Si Ahmed est né à Sidi-Khaled, au cœur des Hauts-Plateaux, sur les bords d'oued Mzi. Ce poète en herbe, jeune et sans argent, se déplaçant entre les villes des Hauts-Plateaux (Sidi-Khaled, Ouled Djellal, Ksar Chellala, Djelfa...) trouvera dans la solitude et le génie de ces hauts lieux de la steppe, la force de promouvoir un nouveau genre de la poésie et de la chanson algériennes. De ces rencontres avec Benguitoune, Belkheir, Benkriou ou encore Kaddour Ben Achour, naîtront peu à peu une amitié et une riche connivence qui lui permettent de développer un registre remarquable de chansons frappées du sceau de l'éternité : Gamr El-Leïl, Bent Sahra, Ghomri, Galbi Tfekar, Loghzal Eli Kan.... Il a été le porte-voix emblématique de ces poètes Iyriques et le continuateur d'une longue tradition des poètes de la steppe et des déserts. Il avait la voix puissante, limpide et unique ; le philtre mystérieux de cette voix de stentor a enchanté les cœurs et marqué des générations. Au son de sa voix, on est charmé, on l'écoute recueilli, d'ailleurs son physique d'Algerian-lover ajoutait à son aura naturelle. Il embellit tout ce qu'il chante : le désert, la steppe, la femme, les mystiques, les chevaliers et les aventuriers. Il avait une curieuse vocation à mixer la tristesse et la joie ; sa chanson est habitée par une mélodie infinie, subtile et profonde qui exprime toute la sensualité des déserts. Une mélodie qui s'évase vers un delta d'images des déserts ; elle éveille en nous un désir de rencontre de ces espaces avec leurs formes mouvantes et sensuelles : Khelifi porte l'empreinte des déserts. Malgré la grande affection populaire, il a su rester simple et respectueux des autres et avant tout du public. Il est resté toujours le même, fidèle à la chanson traditionaliste et populaire ; il n'a jamais été gagné par le cabotinage. C'est là, le propre d'une personnalité unique, comme on en voit peu dans le milieu des artistes. Assi fidèle en amitié qu'épicurien, il entretient des liens chaleureusement privilégiés avec ses amis de jeunesse ; d'ailleurs une grande complicité l'unissait à mon père qui lui portait une réelle affection. Prématurément, il mit fin à une carrière, une carrière à l'image de l'homme d'un seul tenant, sans come-back, sans second souffle, sans entre-acte : de ce point de vue, il incarne la fin d'une époque politique et musicale. En effet, durant ces dernières années, blessé par la tragédie nationale et oublié par les siens, il mit fin à sa carrière et on ne le verra que très peu sur scène ; il se réfugia dignement dans le silence qu'il tenait des immensités steppiques. C'est dans cette solitude que je lui rendis visite en 1998 pour lui rendre un hommage amical et apporter un peu de confort à ce géant qui a tant enchanté nos cœurs. Jamais un homme Iyrique ne m'a autant bouleversé, même si aux oreilles de certains son chant parait désuet. Il reste l'un des plus grands artistes algériens de tous les temps et un phénomène dans la longue chevauchée de la chanson nationale. Ce pur poète qui a si dignement campé la personnalité bédouine et saharienne est une conscience de l'Algérie profonde. Adieu Si Ahmed ! C. R. (*) Ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement, président de la Fondation Déserts du monde.