Comme de nombreux Etats de la région, l'Algérie tente d'endiguer les contestations sociales et politiques en agissant sur le levier des prix des produits alimentaires de base. Une recette dont le coût pour les finances publiques mais également en terme d'importation et de structuration du tissu économique, risque de s'alourdir sensiblement au cours des années à venir. Existe-t-il un moyen de sortir de cette impasse ? AAlors qu'il avait pratiquement disparu du paysage économique algérien au cours des années 1990, le soutien des prix fait un retour en force à la fois dans la politique mise en œuvre par les autorités algériennes et dans le débat public. Voici tout juste un an, c'était dans l'urgence que moins de 3 jours après le déclenchement des émeutes populaires du début du mois de janvier 2011, le gouvernement algérien adoptait un train de mesures radicales destinées à stopper net la hausse des prix de l'huile et du sucre. Quelques semaines plus tard, le Conseil des ministres du 3 février confirmait ces mesures et décidait. : “D'élargir notamment aux légumes secs, le champ d'application du dispositif de stabilisation des prix des produits de base”. Pour faire bonne mesure, une commission d'enquête parlementaire était constituée, qui a rendu à la mi-novembre dernier,“pour la première fois dans l'histoire du pays”, ses conclusions. Le coût de ces nouvelles mesures a été estimé à environ 30 milliards de dinars . Il est venu gonfler un peu plus un budget de soutien des prix des produits alimentaires de base déjà très substantiel. Le dispositif en place à la veille de ces nouvelles mesures accordait déjà de larges subventions aux producteurs et aux importateurs des trois produits alimentaires les plus importants dans le modèle de consommation des Algériens. Le blé tendre destiné à la production des farines , le blé dur transformé en semoule et la poudre de lait sont cédés à un peu plus d'un tiers de leur prix de revient par les producteurs et les importateurs. Coût de la facture pour les finances publiques selon le président de la Commission d'enquête parlementaire, M Kamel Rezgui : plus de 300 milliards de dinars( environ 4 milliards de dollars). Le mécanisme ne se limite pas aux seuls produits alimentaires de base et les prix de l'eau, du gaz, de l'électricité ainsi que ceux des carburants sont fixés administrativement à des niveaux sensiblement inférieurs à leur coût de revient moyennant le paiement de subventions aux opérateurs concernés. Un scénario d'emballement des importations de produits alimentaires Pour beaucoup d'analystes, le coût de la politique de soutien des prix ne se réduit pas à son seul impact budgétaire. Rendus public voici quelques jours, les résultats du commerce extérieur en 2011, confirment la progression impressionnante des importations algériennes qui se sont établies à plus de 46 milliards de dollars l'année dernière, en hausse de plus de 14% par rapport à l'année 2010. La démarche d'endiguement mise en œuvre depuis 2008, cède donc la place à un scénario de progression voire d'emballement des achats de l'Algérie à l'extérieur qui soulève de nombreuses interrogations. La première concerne l'explication à donner de ce nouvel accès de fièvre des importations algériennes. Tous les groupes de produits ne sont en effet pas concernés de la même manière. La hausse la plus importante a été enregistrée par les importations de produits alimentaires qui augmentent de près de 61%, et frisent désormais les 10 milliards de dollars, tandis que les autres groupes de produits de la structure des importations ont connu des augmentations nettement plus modérées. Une analyse plus fine révèle qu'au sein des produits alimentaires, les importations de céréales occupe une place prépondérante. La facture céréalière de l'Algérie a enregistré un nouveau record en 2011, en atteignant plus de 4 milliards de dollars en hausse de 102% par rapport à la même période de 2010. Les Effets pervers du soutien des prix Les explication de cette envolée sont de plusieurs ordres. Une d'entre elles, souvent évoqué par les pouvoirs publics, concerne les prix internationaux en hausse sensible depuis plusieurs années. La seconde est moins connue. Le directeur d'un bureau d'étude spécialisé commente : “Il s'agit des effets pervers du soutien des prix. Le blé tendre destiné à la production des farines et le blé dur transformé en semoule sont vendus à un tiers de leur prix de revient. Il s'agit d'un encouragement puissant à la consommation par les utilisateurs finaux mais aussi par les différents transformateurs de ces produits. C'est toute une industrie qui se développe sur la base de prix artificiellement bas de leurs approvisionnements”. Un raisonnement qui peut s'appliquer également sans difficultés aux importations de lait et de produits laitiers en hausse de plus de 50% l'année dernière. Cette boulimie de consommation de produits importés ne seraient d'ailleurs pas due à l'appétit des seuls Algériens. C'est la conviction exprimée par Abderrahmane Hadj Nacer, ancien Gouverneur de la Banque d'Algérie, qui affirmait dans une interview récente : “Quand vous avez des prix du blé, du lait, etc.. subventionnés, vous mettez à la disposition de la population algérienne, mais aussi du voisinage de l'Algérie, des biens importés théoriquement pour la population algérienne, mais en réalité destinés à un bassin énorme. C'est ce qui explique que les importations croissent de façon aussi substantielle”. Le soutien des prix ou comment en sortir ? Le gel des prix des produits subventionnés sur une très longue période, suivi d'un ajustement brutal et douloureux en période de raréfaction des ressources financières est une expérience que l'Algérie a déjà connu au début des années 1990. Comment éviter de se retrouver dans la même situation dans quelques années ? La plupart des observateurs commencent par établir une distinction très nette entre les subventions de produits comme l'électricité et encore plus les carburants qui seraient carrément “irrationnels” ( voir encadré) et celle des produits alimentaires de base. Un point de vue exprimé notamment et résumé par M.Hadj Nacer : “Je ne dis pas qu'on ne doit subventionner aucun produits. Nous pouvons limiter, par la régulation, l'impact des fluctuations des marchés internationaux sur le panier de la ménagère. Ce qui signifie qu'un taux de subvention raisonnable est nécessaire. Mais pour le reste, il faut rétablir l'équilibre de tous les prix selon des règles de liberté assez claires(…) Le système actuel de gestion des prix ne peut qu'entraîner une augmentation des importations et une baisse de la valeur du dinar”. Deuxième poste responsable de la flambée des importations, les achats de biens de consommation non alimentaires sont essentiellement stimulés par la reprise du marché de l'automobile qui s'est accélérée au premier semestre 2011,(+33,6%). Pour notre économiste : “Les augmentations de salaires depuis le début de l'année ont largement contribué au mouvement. Ce sont des effets non recherchés de la politique économiques mise en œuvre depuis le début de l'année, qui ont des conséquences directes sur la balance commerciale du pays”. H. H.