Des algériens employés par les braconniers du golfe témoignent “Les émirs ont vu les terroristes avant le drame” “Les émirs saoudiens n'ont pas pris au sérieux cette histoire de l'existence de terroristes dans ce djebel. Bien plus, ils ont vu les terroristes et n'ont pas averti les services de sécurité”, explique Ali Souissi, le guide des émirs braconniers. J'ai averti les Saoudiens des dangers qu'ils encourent en se rendant au djebel Boukhil. Personne ne m'a écouté.” Le témoignage, sur un ton de regret, est de Ali Souissi, le guide des émirs braconniers. Cet ancien moudjahid de 65 ans, grand connaisseur des lieux, sait que les terroristes en ont fait leur nid. Malheureusement, ses avertissements, ô combien judicieux !, n'étaient d'aucun effet sur les émirs chasseurs de l'outarde. C'était prêcher dans le désert. Cette terrible confidence, l'homme de “confiance” des Saoudiens, nous l'a faite, hier, chez lui à Messaâd. Fidèle à la réputation des gens de cette contrée, notre guide était d'une touchante hospitalité. Emmitouflé dans son burnous, il nous a servi du café dans son salon. Le parterre est entièrement couvert de tapis. Très peiné par ce qui est arrivé à l'émir Tellal, “un homme brave et généreux”, A. Souissi craint que ce drame ne porte atteinte à la réputation du pays. Il est tout autant peiné par le fait que ses supplications soient ignorées par les émirs. Aussi, il a refusé de les accompagner dans cette partie de chasse. Pourquoi, lui, leur homme de confiance, n'était-il pas écouté ? “Les émirs saoudiens n'ont pas pris au sérieux cette histoire de l'existence de terroristes dans ce djebel. Bien plus, ils ont vu les terroristes et n'ont pas averti les services de sécurité”, explique-t-il. C'est en écoutant les discussions de Saoudiens qu'il l'a su. Et ce qui devait arriver arriva. Jeudi 27 novembre. Alors que le soleil déclinait à l'horizon, les émirs braconniers, à bord d'une dizaine de 4x4, étaient encore à Oued Leouareg en train de s'adonner à leur sport favori. Après avoir fait une halte pour accomplir les deux prières du maghreb et d'el-asser, les braconniers reprennent, sous la conduite de l'émir Tallal, leur partie de chasse. À un moment donné, l'émir Tallal, sur une Land Rover décapotable, a ouvert le feu sur un gibier qui prenait la fuite. C'est alors qu'ils seront arrosés d'une rafale par des terroristes. L'émir Tallal sera atteint de deux balles, l'une à la tête et l'autre au ventre. Sept autres de ses compagnons dont un Algérien, un gendarme, étaient blessés. Les terroristes ont brûlé le 4x4 de ce dernier et pris un autre appartenant à un Saoudien. Ce n'est que le lendemain, vendredi, que les blessés et le corps du défunt ont été acheminés à bord d'un hélicoptère vers Laghouat puis vers l'hôpital de Aïn Naâdja (Alger). Un autre hélicoptère a récupéré le fils du défunt et un autre dignitaire du campement de Dhayet El-Guelb pour les acheminer vers Alger. Le jour du drame, ils n'ont pas pris part à la partie de chasse. Pour ce qui est des rescapés, c'est à l'hôtel militaire de Djelfa qu'ils ont passé, depuis, leurs nuits avant de rejoindre, hier, Alger. Pourquoi les Saoudiens ont-ils à ce point risqué leur vie ? Pour chasser le gibier qu'ils affectionnent par-dessus tout : el-habar, l'outarde. “Ils ont appris que l'outarde est en grand nombre dans le djebel Boukhil”, nous confie Ali Souissi. Etant le guide des Saoudiens depuis 4 ans, il nous a rappelé que, les premières années, les braconniers mettaient la main sur 50 à 60 outardes quotidiennement et ce, en se servant d'environ 25 faucons. Et ce, pendant 50 jours. Mais cette année, cette espèce s'est fait très rare. Elle est presque exterminée. Un mécanicien clandestin, ayant travaillé pour ces émirs, le confirme : “Chaque jour, ils sortent du campement à 7h pour ne revenir de la chasse qu'au coucher du soleil. Parfois, ils ramènent avec eux 2 à 3 outardes. Parfois, pas une seule.” C'est dire que l'espèce est rare et presque en voie d'extermination. Rien, même pour satisfaire les caprices des amis de Bouteflika. Ces émirs apprécient l'outarde pour ses vertus “médicinales”, soutient leur guide. C'est un aphrodisiaque permettant de réaliser des prouesses… sexuelles. Ce qui justifie tout pour ces grands amateurs de la bonne chair. Ils sont arrivés à Djelfa 5 jours après le début du ramadan. Ils ont placé leur campement à Dhayet El-Guelb. Contrairement aux autres dignitaires saoudiens, l'émir Tallal habitait dans une cabine saharienne dernier cri. Deux grandes tentes ramenées d'Inde servent à veiller et à festoyer. Leur plat favori est le riz avec du mechoui. Selon le mécanicien, cité plus haut, chaque jour, ils égorgeaient au moins deux moutons. Les années précédentes, ils abattaient, quotidiennement, une trentaine de têtes. Ainsi, les émirs ont appris cette année à être parcimonieux. Autrement dit, nos deux témoins sont catégoriques, pas une seule femme n'est avec eux. Toutefois, ils ont confirmé que certains d'entre eux, notamment les vieux, ne font pas le jeûne. Ils se considèrent comme étant en voyage. Donc, il leur est permis de manger. L'émir Tallal a marqué positivement ses travailleurs algériens. Il est surtout apprécié pour sa correction et sa générosité. Selon certains, il a distribué des vivres aux pauvres et une trentaine de couvertures aux nomades de la région. Il a limité le gaspillage des années précédentes, en préférant donner ce qui restait des festins de ses pairs aux nécessiteux. Pour ce qui est de leur comportement vis-à-vis de leurs employés algériens, il était des plus corrects, témoignent le guide et le mécanicien. En tout et pour tout, 11 Algériens — 9 Ghardaouis et deux Messaâdis — ont travaillé pour les émirs alors qu'ils étaient une centaine à peu près, les deux premières années. On leur avait concédé une tente commune. Il arrivait à certains émirs de prendre le thé avec eux. Pour ce qui est du mécanicien cité plus haut — il a 7 enfants —, il n'a été engagé que la dernière semaine de leur présence à Djelfa. C'est lui-même qui a proposé ses services. Son travail consistait à réparer les pannes de véhicules ou à leur ramener leurs victuailles de la ville de Messaâd. Il était payé à 1 000 DA la journée. “C'est très fatiguant. Parfois, il m'arrive de travailler jusqu'à minuit”, a-t-il indiqué. Pour ses pairs de Ghardaïa, des Métlelis, ils sont rétribués à 600 DA seulement. C'est un entrepreneur de leur région, ayant de bons contacts avec les saoudiens, qui les recrutait. En quittant précipitamment leur campement, les saoudiens n'ont pas oublié de régler tous leurs employés algériens en dinars et parfois en dollars. Avec ce qui est arrivé à l'émir Tallal Ibn Abdelaziz Arrachid, les Saoudiens sont-ils partis pour ne plus revenir en Algérie ? Pas si sûr que ça. Leur guide, pour sa part, est convaincu qu'ils seront là l'année prochaine. Le plaisir de chasser les outardes est plus fort que tout chez ses employeurs. “On dirait qu'ils croient plus à l'outarde qu'à Dieu !” Une phrase qui montre combien les émirs vénèrent l'outarde. Ce qui ne les empêche pas de la… massacrer. Comme ils l'ont fait avec la gazelle qui a presque disparu des vastes étendues steppiques de Djelfa. A. C.