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Dépôt des comptes au CNRC
Pourquoi oblige-t-on les entreprises ?
Publié dans Liberté le 24 - 04 - 2012

D'ici à fin juillet 2012, l'ensemble des entreprises économiques activant sur le marché algérien devront se conformer à l'obligation de déposer leurs comptes de l'exercice 2011 au Centre national du registre de commerce (CNRC) et payer des frais de publication.
Il faut souligner à ce sujet qu'au cours des dernières années, plusieurs mesures coercitives ont été prises par les autorités contre les sociétés récalcitrantes : il s'agit d'amendes, et notamment de l'exigence de la preuve du dépôt des comptes pour une série d'actes essentiels de la vie de la société.
Ces mesures ont bien produit leurs effets et le nombre de dépôt des comptes a augmenté. C'est là une excellente initiative et l'ensemble des observateurs intéressés par plus de transparence au sein de l'économie nationale s'en sont réjouis. C'est donc très bien.
Mais une question vient immédiatement à l'esprit : quelle finalité est ciblée à travers cette opération ?
Le public, les analystes financiers, les banques, les fournisseurs, ont-ils accès à une base de données des états financiers des entreprises en Algérie ? Un fournisseur peut-il accéder facilement et rapidement aux comptes d'un client pour en vérifier la solvabilité et pour estimer s'il prend un risque en lui faisant crédit ? Une entreprise peut-elle vérifier ses performances par rapport aux entreprises de son secteur ? Les analystes financiers peuvent-ils analyser une série de données, comparer des ratios d'entreprises, de secteurs, de régions ? Les analystes de crédit des banques peuvent-ils réellement faire de l'analyse de ratios en comparant une entreprise à son secteur ? Les universitaires et les chercheurs nationaux peuvent-ils mieux étudier l'état réel du tissu des PME-PMI, leur secteur d'activité, leur répartition à travers le territoire national ?
La réponse est, à ce jour, non.
En d'autres termes, notre administration a mis en place l'obligation légale, les procédures, les mesures coercitives, les coûts, mais elle a tout bonnement oublié l'essentiel, à savoir l'utilité économique.
Pourquoi donc les entreprises sont-elles obligées de déposer leurs comptes ? Pourquoi, cette obligation existe-t-elle ? Serait-ce pour que les comptes aillent tout simplement dans une boîte noire et soient classés sans suite ? Pour faire faire des démarches en plus pour les entreprises ? Pour que les entrepreneurs et les commis comptables se pressent de faire la queue et de bronzer sous le soleil de Bordj El-Kiffan ? Ou pour marquer combien notre administration est omnipotente ?
La raison d'être de l'obligation de dépôt des comptes est que les comptes (ainsi que tous les autres actes comme les nantissements, statuts...) doivent être publics et disponibles à toute partie extérieure. C'est cela la raison d'être du dépôt des comptes au CNRC : l'accès libre aux comptes par toute partie, et non leur entreposage.
L'article 12 de la loi 04-08 du 14 août 2004, relative aux conditions d'exercice des activités commerciales, qui a institué cette obligation de dépôt des comptes prévoit bien que “les publicités légales pour les personnes morales ont pour objet de faire connaître aux tiers le contenu des actes constitutifs de sociétés, les transformations, les modifications, ainsi que les opérations portant sur le capital social, les nantissements, les ventes de fonds de commerce ainsi que les comptes et avis financiers.”
Il semble donc que si un luxe d'attention est accordé à l'obligation de dépôt, aucune mesure semblable ni aucun texte d'application n'a été promulgué pour s'assurer de l'objectif final de toute cette opération. S'il fallait trouver une illustration concrète de la bureaucratie qui pèse sur la gestion de l'économie algérienne, nous avons à travers ce constat un exemple saisissant.
Comment en est-on arrivé à mettre en place des procédures
tout en oubliant leur utilité ?
Rappelons que nous avons adopté (ou hérité) en Algérie du système français du registre de commerce. Il existe dans la plupart des pays sous des formes différentes. Dans ce système, les entreprises inscrites doivent publier leurs comptes et les actes importants (statuts, nantissements, etc.) dans un registre central pour que toute partie intéressée puisse y avoir accès. En France, depuis très longtemps toutes ces données sont disponibles électroniquement sous toutes les formes possibles. Elles le sont, bien sûr, aujourd'hui sous l'ère d'Internet, elles l'étaient déjà avant sur l'ancêtre d'Internet en France, le Minitel. Elles étaient accessibles auparavant sous la forme papier.
Nous connaissons tous les conséquences dramatiques de l'absence d'états financiers disponibles en quantité suffisante (tant en nombre d'entreprises qu'en série historique). Malgré toutes les reformes engagées, l'argent dépensé en systèmes informatiques, en monétique, nous n'avons toujours pas encore effleuré le socle de la réforme de tout le système bancaire, à savoir le cœur du métier qui est l'analyse de crédit.
Et pour cause, il manque la matière première de l'analyse : les données. Comment peut-on croire que de l'analyse de crédit peut être faite, s'il n'y a pas la matière pour comparer les ratios d'une entreprise à celles de son secteur et/ou celles de leur région, pour examiner l'évolution dans le temps sur plusieurs années ?
Des sommes considérables viennent d'être dépensées pour effectuer un “recensement” économique. On a envoyé des hordes de sondeurs faire du porte à porte pour récolter des informations auprès des entreprises. C'est très bien. Sauf qu'une grande partie de ces informations est, normalement, déjà dans la grande “boîte noire” des centres de registre du commerce.
La situation est plus qu'urgente ; elle doit être corrigée au plus vite car la disponibilité de l'information financière est un préalable si on veut espérer rétablir de vraies fonctions d'analyse de crédit au sein de nos banques, développer nos marchés financiers et permettre à notre système financier de jouer son rôle essentiel de transformer les dépôts en financement des entreprises.
C'est essentiel, pour espérer avoir un minimum de suivi des politiques économiques et de leur efficacité. Nos économistes sont contraints à n'exploiter que quelques agrégats macroéconomiques. Aucune donnée n'est disponible pour faire de l'analyse microéconomique, et nous savons tous que la réalité de l'entreprise se situe au niveau microéconomique.
Que faire maintenant ?
Il faut au plus vite corriger cette situation aberrante. Il semble que le CNRC dépense, depuis des années, de l'argent en systèmes d'information. Il n'est en revanche pas du tout évident que cette organisation ait l'intention de véritablement jouer son rôle et mettre à la disposition de tous, dans des délais et à des coûts raisonnables, ces données si utiles.
L'avenue dans laquelle semble travailler le CNRC ne répond malheureusement pas aux besoins et aux défis. Il semble que l'on travaille au CNRC à passer du format papier à la numérisation (en image) des documents. D'autre part le CNRC envisage de monnayer la disponibilité de l'information. Aujourd'hui l'enjeu est trop important pour ne pas opérer immédiatement le virage nécessaire. Il s'agit, à notre sens : — De mettre en place un système électronique de dépôt des comptes sous une forme standardisée et codifiée (afin que les données soient exploitables et comparables).
En sus des états financiers (en format codifié NSCF, ou sous la forme de la liasse fiscale qui est déjà standard), l'information sur le nombre d'employés (au 31 décembre de l'année) pourrait être rajoutée car cette unique information permet toute une série d'analyses utiles.
— D'avoir une politique de tarification intelligente, incitative et basée sur les enjeux en question : compte tenu des enjeux, il est puéril et suicidaire d'avoir une politique de tarification basée sur un raisonnement commercial.
L'enjeu est trop important pour notre économie, et les montants nécessaires doivent être investis pour rattraper les retards et erreurs du passé. Cela est d'autant plus évident que le CNRC, agence d'intérêt public par excellence, regorge de ressources financières tirées de son activité au quotidien et qui sont gelées purement et simplement.
Le dépôt sous format électronique devrait être encouragé et gratuit. La mise en place d'une tarification risque de retarder la mise en place du système compte tenu de la non-généralisation du paiement électronique. Ne nous posons donc pas de faux problèmes.
Pour les entreprises qui ne sont pas en mesure de procéder au dépôt électronique, des frais peuvent éventuellement être appliqués pour couvrir les coûts d'entrée des données. Ce coût doit évidemment être unique, et ne pas être calculé, comme cela est fait actuellement, sur le format physique des états financiers.
Enfin, et c'est ce qu'il y a de plus important, l'accès à ces données doit être gratuit. Cela simplifie les problèmes liés au mode de paiement qui risquent de retarder la mise en œuvre. Encore une fois, ne nous posons pas de faux problèmes. Le retard est trop important pour que nous perdions plus de temps.
L'important c'est que le maximum d'information soit diffusé le plus rapidement possible auprès du plus grand nombre possible d'acteurs. Nous aurons tout le loisir, dans quelques années, lorsque nous aurons rattrapé le retard et lorsqu'un niveau d'historique raisonnable aura été rassemblé pour mettre en place une tarification et équilibrer le modèle économique du dispositif.
Le coût de la mise œuvre est très négligeable, comparé aux enjeux et à ce que cela coûte à notre économie de ne pas avoir de base de données sur les états financiers de nos entreprises. Il n'est d'ailleurs pas exclu qu'il soit possible de financer cela en réorganisant plus efficacement les services du CNRC. Mettre en œuvre ces mesures pour qu'elles s'appliquent dès le dépôt des états financiers de l'exercice 2011, au moins sur un centre pilote comme celui d'Alger. Cela serait généralisé pour le dépôt des états financiers de l'exercice 2012.
Nous avons suffisamment de temps, si nous ne tergiversons pas sur de faux problèmes, pour mettre en œuvre cette mini-réforme.
Dès à présent, mettre en ligne, gratuitement, tous les états financiers numérisés par le CNRC. La publication des comptes déposés au CNRC n'est pas la seule priorité. La même situation prévaut pour les transactions immobilières.
À chaque transaction immobilière, nous payons des droits d'enregistrement et des droits de publication.Sauf que nous ne savons pas où sont publiées ces données. C'est l'autre chantier prioritaire. Personne, en effet, n'ignore tous les désagréments et les dérèglements que cause à l'économie nationale dans son ensemble, l'opacité actuelle de notre marché immobilier.
M. H


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