C'est à l'âge de 91 ans que le maître incontesté du bedoui, Khelifi Ahmed, s'est éteint. Le chanteur à la voix de stentor a tiré sa révérence dans la discrétion la plus totale dans la nuit de samedi dernier, laissant derrière lui une carrière artistique exemplaire et un grand vide sur la scène culturelle algérienne. Les plus de 40 ans se souviennent encore de ce grand chanteur, par la taille et la stature, enveloppé dans son burnous immaculé et portant baudrier brodé et saroual, tenue traditionnelle des bédouins, et déclamant magistralement l'admirable poème d'amour de Ben Guittoune, Hiziya. Les bendirs et les deux guesbas (flûte en roseau) qui l'ont toujours accompagné, portaient la voix puissante sans jamais la couvrir. Hiziya par Khelifi Ahmed est tout simplement un moment de pur bonheur, un morceau d'anthologie qu'on devrait rééditer autant de fois qu'il le faudra.Khelifi Ahmed, de son vrai nom Ahmed Abbès Ben Aïssa, est né en 1921 à Sidi Khaled, dans la wilaya de Biskra. Grand interprète des œuvres de grands poètes à l'image de Benkriou et Ben Guittoune, il était doté d'une voix forte et modulée qui s'adaptait admirablement à la déclamation de poésie populaire. L'homme à la flute de roseau a marqué par son talent plus d'une génération.Fils d'agriculteur, le défunt rejoint très jeune l'école coranique où il apprit très tôt les chapitres du Livre sacré. Son père, pour sa part, s'occupa de lui transmettre l'amour de la culture de la terre. Il lui confiera d'ailleurs le soin de s'occuper des palmiers de la famille. Un peu plus tard, l'artiste intègre la chorale de la confrérie Rahmania. Adolescent, le jeune Ahmed s'offre un premier enregistrement. Le chanteur était doué et rien ne pouvait l'arrêter. En 1952, Khelifi Ahmed s'était déjà fait un nom dans le monde artistique. Il fut ainsi appelé à collaborer à l'émission radiophonique «Khalti Tamani», de Hachelaf qui avait alors un grand succès auprès des auditeurs. Il s'est vu décerner en 1966 l'Oscar de la chanson traditionnelle après avoir interprété, avec le brio qui est le sien, la fameuse Qcida Qamr ellil. Dès l'indépendance, il deviendra une vedette nationale très courtisée par les médias, s'imposant comme le maître incontesté du bedoui, genre baptisé style yaye-yaye, référence aux trémolos ponctuant le chant. Sur scène, feu Khelifi Ahmed n'avait pas besoin de sono ni d'amplificateur pour se faire entendre. Il avait une voix d'une forte tonalité comme on n'en entend que rarement.Enterré hier au cimetière de Sidi M'hamed, sa disparition a provoqué une onde de choc chez ses amis artistes. Dans un message de condoléances adressé à la famille du défunt et à l'ensemble des médias, la ministre de la Culture, Mme Khalida Toumi, a souligné que le défunt est «un des plus illustres artistes algériens dont la renommée a dépassé les frontières nationales». «Grâce à des textes inspirés de la poésie populaire ancestrale, le regretté a pu représenter, à lui seul, un demi-siècle durant, la chanson bédouine algérienne, plus connue par le yaye-yaye», ajoutera la ministre dans son message. W. S.