Après l'assassinat de Tallal Ibn Abdelaziz Arrachid Ce qui s'est passé à Djelfa Selon des sources bien informées, les Saoudiens auraient toujours refusé d'être précédés par les éléments de la Gendarmerie nationale, pendant leur chasse. Le long séjour de “bonheur” et de “plaisir” vécu par une vingtaine de dignitaires saoudiens dans le sud de Messaâd, à 160 km de djelfa, s'est transformé en un véritable cauchemar, jeudi dernier, en fin de journée. Les émirs braconniers ont été surpris, lors d'une partie de chasse, à Oued Lourag au pied du djebel Boukhil, par des tirs nourris, provenant de personnes armées qui ont mitraillé les chasseurs alors qu'ils cherchaient leurs “faucons” perdus, selon les témoignages d'un rescapé. Cette embuscade a causé la mort de l'émir Tallal Ibn Abdelaziz Arrachid, âgé de 41 ans, et blessé sept autres. Tous ont été évacués, hier, vers la capitale saoudienne. Selon des sources bien informées, les émirs auraient toujours refusé d'être précédés par les éléments de la Gendarmerie nationale, pendant leur chasse, les mêmes sources nous ont précisé que pas moins de 30 éléments des différents corps de sécurité, assuraient la surveillance et la sécurité des lieux occupés par les saoudiens dans la région de Dayat El-Galb, à 80 km à l'ouest de la localité de Bouigla, où une dizaine de tentes, “avec tout le confort requis”, ont été installées depuis la première semaine du ramadan. À noter que les éléments du groupe armé non encore identifiés ont volé deux véhicules de type 4x4, appartenant aux émirs. Les forces combinées qui ont déclenché une vaste opération de ratissage, suite à cet attentat, ont pu récupérer l'un des véhicules alors que le deuxième a été retrouvé complètement incendié. Par ailleurs, aucune information officielle n'a été communiquée sur le bilan de cet attentat, bien que certaines sources évoquent la prise en otages de trois à quatre saoudiens. les différents corps de sécurité affichent un silence à toute épreuve, ne démentant ni ne confirmant ces enlèvements. Hier, au moment où les recherches menées par les forces de sécurité se poursuivaient sur le versant sud du djebel Boukhil, pour localiser le groupe armé qui serait affilié au GSPC, les rescapés saoudiens, toujours présents dans leur “camp”, étaient en train de plier bagages, pour quitter les lieux au plus tard aujourd'hui. Certains d'entre eux se sont chargés de payer les redevances (dettes de l'émir décédé, à savoir la location de camions, main-d'œuvre...). Lotfi G. La vie “débridée” des émirs “braconniers” Ils étaient une dizaine d'Algériens à travailler pour le compte des émirs braconniers saoudiens. Ils sont aides-cuisiniers, chauffeurs, mécaniciens, etc., durant tout le mois de ramadan et les quelques jours qui ont suivi l'Aïd. Originaires de Messaâd, ils ont dû passer le mois sacré loin de chez eux, dans le désert, pour une somme de 15 000 à 20 000 DA. Certains d'entre eux n'arrivent pas à oublier les comportements humiliants des braconniers qui ont fait de cette partie du territoire algérien “une propriété de Riyad”. “Un jour, un élément de nos services de sécurité a failli tabasser un Saoudien qui s'est emporté contre lui comme s'il s'agissait d'un de ses serviteurs du royaume”…, nous confia un de ceux qui ont travaillé chez les émirs. en revanche, ce qui a mis ces travailleurs algériens en état d'émoi, reste le fait que la plupart des braconniers saoudiens n'ont pas fait carême. “Ils (les dignitaires saoudiens, ndlr) se régalaient en plein jour de jeûne, de leur plat favori qu'est le méchoui avec du riz”, nous confia un autre travailleur. Certains habitants de Messaâd nous ont même confié que les émirs rencontraient régulièrement les femmes de “joie” en ce mois sacré ! Bref, si les émirs saoudiens ont vécu les mille et une nuits dans le Sahara de Messaâd, comme s'il s'agissait d'une de leur propriété privée, certains citoyens ont pris l'attaque armée contre ces derniers comme une “sanction divine”, alors que d'autres n'arrivent pas à comprendre ce qui se passe dans une Algérie censée avoir acquis son indépendance. L. G. Un coup dur pour l'Algérie Sans le mépris de Bouteflika aux incessants appels de la presse et des quelques rares militants écologistes dans le pays, le drame de Messaâd ne se serait pas produit. Mais le président de la République a préféré ne pas décevoir les désirs des princes épris de chasse dans les très austères plateaux du Sud algérien où ils viennent étaler leur luxe ostentatoire. Cela au mépris de la loi. Désormais, la chair de l'outarde et de la gazelle algériennes auront le mauvais goût de l'amertume dans les palais (sans jeu de mots) des princes d'Arabie. Mais pas seulement. Parce que l'Algérie va aussi payer le prix de cette permissivité du Président. À peine quelques mois après le dénouement de l'affaire des otages séquestrés dans le Sahara par le GSPC, l'assassinat d'un homme d'affaires saoudien est un coup rude porté à la lutte contre le terrorisme qui, pourtant, a gagné en efficacité au fil des années. Cela prouve que les groupes armés restent actifs, y compris dans les zones à faible proportion d'habitat. Cela n'est pas fait pour rassurer les citoyens désireux s'y déplacer et maintient la menace sur les régions économiquement vitales pour le pays. De cet assassinat, il faudra aussi retenir que les ressortissants arabes ne sont plus hors de la ligne des groupes terroristes qui préféraient cibler les Occidentaux supposés mécréants. En juillet 1994, des diplomates arabes enlevés par le GIA alors qu'ils visitaient le barrage du Hamiz, dans la banlieue sud-est d'Alger, avaient élé libérés sains et saufs après une semaine de captivité. Cela ne semble plus être le cas. Le drame de Messaâd prouve aujourd'hui que le terrorisme s'inscrit bien dans la vaste toile tissée par le réseau Al-Qaïda à l'échelle de la planète. La mort de l'homme d'affaires saoudien, tué dans une embuscade tendue à son convoi, est à inscrire dans la droite ligne des attentats qui, du Maroc à l'Indonésie, portent la signature de Ben Laden. Il confirme aussi que l'Arabie Saoudite, mamelle nourricière d'une idéologie qui a engendré le terrorisme, est irrémédiablement bien dans l'oeil du cyclone. L'embuscade de Messaâd a tout l'air d'un attentat minutieusement préparé par des terroristes qui ont identifié leur cible. À tout le moins, ils en connaissaient la nationalité. Ce n'est pas d'avoir déchu Ben Laden de sa nationalité qui fait de l'Arabie Saoudite une cible. Ce sont bien sûr ses relations avec les Etats-Unis, considérés comme étant en croisade contre le monde musulman et leur détermination à s'allier avec ceux-ci dans la lutte contre le terrorisme international. La tonalité “éradicatrice” du discours officiel saoudien est d'ailleurs étonnante. Le jour de l'Aïd, le roi Fahd et son prince héritier, Abdallah, ont appelé à lutter contre les idées extrémistes et à réhabiliter les éléments subversifs en combattant les causes de leur déviation. Dénonçant les actes terroristes menés par “certains groupes qui se réclament de l'islam”, les deux dirigeants ont appelé à “combattre les idées extrémistes qui guident ces groupes, à corriger les idées erronées, à réhabiliter les dépravés et à les remettre sur le droit chemin”. “Ces groupes sont le produit d'idées extrémistes, l'islam n'a rien avoir avec leurs actes”, ont-ils souligné. Signe que le berceau du wahhabisme doit nourrir de l'inquiétude, la Grande-Bretagne a mis en garde, hier, ses ressortissants contre les voyages non essentiels en Arabie Saoudite, indiquant que des “terroristes” planifiaient davantage d'attaques dans le royaume. “Nous mettons en garde les ressortissants britanniques contre tout voyage non essentiel en Arabie Saoudite. Après les attaques terroristes de mai et novembre à Riyad, nous continuons à croire que des terroristes planifient d'autres attentats dans ce pays”, indique un communiqué du Foreign Office publié sur le site internet de l'ambassade de Grande-Bretagne à Riyad. Le texte ajoute que “la menace terroriste en Arabie Saoudite demeure élevée”, en référence à l'annonce par les autorités saoudiennes qu'elles ont déjoué mardi un attentat à la voiture piégée. La police saoudienne a saisi plus de 2,6 tonnes de produits explosifs, à bord d'un camion que des terroristes planifiaient de faire exploser mardi à Riyad. Comme la Grande-Bretagne frappée récemment hors de son territoire, l'attentat de Messaâd invite l'Arabie à veiller sur ses représentations à l'étranger. N. B. La version de l'ambassade d'arabie saoudite à Alger “Il n'y a aucune prise d'otages” Les services diplomatiques du royaume ont confirmé l'attentat de jeudi qui a eu lieu “aux environs de 20 h 30”, quand un groupe de chasseurs quittant Messaâd a été attaqué. “Il s'agit d'un guet-apens.” La première réaction officielle à l'attentat qui a ciblé, jeudi dernier, un groupe de chasseurs saoudiens près de la localité de Messaâd, dans la wilaya de Djelfa, est venue des services diplomatiques du royaume wahhabite à Alger. Contacté hier, le chargé d'affaires de l'ambassade confirme l'attaque. “Cette information est avérée”, soutient notre interlocuteur. Il indique, à ce propos, que le guet-apens en question a bel et bien conduit à l'assassinat du prince Tallal Ibn Abdelaziz Arrachid. Il affirme, par ailleurs, que quatre blessés sont à compter parmi ses accompagnateurs. “L'attentat a eu lieu aux environs de 20 heures 30, au moment où les chasseurs regagnaient la ville”, souligne le représentant diplomatique. Selon lui, l'offensive s'est produite tout près du djebel Boukhil. “Le groupe a été surpris par des coups de feu tirés des hauteurs de la montagne”, témoigne-t-il. Il précise à ce sujet que les tirs nourris n'ont pas spécialement ciblé l'émir mais tout le convoi. Sans plus de détails, le chargé d'affaires de l'ambassade affirme que les assaillants ont rapidement battu en retraite sans emporter quoi que ce soit. “Ni voitures ni autres équipements”, note-t-il. Le diplomate fait également remarquer que, contrairement à ce qui a été écrit dans la presse, il n'y a aucune prise d'otages. “Les forces de sécurité, dépêchées rapidement sur les lieux, sont parvenues à évacuer tout le monde”, nous apprend-il. Notre interlocuteur signale que la dépouille de l'émir ainsi que les quatre blessés ont d'abord été acheminés vers le centre de santé de Messaâd puis à l'hôpital de Laghouat et finalement à l'hôpital militaire de Aïn Naâdja à Alger. “Hier, dans la soirée (vendredi, ndlr), un avion spécial dépêché de Riyad s'est chargé de leur rapatriement”, indique le chargé d'affaires. Tout en acceptant de revenir sur les circonstances du drame, le représentant de l'ambassade saoudienne s'est néanmoins refusé à faire le moindre commentaire sur l'identité des auteurs de l'attentat. “Jusqu'à présent, nous ne savons pas s'ils sont des terroristes ou pas”, dit-il très embarrassé. Pour autant, le diplomate reconnaît l'hostilité et l'insécurité de la région où l'émir et sa suite se sont aventurés. “Il est vrai que ces endroits sont réputés être dangereux”, admet-il. Visiblement, cette donne n'a pas constitué un motif de dissuasion assez convaincant pour les braconniers du Golfe. Sans doute, la protection militaire et policière dont le gouvernement algérien les assure a-t-elle dissipé toutes leurs appréhensions. En tout cas, jeudi dernier, le convoi ciblé était accompagné par une escorte de la gendarmerie. C'est à se demander alors pourquoi les assaillants ont agi avec autant de facilité. Selon des sources, les chasseurs imprudents auraient décidé de se défaire de la compagnie des brigadiers, trop encombrante à leur goût. L'émir Tallal Arrachid, qui n'est pas à son premier voyage en Algérie, a l'habitude de sillonner le grand désert. Tout petit, il participait à des parties de chasse avec son père, Abdelaziz. Lors de sa dernière et néanmoins fatidique escapade, il était accompagné d'une suite comptant une vingtaine de membres. En Arabie Saoudite et dans le monde, sa mort ne manquera pas de faire un grand bruit. En effet, ce haut dignitaire est apparenté par alliance à la famille régnante. Natif du nord du royaume, à Haïl, il appartient à une tribu très influente. Le défunt, âgé de 41 ans, est également connu pour être un poète très populaire. Il possédait par ailleurs une revue littéraire, El-Fawassil. C'est dire la portée politique et médiatique de l'attentat dont il a fait l'objet. D'ores et déjà, les autorités saoudiennes ont demandé à leurs ressortissants présents dans le Sud algérien de regagner le royaume. “Il y a encore deux équipes de chasse. Bien qu'elles se trouvent dans des endroits plus sécurisés, nous ne voulons pas prendre de risques. Nous avons pris toutes les dispositions pour leur évacuation”, soutient le représentant de l'ambassade. À Djelfa, aux alentours du djebel Boukhil, l'opération de ratissage déclenchée aussitôt après le guet-apens est toujours en cours. Elle est dirigée par le général Fodhil Chérif, chef de la 1re Région militaire. Pour nombre de sources proches des services de sécurité, l'opération porte la signature du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) dirigé par Hassan Hattab. Cette organisation est accusée d'avoir perpétré le rapt des 32 touristes européens au printemps dernier. SAMIA LOKMANE Braconnage mortel Un “émir” chasse les émirs ! Qui est responsable du drame qui vient de projeter à nouveau l'Algérie au devant de la scène médiatique et fait encore d'elle un pays à hauts risques, les terroristes qui écument encore les différentes régions du pays et privilégient des cibles percutantes pour faire montre de leur force, les autorités algériennes, qui, sans considération aucune pour l'insécurité persistante, laissent circuler librement des étrangers ou bien ces étrangers qui, en bénéficiant de moult protections et égards dus à leurs rangs, se croient en territoire conquis ? Certains diront que ces visiteurs de marque, amateurs de chasse touristique, ne devront s'en prendre qu'à eux-mêmes. Ils s'acharnaient sur de pauvres animaux sans défense, le sort s'est acharné sur eux cruellement. En fait, la responsabilité de l'Etat algérien dans ce qui s'est passé est entière. Les autorités sont doublement coupables, d'avoir failli à la sécurité de leurs hôtes mais avant tout de leur avoir accordé leur hospitalité pour des campagnes de chasse illégales et intolérables, et d'avoir donc, d'une certaine façon, provoqué l'irréparable. En effet, en se rendant dans de vastes domaines qui s'étendent sur toute la surface des Hauts-Plateaux et du Sahara, les émirs du Golfe violent allègrement et sans crainte de sanctions les lois algériennes. En automne dernier, les propos tenus par Yazid Zerhouni, ministre de l'intérieur et des Collectivités locales sur l'autorisation de la chasse à l'outarde et aux autres espèces protégées ont provoqué un tollé général. Le représentant de l'Exécutif a fait cette déclaration au mépris des lois, notamment le décret 83-509 du 20 août 1983 — qui stipule que “la préservation à l'état naturel de ces espèces et leur multiplication sont d'intérêt national” — et des conventions internationales que notre pays a pourtant ratifiées. Interrompue pendant les années noires du terrorisme, les campagnes de braconnage des émirs d'Arabie Saoudite, du Qatar et des Emirats… ont connu un grand essor depuis l'investiture de Abdelaziz Bouteflika à la tête de l'Etat. De nombreuses personnalités et des élus des régions concernées ont eu à dénoncer le carnage. Saisies par cette affaire, les hautes autorités civiles et militaires ont pris l'engagement de remédier à la situation. Mais rien n'y fit. Examiné par le Conseil des ministres le 24 août dernier, un projet de texte sur la réglementation de la chasse a, néanmoins, fait l'impasse sur les graves dépassements des émirs. Une disposition spéciale pour les chasseurs étrangers était pourtant introduite par les concepteurs de ce projet mais elle n'a pas retenu l'attention des décideurs. Fidèle en amitié, le chef de l'Etat s'est senti en devoir de rétribuer ses anciens amis en accédant à leurs désirs les plus fous, y compris le massacre de la faune du désert. Divers témoignages font le récit de ces princes qui débarquent avec leurs suites, leurs jeeps et leurs armes de guerre dans les villes du Sud. Arrivés à bord de gros cargos, ils vont ensuite chasser l'outarde, la gazelle et la perdrix. “Un émir” a chassé l'un d'eux. À qui la faute ? S. L.