bien continuer ses études en Suisse, au lendemain de l'Indépendance, grâce à une bourse d'études, mais le père le ramena à Taguemount Azzouz, près de Tizi Ouzou. Après trois mois, le jeune Issad décide de s'inscrire au centre de formation professionnelle à Maison-Carrée (El-Harrach), encadré par des Pères blancs, qui formait à la comptabilité. Il a réussi à passer son CAP et son BEC de comptabilité sans difficulté, avant de rentrer à l'Ecole normale en septembre 1964. Mais Issad faisait également des travaux de comptabilité à la pige et donnait des cours du soir. Il faisait 2 500 DA par mois, à l'époque où les salaires étaient plafonnés par décret, à 2 000 DA. Cependant à la fin de son année de spécialisation à l'Ecole normale, il fut nommé dans un collège de jeunes filles à Constantine comme enseignant. Son passage à Constantine fut éphémère. Il abandonna son poste à la fin de l'année. Il est recruté, par la suite, comme chef comptable dans l'usine de Rouiba des Tanneries algériennes. Là aussi l'expérience fut de courte durée. Il quitta l'entreprise trois années après son recrutement. En novembre 1968, il crée son cabinet d'expertise-comptable. Son premier saut dans l'industrie se présenta avec la société Socomeg. M. Rebrab s'intégra parmi le collectif des actionnaires de la petite Sarl de construction métallique, en prenant 20% des parts, pour 27 000 DA, soit 5 000 dollars US à l'époque. Il réussit à mettre sur les rails Socomeg et en faire une entreprise performante. C'est alors que des divergences sont apparues avec les actionnaires. Alors qu'Issad veut réinvestir ses bénéfices, les autres actionnaires ne veulent plus prendre de risque. C'est ainsi qu'il créa Profilor en 1975. En 1979, Profilor fait l'acquisition de plusieurs entreprises : la Sacm d'Oran, Sotecom. Elle a permis de créer Enalux et Metalor. Issad Rebrab a généré suffisamment de fonds pour lancer en 1988, à Larbaâ (Blida), Metal Sider, qui n'est entrée en production qu'en janvier 1992. Mais l'entreprise sidérurgique s'est révélée, rapidement, plus efficace que le mastodonte public SNS. “Il a dû faire face à l'armada bureaucratique mobilisée pour le détruire”, écrit le professeur Taïeb Hafsi en évoquant la période de Belaïd Abdesselam, lorsqu'il était Premier ministre. Le terrorisme lui porta le coup fatal, en détruisant l'usine de Métal Sider, en décembre 1994. “Les extrêmes se sont alliés contre une réalisation qui appartenait au fond à la nation algérienne”, regrette Taïeb Hafsi. Ce fut le premier coup d'arrêt d'Issad Rebrab. Il ne dura pas longtemps. Après quelques opérations d'importation de sucre, il réalisa vite qu'il ne pouvait faire face à une concurrence déloyale. “Il lui fallait faire quelque chose que des personnes pressées de gagner de l'argent ne feraient pas : retourner à l'industrie”, relève l'auteur. Avisé, il réalisa que la situation de l'agroalimentaire de base était critique. Issad et son fils Malik décident “d'aller d'abord vers l'huile et ensuite vers le sucre”, des produits vitaux, d'où le nom de la société Cevital (c'est vital). Issad construisit des usines d'huile et de sucre de classe mondiale avec des coûts de production compétitifs même contre les meilleurs du monde. Rapidement, Cevital a fait passer l'Algérie du stade d'importateur d'huile et de sucre à celui d'exportateur. En 2010, Cevital a exporté du sucre blanc dans 28 pays différents, des pays développés comme la Suisse, l'Italie, l'Espagne et le Canada et des pays éloignés comme l'Afrique du Sud et l'Inde. “De l'agroalimentaire, il est allé vers le verre plat puis vers une multitude d'activités porteuses d'avenir”, relève le professeur Hafsi. Cevital, au fond, était “un opérateur public”. Dans un rapport au conseil d'administration, Issad Rebrab confirme que “59% des fonds générés par les opérations sont versés au budget de l'Etat sous forme d'impôts et taxes (IBS, IRG, TVA, TAP, DD et autres), 40% sont réinvestis et seulement 1% est distribué aux actionnaires”. Pour le professeur Hafsi, “le livre se veut un regard sur l'Algérie à travers les efforts de l'un de ses meilleurs entrepreneurs”, un livre destiné à redonner confiance surtout aux jeunes Algériens. “L'histoire d'Issad Rebrab dit à tous les jeunes : vous pouvez le faire ! Vous pouvez le faire ! Ce n'est pas facile, mais vous pouvez le faire”, affirme le professeur Hafsi, soulignant que Issad Rebrab n'a jamais ignoré l'Etat algérien. “Il l'a respecté et lui a voué une grande dévotion. Les décisions prises à son encontre, il les a combattues, non pas comme on combat un ennemi, mais comme on combat l'erreur chez un proche”, estime Hafsi. Le livre démontre qu'Issad Rebrab n'a jamais cessé de croire en l'Algérie et en l'Etat algérien. Il suggère que des entrepreneurs comme Issad Rebrab aident à construire l'économie et les institutions. Il suffit de libérer les initiatives. M R